Jamie T

Aux dernières nouvelles, la mort est un voyage dont on ne revient pas. D'aucuns disent la même chose d'une trop longue absence, et pourtant, l'issue d'une telle odyssée parait bien moins inéluctable. La preuve en est Jamie Treays, aka Jamie T, qui nous revient sans crier gare, cinq ans après qu'on l'ait officiellement installé dans le fauteuil de best-best friend.

Si on craignait un temps ne plus avoir affaire à sa gouaille et ses choix musicaux osés, les années ont fini par avoir raison de nos peurs les plus tenaces, le bonhomme dérivant tranquillement vers l'extrême nord de nos préoccupations. Oui mais voilà, la flamme intérieure ne s'est jamais tue, et c'est donc non sans une franche excitation que le petit monde de la musique a appris la sortie d'un troisième album, Carry On The Grudge.

Si le temps n'a pas affecté notre profonde amitié pour Jamie T, il aura autrement impacté le jeune homme, qui apparaît aujourd'hui comme lesté de nombreuses désillusions (« Take me far from this sweet city stench, where friends all betray each other » l'entend-t-on chanter dans Turn On The Light), et d'ailleurs, le titre choisi pour cet LP parle de lui-même. Carry On The Grudge collectionne ainsi les titres emprunts d'amertume, de doutes, de regrets, à l'instar de Limits Lie, Turn On The Light ou encore They Told Me It Rained.
A bien y réfléchir, on peut prêter aux moins trois vertus au sérieux tout relatif qui drape l'album. Déjà, cette gravité sied parfaitement au teint du jeune anglais, ce que nous laissait déjà entrevoir le somptueux Emily's Heart. Ensuite, elle apporte au disque une cohérence indéniable, et qui faisait très clairement défaut à ses prédécesseurs, véritables patchworks d'influences musicales (hip-hop, rock, reggae, et on en passe). Enfin, elle permet de savourer plus encore l'humeur railleuse de l'artiste, qui n‘en oublie pas ici ses premières amours : si Limits Lie nous prévient d'entrée en haussant le ton dans son dernier tiers, ce sont surtout Zombie (ambiance punk et joyeuse), Rabbit Hole (d'inspiration ska) et Peter (ambiance punk et contestataire ) qui nous ramènent aux heures les plus explosives de Panic Prevention et Kings & Queens.

Mais là où notre troubadour moderne fait des miracles, c'est lorsqu'il tricote des pièces coincées entre deux eaux, aussi enlevées que bouleversantes, et qui nous éloignent un peu plus encore de ce qu'on connaissait de lui. Subtilement scénarisée et orchestrée, Don't You Find est sans conteste la belle surprise de Carry On The Grudge, et si on aurait volontiers demandé une tournée supplémentaire de ce précieux breuvage, le titre n'en demeure pas moins un argument supplémentaire propre à nous faire oublier les ficelles pachydermiques auxquelles Jamie T a parfois recours.
Car il subsiste ici et là des choses qui empêchent le disque d'être une véritable réussite. Ainsi, si The Prophet peut se targuer de quelques punchlines rigolotes (« I just sit batch and brew with coca cola communists »), sa mélodie se révèle d'une vulgaire banalité. Et si parfois, c'est l'agitation du bonhomme qui est mal placée (que dire de Trouble si ce n'est qu'il est agaçant?), ou son côté fleur bleue qui prend trop de place, c'est à d'autres moments son songwriting qui semble avoir pris congé (la ballade folk Mary Lee est en dessous de tout sur cet album).

Quoi qu'il en soit, c'est peu dire que le retour de Jamie T fait du bien, nous ramenant à ses sensations connues sans nous faire regretter quoique ce soit. Avec Carry On The Grudge, l'anglais nous prouve qu'il en a encore sous le panard, et si ce nouvel opus n'est sûrement pas exempt de défauts, il a le mérite de proposer une fournée de titres d'excellente facture.
Entre Jamie T, The Twilight Sad et We Were Promised Jetpacks, on dirait bien que les jeunes anciens (ou les anciens jeunes, c'est selon) reviennent avec la ferme intention de remettre les pendules à l'heure, et ça, on ne peut que s'en réjouir.