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La Route du Rock

Saint-Malo, du 12 au 14 août 2011

Live-report rédigé par François Freundlich le 20 août 2011

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Le soleil est de retour pour un dimanche après-midi passé à Saint-Malo intra-muros. Nous débutons la journée dans le cadre intimiste du Palais du Grand Large où la californienne Chelsea Wolfe ouvre la dernière journée.

Se présentant masquée et cachée dans une pénombre perturbante, Chelsea Wolfe propose une musique toute en fragilité. Seule avec sa guitare électrique ou accompagnée d’un DJ, elle distille une ambiance sombre entre un folk mystérieux et une cold wave dérangeante. La profondeur dans sa voix rappellerait PJ Harvey si la façade dark n’était pas si prononcée. Des projections lumineuses renvoient son image déformée par des vagues ou d’autres formes sur les murs du palais. Le public, quand à lui, est attentif dans cet auditorium au son parfaitement adapté. L’américaine monte subitement le son afin d’écorcher son instrument jusqu’à la saturation. Sa voix atteint alors des aigües captivants et inattendus. On aurait aimé que ce type de surprises énervées parsème un peu plus les chansons pendant quelques longueurs, même si Chelsea Wolfe s’en sort bien et a su redémarrer nos tympans en douceur.

 

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Pour continuer dans le folk radieux, Josh T. Pearson, ancien leader de Lift To Experience, fait son retour sur le festival après son concert surprise l’an dernier en haut des remparts du fort entre deux moutons. Il a cette fois les honneurs du palais et est chaudement acclamé dès son entrée en scène. Il baragouine quelques bons mots avec un accent texan en s’accompagnant à la guitare, ce qui fait rire le public tout en décidant ce qu’il va jouer.
Il entame en premier titre une reprise de Rivers Of Babylon de Boney M, dans une version cataleptique. On sent de la surprise dans les allées, on s’attendait certainement à tout sauf à ça. On reste néanmoins scotché par cette voix qui vient du fond de l’âme et donne l’impression de pouvoir émouvoir Raspoutine lui même. Pour rester dans la comparaison, les deux hommes possèdent la même barbe fleurie. Seul, accompagné de sa guitare folk et éclairé uniquement par un spot lumineux géant, Josh livre des compositions personnelles et authentiques. Les longs textes sont finement écrits et chaque titre dure une dizaine de minutes. La gorge se serre et certains passages sont d’une tristesse contagieuse. Après un rappel de toute beauté, on reste sous le charme.

 

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Retour au fort de Saint-Père pour voir l’étendue des dégâts. Le sol a été nettoyé et on peut circuler sans trop d’encombre et sans vêtements chauds. Toutefois, la foule n’est pas au rendez-vous, cette journée ayant attiré beaucoup moins de festivaliers que les précédentes malgré la présence de Fleet Foxes.
Les New Yorkais de Here We Go Magic entrent en scène avec leur pop folk aux rythmes africains relevés de claviers adoucis. Le songwriter Luke Temple accompagne sa voix entrainante d’une légère guitare rappelant Vampire Weekend. Malheureusement on est beaucoup moins emballé par des mélodies qui se perdent en longueur pour ne procurer qu’un ennui profond. Les claviers asthmatiques de la jeune fille affalée sur son tabouret à droite de la scène s'avèrent inutiles et nuisent plutôt aux morceaux. Les chœurs de la bassiste pleine d’entrain parviennent à apporter une touche de légèreté dans une lourdeur générale qui ne motive pas vraiment la foule. Même le single Collector n’emballe pas malgré une version studio plaisante. Ce dimanche folk débute moyennement mais on sait que le meilleur est à venir.

 

