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Roskilde Festival

Roskilde, du 30 juin au 3 juillet 2011

Live-report rédigé par Kris le 5 juillet 2011

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S'il ne fallait venir qu'un seul jour cette année à Roskilde, le samedi était le choix incontournable. Ce fut d'ailleurs la première journée à être soldout au niveau des pass jour, ainsi que le jour de convergence entre les festivaliers s'étant libérés pour le week-end uniquement, et ceux présents depuis plus d'une semaine. Une sorte de dernière ligne droite. Il fallait survivre à ce samedi, malgré la fatigue accumulé, les cors aux pieds et les bières enfilées. Il ne restait plus que ce jour pour assurer une sorte d'accomplissement du festival. Une pluie s'annonce, mais rien ne m'empêchera de voir les Strokes. C'était écrit.

La dernière fois que j'ai vu Kristian Mattsson, aka The Tallest Man On Earth, il remplissait l'horrible salle du Scopitone à Paris, et ses 150 personnes, dont la moitié ne lui payait d'ailleurs aucune attention. Aujourd'hui, le voici à Roskilde sous la tente Cosmopol et ses 3000 personnes venues pour l'acclamer, l'applaudissant avec ferveur. Malgré nos craintes quant à la capacité du folk minimaliste du Suédois à atteindre un tel public, frivole, impatient et aisément volatile. C'est sous-estimer le personnage qu'est Matsson, réservé et impressionnable lorsqu'il se présente seul sur la scène, mais qui se métamorphose en une bête de foire, homme-orchestre et troubadour, clamant et chantant ses vagues-à-l'âme abstraits et virulents. La voix criarde de Matsson fait vibrer cette enceinte, qui résonne désormais au son d'un folk puissant et habité. The Tallest Man On Earth brille et nous offre même une session d'americana où King Of Spain se pare d'un accompagnement basse-batterie des plus foudroyants. Je regrette parfois cette folk brute, cette intimité déconcertante qu'offrait la quasi-confidentialité dans laquelle évoluait The Tallest Man On Earth il y a de cela encore à peine un an. Aujourd'hui, j'ai rencontré des compagnons de voyage, qui chacun nourrissait cet amour pour l'univers calfeutré de Kristian Matsson. Il n'est jamais aisé de se faire à l'idée de partager son intimité, mais sentir ce même frisson parcourir foule et travées pendant I Won't Be Found, du Scopitone à Roskilde, est un sentiment inégalable.

Diamétralement opposé, se trouvent Jaz Coleman et ses Killing Joke, aux portes de l'apocalypse. On n'aurait jamais cru que notre figure messianique face à la fin du monde ressemblerait à cette carcasse sombre, impressionnante par sa brutalité et sa violence contenue. Pourtant, à l'intensité intenable depuis trente ans, Killing Joke est toujours l'un des chefs de file des plus fascinants d'un héritage punk qui se dilue petit à petit dans l'histoire de la musique. Killing Joke garde cette noirceur et ce nihilisme constant. L'Arena verse dans un rock aussi bien forcené et à importante influence métal, tout en gardant une mélancolie intrinsèque, se couvrant de couches lourdes et abondantes. Mais la voix rocailleuse, grave et lugubre de Coleman, fait d'un concert de Killing Joke une messe noire dont il est difficile de se détacher, comme si l'on venait d'assister à la fin du monde, intense et tellurique. A laquelle on aurait survécu.

 

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Ce n'est que de loin que l'on assiste à la prestation de TV On The Radio, pause déjeuner oblige. Les Arctic Monkeys sont les prochains en lice sur la scène Orange. Attendue au tournant, la prestation des Anglais sera mitigée. D'un côté, la plupart des chansons des Arctic Monkeys, surtout les anciennes, sont de qualité et se suffisent à elles-mêmes, de When The Sun Goes Down à Teddy Picker qui font s'animer la fosse. Mais à côté de cela, le terme de « spectacle » est légèrement décalé tant la présence du groupe est loin de ce que l'on pourrait attendre d'une tête d'affiche. Peut-être est-ce le style qui veut ça, mais le format sobre et distant ne fait que desservir un rock fait pour être porté et emmené. Il n'y a ainsi aucune variation scénique ou stylistique entre le grand écart fait de la puissance juvénile de I Bet You Look Good On The Dancefloor et la ballade aux échos britpop She's Thunderstorms. Les mélodies sont délivrées tout-de-go, sans réelle nuance ou finesse.

