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Madness

Can't Touch Us Now

Madness - Can't Touch Us Now
Chronique Album
Date de sortie : 28.10.2016
Label : Universal Music Catalogue
4
Rédigé par Olivier Kalousdian, le 2 novembre 2016
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Est-ce parce que le grand Cathal "Chas Smash" Smyth s'est décidé à s'éloigner de son alter égo de Suggs ? Est-ce à cause du statut devenu himalayen d'un groupe qui n'a cessé de prendre – injustement tardivement, il faut le reconnaitre – de l'épaisseur dans la famille fermée de l'intelligentsia rock ces dernières années ? Toujours est-il que les nutty boys, devenus, après quarante ans de carrière les nutty grandfathers, sortent leur douzième album studio, « sobrement » et un brin ironiquement appelé Can't Touch Us Now. Enregistré dans l'east london au « vintage-fitted » studio Toe Rag et co-produit par le propriétaire des lieux, Liam Watson, et Clive Langer (qui joua de nombreux rôles auprès du groupe dans les années 80), il succède à Oui Oui Si Si Ja Ja Da Da qui, paradoxalement, rendait hommage et imposait son appartenance toute entière à cette Europe aujourd'hui boudée par une partie des Anglais. Intouchables ? Mike Barson, Chris Forman, Mark Bedford, Lee Thompson, Dan Woodgate et Graham « Suggs » McPherson le sont assurément aujourd'hui. Et ils l'expriment sur des paroles à prendre, comme souvent, au second degré sur le titre éponyme ouvrant le tracklisting, Can't Touch Us Now. Avec son piano bastringue en ouverture (qui rappellera les premières mesures de It Must Be Love aux plus anciens) il est sans ambiguïté sur la capacité jamais démentie du groupe à ironiser sur son statut bientôt culte : « You can't touch us now, we're in too deep. We've got all the treasures we need ».
Un second degré, qui, néanmoins n'a jamais été aussi opportun et empreint d'une véracité que les tous nouveaux héros du Royaume-Uni (on se souvient de leur prestation aux J.O de Londres et de la comédie musicale qui leur a été dédiée en 2016) laissent poindre, de manière subjective dans tous les textes de l'album.

Nostalgiques ? Comment ne pas l'être quand, la soixantaine largement dépassée pour certains d'entre eux et une histoire maintenant derrière eux, ceux-ci évoquent, au fil du tracklisting leurs souvenirs de nutty boys, d'un Londres période punk et post-punk en proie à la misère et aux affrontements sociaux et donc, à une grande créativité artistique versus la célébrité, l'argent et l'avilissement culturelle d'une génération Y parfois séduite par le Brexit ? Good Times, sur des rythmiques quasi funky, l'évoque avec simplicité en faisant rugir le saxo baryton de Lee Thompson : « Where did all the good times go ? I've spent my days, just wasting money and now it's gone. It seems so funny... ». Ironie toujours quand on sait que de la « monnaie », ils n'en ont surement jamais eu autant ! « Don't leave the past behind you » déclame Suggs dans le titre éponyme sur des salves de trompettes cavalières et un riff de rock brut de décoffrage : « Life has just begun... ».

Premier single de l'album, Mr Apples renferme un melting pot du savoir faire mélodique et sonore du plus connu des groupes de « pop ska » à travers le monde. Piano en avant, riffs saccadés (staccato dont Chris Forman est devenu un maitre), rythmique enjouée et choeurs joyeux pour dénoncer un Mr Apples, devenu vieux grincheux reclus dans sa « House » de Camden. Et, si le clip vidéo met en scène cette grande gueule de Lee Thompson, ce n'est surement pas un hasard.
« Je n'imagine même pas ce que je serais devenu si je n'avais pas croisé la route de Madness, il y a longtemps... » déclare celui qui démarra sa vie par le vol à la tire et les effractions de voitures. « Récemment, j'ai enterré un ami de longue date qui, lui, n'avait pas croisé la route du groupe (...) ils ont du attendre cinq semaines pour l'enterrer, la famille n'ayant même pas de quoi payer le cercueil ; quelle tristesse ! ».

