Trust Fund

Trust Fund est encore un groupe plus que confidentiel. Projet de pop très Do It Yourself pour reprendre le terme consacré, il est orchestré par Ellis Jones, un Anglais de Bristol qui vient de signer chez Turnstile Records. Ce nom, que l'on pourrait imparfaitement traduire par « cagnotte » ou « fonds de confiance », n'est pas une imposture car ce tout premier disque intitulé No One's Coming For Us est tout sauf une arnaque.

Le son se veut brut, simple et direct, beaucoup plus près de la démo enregistrée dans son salon que du premier EP dans lequel on jette toutes ses meilleurs cartouches avec force embellissements à l'appui. On dirait presque qu'il a été enregistré en une prise, et toutes les pistes à la fois, sans qu'un quelconque mixage ne suive. Cela détournera probablement les oreilles peu curieuses et les amateurs de textures soignées, mais pour qui s'attache à l'importance de l'écriture et la transmission de sentiments sincères, ce premier opus est une mine étroite mais qui regorge de gemmes inestimables.
La voix d'Ellis Jones tout d'abord, fragile et rauque, douce et directe, possède un caractère qui marque dès la première seconde et sans ce sentiment désagréable et de plus en plus fréquent de l'avoir déjà entendue cent fois. Dès Sadness, très power pop, on sent poindre une influence plus américaine qu'anglaise, proche de Woods, Generationals ou Boat, avec un sens inné de la mélodie et un refus des écrins peaufinés. Ce morceau confirme tout de suite la direction qu'on pouvait pressentir à l'écoute de Cut Me Out, le premier single sorti en décembre, une brillante démonstration d'une foison d'idées qui se bousculent en un intervalle de temps record, navigant entre pop naïve et grosses guitares. Nos oreilles avaient ensuite pu être flattées avec Essay To Write, morceau joyeux et démembré qui se pare de belles polyphonies vocales et d'une multitude de transitions bien éloignées des canons de la production léchée et préfabriquée.

L'une des très bonnes surprises est l'irruption assez rapide d'une voix féminine dans le disque, celle de Roxy Brennan qui vient vite prêter main forte sur Pay Each Other Back et Idk, ballade construite autour des deux voix qui se répondent en murmures, l'un des moments les plus intimistes de l'album. Stomach et sa guitare recouverte de chorus nous assaille de mélancolie avec cette voix si retirée qu'elle paraît nous parvenir du fond d'un lac... Cette esthétique minimaliste et brouillonne fait penser aux chemins de traverse empruntés depuis quelques temps par Mac DeMarco ou Unknown Mortal Orchestra, et se trouve largement justifiée dès qu'elle s'appuie sur des trouvailles solides.
Le disque file à une vitesse frénétique, les morceaux sont tous courts et mis à bout à bout ils peinent à dépasser la demi-heure. C'est le type d'enregistrement qui justifie le bouton replay des lecteurs mp3, car quand résonnent January et ses sautes de voix folk soyeuses ou Jumper qui voit le retour de la chanteuse sur un assemblage difforme de mélancolie et de violence déchaînée, on sait que quelque chose d'important nous glisse trop rapidement entre les doigts. L'absence de vernis numérique ne peut servir de justification à personne pour discréditer ce recueil qui s'achève sur l'une des plus grandes réussites d'Ellis Jones, la schizophrénique Unwieldy Foam (« mousse difficile à manier »). Cette ballade sensible au riff accrocheur offre à la voix de très longs développements mélodiques qui basculent systématiquement dans quelque chose d'harmoniquement bizarre et imprévisible. On passe d'une promenade estivale dilettante à un soupçon de ténèbres grunge qui ne s'assume qu'à moitié, pour finir sur un solo dissonant et maladroit soutenu par une batterie qui a un son de tôle...

Passé le pseudo obstacle de la définition du son, No One's Coming For Us emmènera l'auditeur curieux dans un voyage intimiste et finalement assez facile d'accès, appuyé par un talent de composition impressionnant et une direction artistique séduisante. Trust Fund mise sur la confiance, et une fois l'écoute de ce premier disque achevée, on estimera effectivement que les probabilités de trahison future avoisinent zéro.