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Ethan Johns

The Reckoning

Ethan Johns - The Reckoning
Chronique Album
Date de sortie : 02.06.2014
Label : Three Crows Records
25
Rédigé par Hugues Saby, le 24 juin 2014
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« Sometimes, producing's about not producing ». Voilà résumé en quelques mots l'état d'esprit qui traverse tout le deuxième album d'Ethan Johns, producteur talentueux et multi-instrumentiste passé de l'autre côté de la console en 2012. Ces mots, ils sont de Ryan Adams. Les deux sont de vieux amis, et Johns a produit quatre des albums d'Adams. Eh bien figurez-vous que c'est Adams qui a cette fois produit l'album de Johns. Ou plutôt non produit. Car sur The Reckoning, l'authenticité et l'analogique sont à l'honneur. Apparemment, Ethan Johns est un obsessionnel, un rescapé de l'ancien monde qui met un point d'honneur à ce que sa démarche artistique soit la plus fidèle, voire la plus épurée, possible.

Pour être honnête, cela s'entend un peu. Attention, pas de méprise : la (non) production est superbe. Mais on ressent profondément l'intimité, voire le dépouillement qui se dégage de ces ballades tantôt folk tantôt blues. Hormis les quelques rares arrangements de cordes, on croirait presque entendre l'enregistrement brut d'un concert au coin du feu. Ce qui n'est pas si loin de la réalité, puisque les prises ont été réalisées en quelques heures seulement, dans un dénuement technologique certain. À peine descendu d'un avion, Ethan Johns s'est rendu aux studios du label PaxAm, hébergé par le légendaire Sunset Sound, en plein cœur de Hollywood. L'y attendaient quelques simples microphones, et un Ryan Adams qui n'avait rien entendu des chansons de son ami. La démo dure cinq heures, Ethan Johns déroule ses compositions. La session reprend le lendemain durant deux heures. Et c'est à peu près tout. L'album est dans la boite, ou presque.
The Reckoning, un album très bien fait, plutôt plaisant, mais finalement assez ennuyeux.

Sortons la grosse artillerie : Bob Dylan, Tom Paxton, Kris Kristofferson, Dave Van Ronk, Nick Drake. Eh oui. Quand on a déjà leurs disques chez soi, l'album d'Ethan Johns n'est pas franchement d'une grande utilité. Loin de moi l'idée de jouer les vieux cons : au cours des dernières années pas mal d'artistes récents ont apporté un vrai plus au genre très contraint et codifié qu'est celui des folk songs. On peut citer notamment le remarquable travail (pourtant bien confidentiel) d'Emily Jane White, ou bien encore celui de Laura Marling, dont le dernier album est un joyau, austère mais d'une pureté rare. Si ce n'est déjà fait, allez donc jeter une oreille à Once I was An Eagle, qui vous donnera une étendue du talent d'artiste de la jeune femme, mais aussi du talent de producteur d'Ethan Johns. Car oui, c'est lui qui était aux manettes sur ce bijou (production, mix et même instruments). La voilà donc, la démonstration. Bon producteur ? bon artiste. Producteur ? artiste tout court. CQFD.
Ethan Johns est pourtant un guitariste hors-pair, qui le bon goût de faire passer sa virtuosité au service de ses chansons et non l'inverse. Mais le style des idoles est bien présent, trop présent. Ainsi, le légendaire picking de Bob Dylan hante la première moitié de l'album –la plus épurée-, notamment sur certains passages de The Fool, que l'on croirait directement tirés de Girl From The North Country. De la même manière, l'ambiance pastorale et contemplative de certaines compositions évoque directement l'univers onirique si particulier de Nick Drake sur Five Leaves Left (You Changed, This Modern London). Ethan Johns assure aussi vocalement, avec un grain et une profondeur qui peuvent faire penser à Nick Cave (la dimension crooner en moins) voire Leonard Cohen (Go Slow).
Que du très bon, en somme. Sauf qu'Ethan Johns peine à se départir de ces pesantes références, et aucune réelle touche artistique personnelle ne vient sauver The Reckoning de la banalité. On écoute cet album d'une oreille distraite, tirée par instants de sa torpeur par une étincelle sonore : « Tiens, c'est pas mal ça ». C'est le cas des quelques incartades blues du disque, plutôt réussies, mais encore une fois sans originalité. À chaque fois, c'est la qualité –effectivement remarquable – de la prise de son et de la (non) production qui sauve l'ensemble de l'oubli. Bien joué Ryan Adams, donc.

Ne reste donc plus qu'à prodiguer deux conseils en guise de conclusion. À vous, lecteurs : oubliez ce disque, plaisant mais sans intérêt. À vous, Mr. Johns : repassez fissa de l'autre côté de la table de mixage, et donnez vite au monde de nouveaux albums géniaux, comme vous l'avez si souvent fait tout au long de votre majestueuse et impressionnante carrière de producteur.
tracklisting
    01. Go Slow
  • 02. Dry Morning
  • 03. The Fool
  • 04. Among the Sugar Pines
  • 05. The Roses And The Dead
  • 06. Talking Talking Blues
  • 07. The Lo Down Ballad Of James Younger
  • 08. Black Heart
  • 09. You Changed
  • 10. This Modern London
titres conseillés
    The Fool - Among The Sugar Pines - Talking Talking Blues
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