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Le collectif d’Austin Okkervil River fait dès son entrée ressentir son envie de réjouir la Route du Rock, tout en avouant avoir eu peur que le beau temps ne soit pas au rendez-vous. Porté par la tête pensante Will Sheff dont le chant se veut entrainant au possible, le groupe mélange un lyrisme dans les arrangements à un folk rock qui se veut parfois épique. La guitariste Lauren Gurgiolo attire tous les regards. Cachée derrière ses bouclettes, elle apporte les harmonies électriques avec une présence scénique exceptionnelle et danse tout en réglant son pédalier.
Il suffit d’écouter puisqu’il s’échappe de ce groupe une gaieté toute particulière, résumée par leur titre d’ouverture Wake & Be Fine. Les arrangements au piano apportent une légèreté qui pousse à la danse et le public ne s’y trompe pas. On n’est pas loin de cette communion énergique musicale pouvant émaner d’Arcade Fire, là où chaque instrument pousse la chanson vers une délivrance finale. On le sent quelques fois lorsque tout se termine dans un déchainement noisy général, d’où émergent les premières notes du titre suivant.
Les racines folk sont néanmoins bien présentes sur des ballades plus traditionnelles mais tout aussi belles, comme A Girl In The Port dédicacé aux moutons du fort. Will écorche sa voix en se laissant emporter par ses mouvements incessants et ses sauts, provoquant l'envie d’en faire de même. Il va partager ses accords de guitare acoustique avec chaque membre du groupe sur des passages instrumentaux enflammés. Sans temps mort, chaque composition est un petit régal de pop entêtante à l’image de Your Past Life As A Blast et ses chœurs aériens. Il ne manque que quelques notes de trompette pour compléter le tableau et obtenir un groupe qui se donne corps et âme pour faire vivre une musique autant agréable à voir qu’à écouter, qui se vit tout simplement. Will s’offre un final déjanté durant lequel il ère sur scène micro à la main pour jeter ses dernières forces dans un épique Unless It’s Kicks. Okkervil River restera le rayon de soleil de ce dimanche malouin.

 

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C’est au tour de Cat's Eyes, composé notamment du leader de The Horrors Faris Badwan et de la multi instrumentiste Rachel Zeffira. Formé au début de l’année, le groupe connaît un certain succès avec un album beaucoup plus pop que ce que l’on connaît du charismatique chanteur. Il est influencé par la formation classique de Rachel ainsi que par sa voix rappelant les girls group sur des refrains entêtants. L’adaptation sur scène est par contre beaucoup plus rock et torturée puisque les guitares électriques prennent le dessus.
Faris débute au chant faisant résonner sa voix grave aux airs de Ian Curtis. Il reste en retrait derrière des riffs de guitares s’échappant violemment et des lignes de basse hypnotiques. Rachel s’installe derrière ses claviers pour assurer les chœurs sur des nappes de synthé difficilement perceptibles. On croirait presqu que les chansons ont été Horrorisées pour leur adaptation et on commence à penser que leur particularité studio se fond dans une réalité rock pour le festival. Après des débuts de concerts chaotiques où l’on a du mal à percevoir des mélodies dissimulées derrière un mur du son électrique, certaines chansons s’échappent de ce marasme.
Avec Not A Friend, Rachel reprend le micro et s’accompagne au piano pour apporter au groupe une façade plus sensuelle. Face In The Crowd est la chanson qui nous poursuivra bien après le concert avec son refrain interprété par Rachel. Elle prend toute sa puissance grâce à ses balancés vocaux répondant à la guitare de Faris. L’ambiance reste néanmoins sombre quand ce dernier reprend les devants et quelques adaptations moins réussies donnent le sentiment d’un concert inégal porté par des coups d’éclats fugaces, comme lorsque Rachel s’installe au marimba. Accélérées, les chansons sont par là même beaucoup plus courtes et le groupe quitte la scène après seulement trente-cinq minutes de concert. On reste donc sur sa faim sans vraiment avoir pu se faire une idée plus précise de ces mystérieux Cat’s Eyes.

 

