« Roskilde est l’événement le plus représentatif de la culture et l’état d’esprit danois ».
Dixième festival de Roskilde pour Anders, aux côtés de qui j’essaie vainement de me protéger de la pluie qui vient à peine provoquer la horde de danois déjà présente sur les différents camps depuis une semaine, pour s’imprégner de l’esprit de Roskilde ; baptême de feu pour moi, celébré par un alcool à la réglisse qui râcle le gosier, et un six-pack de bières pour calmer tout ça. Il est deux heures de l’après-midi.
Le festivalier moyen ici - d’après le communiqué de presse envoyé par le festival - serait un jeune danois de vingt-trois ans résidant à Copenhague ; et c’est tout ce que mes maigres connaissances en danois me permettront de comprendre. Mais en réalité, il y est évidemment expliqué toute la promotion corporate habituelle de festival : 41ème édition, 170 groupes, 6 scènes, 100 000 spectateurs réunis sur 4 jours. Malgré une édition qui pâtit d’une programmation qui manque de véritables gros noms (Arctic Monkeys, Portishead, les Strokes, M.I.A., PJ Harvey, Iron Maiden (sic), Kings Of Leon (re-sic)) le festival était déjà sold-out une semaine avant le premier jour de concert. Premier Roskilde, premières impressions.
Première erreur déjà : avoir négligé les quatre premiers jours de warm-up. N’y étant arrivé que le dernier jour, je peux ressentir ce que j’ai manqué. Les camps sont des petits quartiers, des petits bourgs determinés où chaque voisin invite son vis-à-vis, où à chaque coin de rue s’improvise une block-party aussi bien à deux heures de l’après-midi qu’à trois heures du matin. Parenthèse refermée, premiers concerts pour ce jeudi avec l’ouverture du groupe danois
Veto sur la grande scène Orange. Groupe qui pourrait être intéressant mais qui ne demeure finalement qu’anecdotique. La voix grasse de Troels Abrahamsen, qui n’est pas sans rappeler celle de Brandon Flowers à qui il pique également ses modulations plus ou moins efficaces, s’associe bizarrement avec les rythmiques électrisantes de Veto. Les mouvements demeurent ainsi souvent statiques, et les tentatives de profondeur new-wave restent très superficielles. Direction la toute fin du concert de
Black Milk, accompagné de ses musiciens, et sur la base hâtive de la seule chanson à laquelle j’ai pu assister, le concert devait être trépidant et remarquable.
Tame Impala et leur grungo-post-rocko-shogaze viennent envahir la sale Odeon. Dans la lignée de leurs congénères d’Ariel Pink’s Haunted Graffiti, les Australiens font revivre un rock seventies, planant, aux accents graves qui viennent ponctuer des basculements d’un tout au tout. L’esprit shoegaze est d’ailleurs l’aspect le plus mis en avant, en adoptant les postures – peu de mouvements scéniques, communication réduite à son maximum – mais aussi les longues plages sonores, qui varient avec aisance. Cependant, l'aggressivité immédiate du bruit, inhérente au genre, n’est pas présente chez Tame Impala. Chez eux, la mélodie prime, avec ses cassures et ses ambiances alternées. Mais le tout peut paraître un peu fade, car la densité du son n’est alors plus aussi homogène, n’est plus aussi lourde. Il nous gratifieront cependant d’une reprise fort bien ciselée d’
Angel de Massive Attack, qui aura fait l’effet d’une petite bombe.
Foals se fait attendre, et les quelques 17 000 personnes venues se ruer sous la tente de l’Arena les attendent de pied ferme. A l’image de leur
Total Life Forever, le nouveau visage de Foals divise, tant qu niveau les attentes, que du résultat en lui-même. La métamorphose de Yannis Philippakis, – ou plus exactement la dualité qu’ il incarne – d’un catalyseur au bord de l’implosion en un chanteur presqu’intimiste et calfeutré dans son univers, est perturbante. Ce revirement aérien donne pour effet des mouvements et des décollages rythmiques qui semblent avoir un mal fou à trouver bonne destination. Les belles mélodies et la retenue virile de Yannis sur
Black Gold ou
Spanish Sahara n’empêchent malheureusement pas à ces chansons de pêcher par une intensité qui se dissout à mesure que la chanson évolue. On ne danse ainsi qu’à moitié, on n'est ennivré qu’à moitié, l’ un prenant le pas sur l’autre, comme un balancier instable qui peine à trouver justesse et équilibre. Un furieux et animal
Two Steps, Twice viendra enflammer tardivement une prestation honnête, mais frustrante de par son incapacité à remplir chacun des rôles auquel Foals prétend.
Je m’excuse d’avance de ma subjectivité intrinsèque concernant les groupes trop vieux pour être encore pertinents aujourd’hui. Cette année à Roskilde, il y avait ceux venus pour
Iron Maiden, les autres, et un faible pourcentage d’entre-deux. Venus camper trois heures avant le concert pour se réserver la fosse principale, les premiers ont pu apprécier des premières loges la prestation d’une des têtes d’affiche du festival. Ultra-théâtral, kitsch ascendant mauvais goût, on retiendra cette video d’introduction de cinq minutes ressemblant à un pastiche SF-goth de l’enclave new age du dernier Terrence Malick. Malgré cela, l’énergie est semble-t-il bien là, la basse vrombissante de Harris et le chant grinçant de Dickinson également, et
The Number Of The Beast parvient à faire son petit effet.
Sans transition, puisque
PJ Harvey débutait presqu’au même moment de l’autre côté du parc. De son rôle de femme blanche, gracieuse et précieuse période
White Chalk, on ne retiendra pas grand-chose : des mélodies lentes et éthérées, des cordées futiles et des poses inutiles. On apprécie beaucoup plus quand Polly Jean prend sa guitare, et pousse sa voix pour un rock urgent et chamanique. Il n’y aura alors plus d’instants de flottement, plus de retenue singulière, seules des compositions parfois rêches et parfaitement bien amenées, et une présence qui rayonne, avec une PJ Harvey qui happe, dans sa robe blanche désormais maculée de tension, de défauts, de regrets, et d’importance de l’instant.
Sur la drum’n’bass bien foutue et épisodique de
Chase & Status se termine cette première journée de concerts à Roskilde, et ce premier pas vers mon parcours d’initiation dano-danois – qui passe par l’étape « chanter Oasis et les Beatles comme des veaux dans le dernier bar ouvert ». Il est six heures du matin, je clos ce premier article et vais peser le pour et le contre sur le chemin du retour vers ma tente pour savoir si, demain, je commence par Nicolas Jaar ou Bright Eyes.
Vi ses i morgen.