Wild Palms

Dans l'art, le tout est de ne jamais se répéter. Picasso l'avait dit : « S'imiter soi-même est mesquin ». Certes, mais de là à se réinventer du tout au tout ? Depuis leur dernier album (et premier) Until Spring en 2010, Wild Palms n'ont gardé que leur nom et leur label : Little Indian Records. Live Together, Eat Each Other marque le tournant du rock indie voire du post-punk vers l'electronica et la pop. Virage à 90° donc.

Les treize titres de l'album s'organisent par groupes de deux ou trois entrecoupés d'interludes d'environ une minute : You Could Do Better, Rainmaking, Flowers, Open Windows. Ces interludes atmosphériques agissent comme des petits entractes ou intermezzos ente les morceaux plus longs. Car il est vrai que Wild Palms ont donné un certain côté théâtral à leur album. Par exemple, Feathers, Pt 1&2 met en scène Lou Hill, qui conte une histoire voire slamme sur un fond musical tellurique. On entend des bruitages dans le lointain. Le même procédé est utilisé pour Hungry-Mouthed Hunting Dogs. La première partie du morceau est consacré au parler puis l'instrumental prend le relai. Très cinématographique, la musique cherche à occuper un espace surdimensionné à l'aide de procédés électroniques comme la réverb, la delay.

Le problème, c'est qu'elle ne le remplit pas cet espace, elle s'y noie. A force de vouloir mettre l'emphase sur l'écho, le lointain, les sons aériens ou autres, les Wild Palms nous font décrocher. C'est dommage, car la voix androgyne de Lou est intéressante, les ponts instrumentaux, souvent en fin de morceau, sont recherchés et entraînant (Feathers, Pt 1&2, Nothing, 100 Cymbals). Mais l'excès d'air finit par... nous asphyxier. Parfois la simplicité peut être une grande qualité, ici, les mélodies pèchent par leur facilité. Sur Nothing, c'est une descente chromatique de quatre notes ; le refrain d'Again No ne casse pas non plus la baraque.

Malgré tout, les cinq Londoniens ont le mérite d'expérimenter le matériau musical. Ennio est le titre le plus énergique de l'album avec ses grosses basses et la voix suraiguë du chanteur. Produit par Liam Howe qui n'est d'autre que le producteur de Lana Del Rey ou FKA Twigs, le morceau possède déjà depuis novembre dernier un clip pop et coloré qui montre des expérimentations en animation et papier découpé. Et lorsqu'ils ne se perdent pas dans les sons nébuleux et leurs nuages, cela marche mieux. On aime par exemple l'audace de Lance & Candice qui se présente comme un morceau à la rythmique hip-hop lourde avec des sons éléctro rappelant les machines et l'usine. Les mêmes influences colorent Hungry-Mouthed Hunting Dogs. Cependant, les sons de perceuses (ou scies à métaux, au choix) plombent un peu le refrain et couvrent la voix de Lou qui se perd malheureusement déjà trop dans l'espace.

Lou Hill, Gareth Jones, James Parish, Bobby Krilic et Darrel Hawkins ont pris le virage un peu brutalement. L'electronica est certes, très en vogue, mais faire de l'electronica cohérent et de qualité qui se distingue de ses collègues est, de fait, encore plus délicat. Peut-être faudrait-il pousser le côté théâtral et cinématographique plus loin et proposer une mise en scène encore plus surprenante dans l'instrumentation. Qu'ils changent de style en cinq ans n'a rien de regrettable, c'est même une chose bienvenue. Et d'ailleurs, on n'a d'autant plus hâte de découvrir ce qu'ils nous réservent à l'avenir. Mais pour Live Together, Eat Each Other, attention à l'impasse.