Is Tropical

Alors qu'il était déjà difficile de situer le trio londonien, Black Anything embrouille davantage encore, nous amenant à nous demander après les quarante minutes de ce troisième opus si l'on vient bien d'écouter du Is Tropical.

Les preuves étaient pourtant là : détaché du fameux label électro français Kitsuné pour alors venir rejoindre Axis Mundi Records, le trio d'antan devient à présent quatuor avec l'arrivée de Kirstie Fleck au chant – elle-même que l'on a pu entendre sur Dancing Anymore, single de pop débraillée tiré de I'm Leaving. Et, pour brouiller encore plus les pistes, ils ont tout quatre été enregistrer depuis 2014 sur cinq continents (Amérique du Nord, Amérique du Sud, Afrique, Asie et Europe) dans l'idée de sortir au cours de l'année dernière cinq vinyles composés chacun de deux titres.
Regroupées ce mois-ci en un disque entier – le troisième dans la courte carrière du groupe dont le debut album est paru en 2011 – les dix compositions ont pourtant l'audace de former un tout, une unité musicale cohérente et progressive, contrairement aux deux précédents qui prônaient le foutoir et l'insouciance.

La première moitié de Black Anything fait partie des trois premières sessions d'enregistrement, surprenante dans la sobriété qu'elle impose. Alors que le couplet de Lights On semble annoncer un refrain emphatique, il n'en est absolument rien. On aura simplement droit sur cette première plage à un pont instrumental à l'électro déglingué, qui semble avoir été improvisé dans l'instant mais s'avère finalement, après plusieurs écoutes, plus complexe et maîtrisé qu'il n'y paraît.
Cruise Control introduit plus loin la douce voix de Kirstie Fleck – qui ne faisait jusqu'ici qu'accompagner Gary Barber sur les deux premières tracks – sur fond d'électricité orageuse et d'électro tremblotant. Ce n'est véritablement qu'à partir de Fall que les claviers deviennent plus agressifs et menaçants, contrebalancés par le chant cristallin de Fleck.
Preuve est que Is Tropical misent beaucoup sur leur nouvelle configuration, Kirstie Fleck se voit être au centre de Black Anything, portant même magistralement sa pièce majeure, On My Way. Très certainement la chanson la plus sophistiquée du groupe, elle déroule sur près de six minutes un crescendo de synthpop délicate, se concluant sur deux minutes d'orchestrations malmenées à coup d'effets comme seule la formation anglaise sait si bien le faire.

Hormis Say, la seconde partie de l'album comprend les deux dernières sessions d'enregistrement. Alors que Barber reprend la main sur les couplets du bien trop court Follow The Sun, c'est pourtant bien Fleck qui s'empare du morceau en délivrant un refrain d'une rare beauté, pur et poignant. Now Stop retourne ensuite aux sources en affichant une instrumentation dansante, portée par des lignes de basses entraînantes, la rythmique multiple et inclassable de Dom Apa et des synthés et samples qui viennent surprendre à chaque détour l'auditeur.
Place alors à la guitare acoustique – et au xylophone ! – avec Say, une nouvelle fois interprétée par Kirstie Fleck. Sobre et légère, à l'opposé de la composition précédente, Say met, elle, l'accent sur la belle voix féminine du désormais quatuor. Mais elle ne serait pas fidèle au son Is Tropical sans les claviers, déformés mais toujours discrets, qui viennent se glisser de-ci de-là.
Les deux dernières plages sont celles issues de leur dernière session, Believe renouant davantage avec les débuts tout en tirant partie de la nouvelle recrue. L'electro pop du titre dérive progressivement sur un rock dissonant avec de repartir de plus belle sur des beats sauvages et un jeu de batterie endiablé. What You Want est quant à lui une ballade psyché, chantée à deux voix, quelque part entre la dream pop de The XX et les moments apaisants de The Kills. Une belle manière de conclure ce disque définitivement étonnant !

Black Anything est ainsi une œuvre qui tout du long ne cesse de surprendre. Plus complexe et fragile que ses deux prédécesseurs, il dévoile écoute après écoute des strates d'arrangements et d'harmonies que l'on n'avait alors pas perçues. Aussi fort musicalement que dans son concept – et son packaging : les cinq LP transparents, une fois assemblés, forment le globe terrestre –, ce troisième opus n'est clairement pas à ignorer en ce début d'année musical foisonnant.