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Little Barrie - Shadow
Chronique Album
Date de sortie : 26.05.2014
Label : Tummy Touch
45
Rédigé par Hugues Saby, le 16 mai 2014
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Que du beau linge. Edwyn Collins, The Stone Roses, The Brian Jonestown Massacre, Dinosaur Jr., Kasabian, Primal Scream... Voilà quelques uns des grands de ce monde qui ont collaboré avec, joué après ou gravité autour de Little Barrie, en faisant un délit d'initié jalousement gardé du rock indé. Pas dégueulasse. Et la liste ne s'arrête pas là. Elle s'allonge, même, à l'écoute de Shadow, tant le blues rock sauvage du trio de Nottingham évoque les plus beaux line-up rock'n'roll, comme seule la fin des Sixties pouvaient en offrir. Jimi Hendrix, Iggy & The Stooges, les Doors, Can (le groupe a d'ailleurs travaillé avec Damo Suzuki récemment), et même James Brown sont parmi les premiers noms à émerger lorsque le disque se met à tourner. Ils ne seront pas les derniers.

À la première écoute, puis la deuxième ou même la troisième, ce qui frappe, c'est l‘homogénéité de l'album. Je parle de texture, de formes, de teintes. Je parle d'écriture. Je parle de musique. On passe sans réellement s'en rendre compte d'une plage à l'autre, mais sans que cela ne pose le moindre problème de défaut d'attention. La cohérence a du bon quand la musicalité est aussi poussée. Ce qui peut étonner à la lecture des interviews du groupe, qui prétend s'être libéré de ses influences diverses, et avoir cherché plus que tout à toujours évoluer, musicalement. C'est vrai,en quelque sorte. Car on trouve de tout dans Shadow, du surf au garage, de la soul au rock psyché, et même par moments des motifs westerns comme insufflés par un Ennio Morricone sous acide. Mais tout cela est parfaitement conscient et intelligent. La musique de Little Barrie sur est celle d'un groupe qui a beaucoup joué, beaucoup écouté et surtout très bien assimilé et compris. Prenant la substantifique moelle de chaque style, ils en tirent un composé nouveau, une substance magique qui hypnotise les oreilles et l'esprit, créant quelque chose d'absolument unique. Pas forcément nouveau, mais incomparable. Shadow est un album beaucoup moins typé que ses prédécesseurs, et donc beaucoup plus créatif. Un disque syncrétique qui puise sa force dans l'œcuménisme musical.

Mais il y a autre chose dans cet opus qui marque les esprits : la longueur des morceaux. Cinq minutes et vingt-huit secondes, cinq minutes et dix-huit secondes, cinq minutes et 7 secondes... Voilà bien longtemps que je n'avais pas écouté de groupe sachant dépasser sans ennui la minute trente. Ce n'est pas Live at Pompeii non plus, entendu. Mais putain que c'est bon. J'avais oublié comme c'était bon. Oubliez le traditionnel couplet - refrain – couplet – pont – refrain. Et c'est un fan des Ramones qui vous dit ça. Pas adepte de prog-rock, de musique répétitive ou d'expérimentations torturées pour un clou, qui plus est. Parole. Mais force est de constater que Little Barrie creusent leur sillon dans les neurones et réussissent l'impossible : faire de la musique progressive une expérience intéressante, si ce n'est sensuelle.
Oui, même le fan du rock motard le plus lourd ou du garage le plus speed peut prendre son pied dans la lenteur et le psychédélisme. Tout le mérite en revient aux arrangements et à la production d'une précision hors catégorie (et dire qu'Edwyn Collins – co-producteur du disque - était donné pour mort il y a quelques années...), et surtout, disons-le, à la virtuosité et la technique des membres du groupe, qui rendent une musique infiniment complexe particulièrement intelligible et jouissive. Ici un riff de batterie lunaire, au loin une voix noyée dans un épais écho, soudain un déchirement de guitare incendiaire, un Moog héroïque, un tapis de basse narcotique. Aucun des morceaux n'est particulièrement speed ou énervé, mais on se surprendrait presque à lâcher un gimmick d'air guitar sur certains instrumentaux, vaincu par la puissance de feu. Comme sur un Search And Destroy des Stooges, au hasard. Les mecs sont forts, très forts. Il y a longtemps, dans mes plus jeunes années, mon professeur de saxophone m'avait expliqué la différence entre les bons musiciens et les bons techniciens. J'aimerais beaucoup lui faire écouter ce groupe aujourd'hui.

C'est peut-être cela, la meilleure définition que l'on pourrait donner du style de Little Barrie sur cet album. Un magma chamanique qui envoûte l'auditeur, entraîné dans les profondeurs par de vénéneuses sirènes, pour mieux l'en extirper violemment à grands coups de génie qui nous sortent de notre délicieuse torpeur et nous arrachent un cri d'extase ou un soupir d'étonnement. Sur Shadow, le trio nous assène son érudition et nous éclabousse de toute sa classe musicale. En parfaite franchise, on se demande un peu où l'on va quand on écoute ce disque les premières fois. Puis vient le déclic, et l'on commence à comprendre. À ce moment-là, il est déjà trop tard. On est entré dans la Fun House, et on y reste prisonnier de cette musique qui nous rappelle tant de choses mais ne ressemble à rien d'autre. En ce qui me concerne, je n'en sortirai pour rien au monde, et je vais de ce pas réécouter l'intégralité de la discographie du groupe. Little Barrie ou la servitude volontaire. Prends-ça La Boétie.
tracklisting
    01. Bonneville
  • 02. Fuzzbomb
  • 03. Sworn In
  • 04. Stop or Die
  • 05. Deselekt
  • 06. Pauline
  • 07. It Don't Count
  • 08. Everything You Want
  • 09. Realise
  • 10. Eyes Were Young
  • 11. Shadow
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    Sworn In - De Seleckt - It Don't Count - Eyes Were Young
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