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Et à partir de la fin du set des Arctic Monkeys, tout se gâte. Un peu comme ces tournants dramatiques de toute bonne histoire. Des points de non-retour, théâtraux, à la limite de l'incroyable et de la mythomanie compulsive. Pour ce samedi, je voulais vraiment faire un compte-rendu propre, détaillé, pour faire honneur à ce superbe festival de Roskilde, et ne pas uniquement balbutier quelques vilains mots délivrés sous la contrainte de la fatigue, du froid et d'une volonté de rejoindre mon duvet froid. De la salle de presse à six heures du matin où ronflent deux-trois barbus, et où les volontaires pètent les plombs sur du Katy Perry, ma tente me semblait être l'eldorado. J'avais même pris des notes sur mon petit carnet, j'avais pré-écrit mes compte-rendus, noté quelques titres joués et que je pourrais insérer l'air de rien pour faire bien dans l'article. Non, vraiment, cela partait d'une bonne intention. Puis vint le glas. « A Copenhague, c'est le déluge » m'envoie un ami par texto. Un peu comme le tremblement de terre dans le Short Cuts d'Altman qui redéfinit le contexte initial, redistribue de nouvelles cartes en main.
Vint le déluge. Avec tonnerre, tempête, bourrasques. Chacun tentait de trouver tant bien que mal un endroit où s'abriter, mais tout cela semblait bien mal parti pour la suite. Bye bye les Strokes, bye bye James Blake, bye bye Congotronics, bye bye Deadmau5. L'orage grondait juste au-dessus de nos têtes, le terrain ruiné, et le vent qui ne s'arrêtait plus. Il en a été ainsi pendant plus d'une heure et demie. Persuadés que la journée s'arrêtait là, il a alors fallu trouver d'autres occupations. J'ai rangé mon appareil photo, mon carnet, et une nouvelle soirée commençait sous l'égide de rhum et de vodka.

La pluie s'est arrêtée vers 22h30, juste à temps pour les Strokes. Le champ devant la scène était dans un état désastreux, maculé de flaques de boue, les gens ruisselants. Je n'avais plus qu'une heure devant moi, et je le savais, le temps que l'heure écoulée à boire ne fasse effet. Les deux premières heures qui suivent sont toujours les meilleures. Euphorie. Les tubes s'enchaînent sur la scène Orange, et l'attitude poser perfecto/lunettes noires, l'air fallacieusement prétentieux de Casablancas font fureur. Is This It a dix ans, et j'en connais encore les paroles par cœur, sautillant dans la boue comme un gosse à son premier concert. Last Nite, Hard To Explain, Someday, ça, ce sont des titres qui ont forgé ma culture musicale, comme l'ado des années 2000 que j'ai été, vocation née de cette vague de nouveau rock. Passer du rap au rock aura été un des moments marquants de ma vie, troquant l'héritage initiatique de la banlieue à la musique citadine, à la « musique de droite » comme se questionnait à un moment Rock'n'Folk, musique de blanc pour un fils d'immigré comme moi.
Les Strokes auront été l'une des principales pierres à l'édifice de ce changement ; non pas que je sois fan assidu, mais ils demeurent symboles de l'époque. Dix ans que j'ai attendu de voir les Strokes, d'occasions manquées en snobisme mal placé, ce sera finalement dans la boue et dans mon nouveau pays d'adoption, libéré de considérations et contraintes, que j'ai pu renouer avec une jeunesse que j'idéalise maladroitement de jour en jour. C'est également là qu'est le grande drame des Strokes, car malgré leur très bon et solide concert, ils resteront à jamais un produit de leur temps, dont ils ne pourront jamais se défaire.

