Lily Allen

On pardonne généralement tout à l'arrogance. On lui pardonne ses travers narcissiques et ignorants. On passe outre ses allures constantes de parade et ses abandons faciles à la flagornerie. On ignore allégrement ses accoutrements parodiques, perdus entre actes assumés et aliénation sans recul. On ne lui en saurait guère gré, car sous les habits d'apparat brillant de mille feux, et sous les mises en scène d'une certaine étiquette sociale, se consument les rages d'une vie, les frustrations d'une perte totale de contrôle sur une réalité dont on peine à maîtriser sa protéiformité constante. L'arrogance est une défaite en soi. Celle de l'abdication de la raison face à l'illusion de la connaissance. Celle du renoncement d'une humilité intrinsèque face aux enjeux de l'existence. On pardonne l'arrogance, car personne ne voudrait connaître tel mal-être nourrissant sa substance.

Lily Allen est un personnage aussi fascinant que talentueux, de par sa capacité à incarner à la fois cette caricature pop enflée, tout en distillant cette vista légère, fragile néanmoins ferme et convaincue. On avait un peu perdu cette verve énergique chez Allen pour son second album quelque peu aseptisé par une production lissée et fade ; la gouaille de l'Anglaise est désormais de retour, avec inconstance et fulgurance. Comme à son habitude.
Sheezus, clin d'œil à peine dissimulé au roi de l'égotrip Kanye West, revient à certaines bases ayant fait l'identité de la jeune Lily Allen : des chansons centrées sur ses ruptures de rythmes, des productions plus contemporaines et plus urbaines. Malheureusement aux manettes se trouve toujours Greg Kurstin, artisan premier de It's Not Me, It's You, qui tentera de faire sonner ce nouvel album comme une resucée d'un zeitgeist pop mainstream comme pléthore d'albums sortant cette décennie.

Fort heureusement, la force de Lily Allen réside dans sa capacité à flirter avec cette ligne rouge avec assurance et conscience. On navigue pêle-mêle de l'électro slow-dance (Sheezus), à de la bubblegum-pop (Air Balloon), vers du r'n'b nineties (Close Your Eyes) et du synthpop (Our Time) sans réel liant, si ce n'est une place prépondérante au phrasé de Lily Allen, son lyricisme urbain et son tongue-in-cheek irrévérencieux. On retrouve ainsi cette jeune femme impétueuse à l'ironie colorée et à la franchise récréative qui nous avait tant manqué, mais tout gardant une musicalité irréprochable. Car au plus proche du mauvais goût assumé et au sein de l'aire de jeu mise à sa disposition, c'est bien là que Lily Allen se veut la plus fugueuse - face à l'adversité et aux contraintes. S'armant de cette facilité déconcertante, elle se joue d'une certaine bienséance, survivant ainsi à l'auto-tune et aux dizaines de "bitch" de son premier single Hard Out Here, tout comme à la naïveté intrinsèque de Air Balloon, ou bien la surannation impensable de Close Your Eyes.

On pourrait cependant s'offusquer d'une telle insolence si Lily Allen ne délivrait pas à côté un équilibre à toute cette insouciance. Car il y a une certaine suffisance, voire condescendance, à ne nourrir que la légèreté et l'indolence de la pop. Ce serait refuser la permanence du genre, réfuter la nostalgie pour ne garder que l'hédonisme. Or, Lily Allen se livre avec justesse et honnêteté, de manière très gluante et maladroite (As Long As I Got You) ou ostensiblement personnelle concernant sa médiatique fausse couche (Take My Place), mais également avec un mauvais goût et une ingénuité touchante (la Gracelandienne Life For Me ou la reprise de Somewhere Only We Know). Ce qui marque chez Lily Allen, c'est ce sempiternel combat entre déterminisme et existentialisme, entre normalité et extraordinaire issu d'un héritage brit-pop, dans lequel elle vogue avec plus ou moins de grâce et plus ou moins d'aisance, néanmoins armée d'une arrogance insolente au sein d'un album à son image.

On pardonne tout à l'arrogance, pour autant qu'elle demeure intègre.