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La tête d’affiche tant attendue de ce dimanche est Fleet Foxes, groupe qui n’a visiblement pas encore la notoriété qu’il mériterait pour attirer un large public. Après une douce introduction instrumentale, l’orchestre folk début le concert avec des titres de son dernier album Helplessness Blues. La voix de Robin Pecknold est frappante de beauté dès les premières notes. Elle est d’une profondeur et d’une clarté subjuguantes, relevée par les chœurs doucement susurrés par les autres membres du groupe. Les orchestrations sont délicatement amenées par les superpositions des quatre guitares. Ce mélange est un délice pour l’auditeur, d’autant plus que les voix se superposent sur les refrains intemporels dont les américains ont le secret.
Le piano droit sur la gauche de la scène relève chaque composition de touches magnétiques par ses délicieux arpèges, comme sur Battery Kinzie. Un sentiment de perfection et de plénitude poursuit les Fleet Foxes dans chaque composition. Les balades du dernier album comme Sim Sala Bim sont accompagnées d’une base de mandoline surmontée d’un violon terminant son crescendo par une explosion de cordes. L’archet s’en souviendra, nous aussi. Finalement, les titres du premier album, chef d’œuvre fondateur qui lia les racines du folk à une certaine modernité de composition, sont à leur tour proposés. Le refrain de Your Protector et ses montées vers des sommets vocaux est accompagné d’une douce flûte traversière renforçant le coté bucolique d’un titre que l’on croit sorti tout droit des années 60s. Léger moment de calme avec l’attendrissante Tiger Mountain Peasant Song avant le grand moment de communion de cette soirée de dimanche. Les premières notes de White Winter Hymnal résonnent et le public exulte tandis que Robin répète ses « I was following the » avec ce phrasé si particulier dans la manière de prononcer les mots. Tous les membres reprennent en canon avant que les chœurs ne soient entonnés par le public. Ces voix s’échappent dans la nuit malouine éclairée par un superbe jeu de lumière jaune orangé.
Ce titre majeur est enchainé avec Ragged Wood et ses accents pop lorsque la basse Höfner s’emballe. Un autre grand moment est l’interprétation magistrale de He Doesn’t Know Why, on se dit que les Fleet Foxes n’ont que de grands morceaux dans leur besace et leurs enchainements ne peuvent que nous transporter. L’intimiste Blue Spotted Tail laisse Robin quasiment seul pour une ballade aux inspirations rappelant Dylan. Helplessness Blues conclue un concert qui fera date, transformant le festival en La Route du Folk pour une nuit. On en ressort le sourire aux lèvres et tout simplement apaisé.

 

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Pour continuer la soirée, les californiens de Crocodiles reviennent sur des terres bretonnes qu’ils connaissent très bien depuis quelques mois. Après un passage remarqué aux Transmusicales de Rennes, on les sent prêts à se frotter à une plus grande scène dans la nuit malouine. Le son se fait puissant, ils utilisent au maximum les capacités sonores du mur d’ampli pour enflammer un public qui ne demandait qu’à se défouler après ce passage plus calme.
La voix grave mais adolescente de Brandon Welchez résonne à l’arrière d’un son de guitares shoegaze aux pédaliers capricieux. Les compositions sont simples et directes, on ne demande que cela pour terminer une Route du Rock. On sent que le groupe a nettement gagné en présence scénique depuis son dernier passage, à moins que l’excitation ambiante ne les survolte. L’évidence de Hearts Of Love fait toujours mouche dans une lignée de singles entrainants et fédérateurs. Son refrain ne laissera personne indifférent vu la puissance de la brusque montée en régime. Les claviers de Mirrors sonnent comme un prémisse à la soirée électro qui s’annonce. I Wanna Kill est l’autre tube imparable aux inspirations punk dans la voix criarde et la batterie, mais sans oublier sa reverb appropriée. Un excité monte subitement sur scène pour se livrer à des danses indiennes plutôt comiques entre les membres de Crocodiles. Alors que la sécurité s’apprêtz à le cueillir, Brandon se livre à un plaquage parfait sur le vigile pour que son nouvel ami reste sur scène. Ils terminent le concert ensemble, le leader laissant même son micro à Sitting Bull de manière à faire un big up à Arthur Rimbaud imprimé sur le t-shirt de Brandon. Les Rimbaldiens sont à la Route du Rock et s’amusent dans une liesse finale. Crocodiles aura bien excité son monde, une aubaine pour les DJs qui vont prendre la suite.

Dan Deacon prend le relai avec un concert explosif sur la deuxième scène de la tour, derrière la régie. Mondkopf sera chargé de clôturer cette 21ème Route du Rock un peu plus tard. Cette troisième journée au palais et au fort fût encore une grande réussite avec en point d’orgue les concerts d’Okkervil River et de Fleet Foxes qui ont su enflammer les âmes. Le festival a affiché 20 000 entrées sur trois jours et réussi cette année encore son pari d’un événement à taille humaine et à la programmation pointue face aux vils mastodontes du milieu. Une scène, un public et les meilleurs groupes du moment pour une recette qu’on espère retrouver encore très longtemps.
artistes
    Fleet Foxes
    Crocodiles
    Okkervil River
    Cat’s Eyes
    Dan Deacon
    Mondkopf
    Here We Go Magic
    Josh T. Pearson
    Other Lives
    Chelsea Wolfe
    François & The Atlas Mountains