A partir de ce moment-là, la soirée s'est arrêtée. Tout n'est que flou et sensation de moiteur, l'air lourd s'immisçant sous les tentes, les pas incertains et les jeux de funambule sur les mares de boues faisant office de norme désormais. J'étais définitivement dans la fosse face à Deadmau5, mais par flashs intermittents, par cris et basses entrecoupés résonnants sur la grande scène. Ce ne sera que deux heures et demie plus tard que je recommencerai de nouveau à accumuler des souvenirs. Je me doutais bien que là, tout serait foutu pour le compte-rendu, oubliant toute existence de mon carnet de notes, et n'ayant absolument aucune confiance en ma personne pour me souvenir de quoique ce soit le lendemain.
Devant moi, je vois un type en t-shirt, en train de tituber, et comme dans un film burlesque en noir et blanc, tomber dans la seule flaque de boue à 50 mètres alentour. Pourquoi venir à un festival, très onéreux qui plus est, pour finir dans pareil état ? Puis je me suis senti comme dans la fameuse chronique de Hunter S. Thompson sur le Kentucky Derby, à m'enfiler ma énième bière, alors que j'ai mon bracelet média, me permettant d'accéder à des toilettes propres, du café à foison, des bornes internet, une consigne gratuite, une tente dans un espace calme et réservé. Bien sûr je n'avais pas accès aux bières illimités Tuborg, bien sûr je n'allais pas tchatcher de la blonde danoise au bar média alors que jouent les Strokes ou Portishead ; oui, j'ai essayé d'aller voir les concerts importants, de faire un compte-rendu, même hâtif, tous les jours, de faire ce pourquoi j'étais là. Mais qu'est-ce que j'ai pu mépriser – et envier - les gens comme ceux comme moi aujourd'hui, grapillant et profitant, parasites d'un système où la musique n'est que prétexte. La ferveur était là, et c'est ce qui m'a poussé, moi, un gamin lambda, à me construire une culture musicale seul, de zéro, et d'essayer très modestement d'apporter ma contribution au monde de la musique et à son industrie ; univers épuisant, parfois rébarbatif, frustrant très souvent, mais que j'aime profondément et désormais indissociable de ce que je suis. On ne se voit jamais changer.

Il est trois heures et demie et me voilà donc en train de danser sur Jagwa Music dans le Cosmopol, tant bien que mal avec mes bottes qui font du 44. Il y a encore du monde, et tous ont l'air tous aussi défoncés que moi. Je ne sais si c'est rassurant. Le groupe Tanzanien harangue la foule, casse les rythmes et les cadences. L'énergie délivrée par Jagwa Music est transcendante et s'allonge jusqu'à ce que les premières lueurs du jour ne fassent leurs apparitions. Je me retrouve au milieu d'un groupe de quatre jeunes garçons aux traits durs, de l'Est ou des Balkans, aux hormones sous-jacentes.
« We come from Lithuania every year (j'en étais sûr) » me dit l'un d'eux, vêtu de son marcel noir arborant son immense tatouage tribal sur l'omoplate et le bras gauche.
« This negro shit is awesome ! » me crie l'un des autres types à l'oreille. Son ami le prend au cou et l'entraîne sauter de manière très brutale dans la fosse, faisant valdinguer une pauvre fille contre le rebord de la barrière. Je n'arrive même pas à savoir s'ils sont bourrés ou pas. Moi si, en tout cas, fort heureusement.
artistes
    Per Vers
    Zea
    Hymns From Nineveh
    Be-Being
    Shukta Roma Rap
    Hackdaw With Crowbar
    Love Shop
    Api Uiz
    The Tallest Man On Earth
    John Grant
    DJ Rupture
    OFWGKTA
    Kaizers Orchestra
    Killing Joke
    Ililta Band
    Munchi
    Soilwork
    Elektro feat. John Tchicai
    The Ex
    The Gaslamp Killer
    TV On The Radio
    Little Dragon
    Kloster
    Arctic Monkeys
    Ouaden
    James Blake
    De Eneste To
    Yelle
    Dark Dark Dark
    Underoath
    Calle 13
    The Strokes
    Awesome Tapes From Africa
    Congotronics Vs Rockers
    Kemialliset Ystavat
    Chris Cunningham
    Ivo Papasov & His Wedding Band
    Fally Ipupa
    Awesome Tapes From Africa
    Autopsy
    Deadmau5
    Roll The Dice
    Lykke Li
    Spids Nogenhat
    Jagwa Music
    Kitchie Kitchie Ki Me O
    WALLS