Cartoonesques (Grandslam et ses airs de western spaghettis), ubuesque (les répétitions de mots dans Another Version Of Me, une sorte d'anti-biographie de Suggs) et toujours versés dans les sonorités et les tempos Ska (Munbo Jumbo) en cette année de deuil pour tous les fanas du genre (décès de Prince Buster), Madness ne déçoit en rien les fortes attentes que Can't Touch Us Now a suscitées outre-Manche et dans l'Europe entière. Rare groupe anglais devenu « classique » jamais renié par nos cousins de la blanche Albion, Madness, pour leur douzième album, n'arrivent pas à rejoindre les sommets tutoyés par leurs galettes les plus célèbres par manque d'un hit, d'un titre et d'une mélodie mémorables, mais continuent à déverser sur les platines et les scènes du monde entier une musique riche et entrainante et des sarcasmes hilarants issus d'une vision acerbe d'un Londres qu'ils ont du mal à reconnaître aujourd'hui et dont ils sont désormais les plus dignes représentants (à ce sujet, l'art-work du disque est sans équivoque). Le tout sans jamais sombrer dans le mélo négatif.
Soul Denying, titre en clin d'oeil à leurs cousins, inclut des textes en français lus par une voix féminine au si fort accent anglo-saxon que l'on repense aux accents forcés d'un Jean de Florette version Claude Berry et interprétés par de purs parisiens ! Même dans les dérives sentimentalo-évitables de certains titres comme Soul Denying, impossible de tenir rigueur à Suggs et sa bande de toujours d'avoir tenté, sur une piste au moins, de plaquer des nappes de violons, au fond.

Il y a, dans cet album bilan des airs de grâce et des relents de The Pogues quand ceux-ci étaient les dignes dépositaires de l'histoire folklorique de l'Irlande et de ses excès au travers de textes réalistes alcoolisés accompagnés de mélodies joyeuses.
Comme un Vito Corleone passant en revue sa vie dans l'east-side de New York, faisant le décompte des morts et des vivants, des erreurs et des bonnes actions, des bons et des mauvais souvenirs, Can't Touch Us Now et ses seize titres s'imposent en testament d'un des groupes qui restera comme le plus anglais, le plus impertinent et le plus remarquable des années 80 pour parvenir, quasi intact, jusqu'aux générations actuelles. Ces dernières, reconnaissantes, n'ont jamais manqué l'occasion de rendre hommage à des ainés dont les titres squattent encore les pistes de danses du monde entier faisant remuer des foules bigarrées sur One Step Beyond, Our House ou Night Boat To Cairo ; autant de titres qui n'ont jamais été pensés ou joués pour attirer les foules et c'est bien là tout le génie de ces Madness à qui on ne peut que souhaiter une longue vie sans aucun droit à la retraite !

S'il semble de plus en plus difficile pour eux depuis plusieurs années d'écrire le hit, le morceau qui va renverser la table et l'histoire comme beaucoup d'anciens de leurs titres l'ont fait, on ne peut qu'aimer cet album – disponible dans une version Deluxe agrémentée d'un jeu de cartes (également jeu de société inventé par un de leur proche), d'un double CD et de photos du groupe – d'une authenticité et d'une honnêteté criantes.
tracklisting
    01. Can't Touch Us Now
  • 02. Good Times
  • 03. Mr. Apples
  • 04. I Believe
  • 05. Grandslam
  • 06. Blackbird
  • 07. You Are My Everything
  • 08. Another Version Of Me
  • 09. Mumbo Jumbo
  • 10. Herbert
  • 11. Don't Leave The Past Behind You
  • 12. (Don't Let Them) Catch You Crying
  • 13. Pam The Hawk
  • 14. Given The Opportunity
  • 15. Soul Denying
  • 16. Whistle In The Dark
titres conseillés
    Can't Touch Us Now - Another Version Of Me - You Are My Everything - Mr Apples
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