Notre périple en terres belges se termine et le refrain du jour pourrait parfaitement être hip-hop pop tant on alterne les concerts de rap avec ceux de pop. De Dope D.O.D à Chairlift, de Disiz à Baxter Dury, des Flaming Lips à Assassin, tant de réjouissances qui, malheureusement, annoncent la fin.
On commence la journée avec du gros rock qui tache, presque autant que la boue qui détruit nos bottes :
Turbowolf. Rien de spécial à ajouter - à l'image de la fin du concert de
The Computers à laquelle on assistera - si ce n'est un son un tant soit peu cliché, des attitudes ringardes et des intentions largement rebattues. Il faut dire que lorsqu’on se présente sur scène, il faut oser proposer autre chose qu’un rock boosté au hard rock pour le premier ou à des sonorités vaguement électroniques pour le second.
Heureusement pour nous, au milieu de ces deux concerts il y a Team Me.
En formation plus rock que sur leur premier album, ces norvégiens offrent à ce début d'après-midi difficile, tant sur le plan météorologique que mental, une bouffée d'air pur : c'est énergique et éclaté, voire éclatant. Si le groupe s'était formé à la base pour le besoin d'un simple concert, on ne regrette pas une seconde qu'il ait poursuivi sa quête des grands espaces et des univers féériques, un peu comme si Polyphonic Spree et Arcade Fire se réunissaient au sein d’une chorale aux refrains bisounours.
Un appel à la liberté que
Dope D.O.D et leur hip-hop underground, se font un malin (malsain?) plaisir à détourner, déformer et pervertir. Cela ne sautera peut-être pas aux yeux de tous - tant ils ont une approche classique du hip-hop, sans fioritures - mais pour nous c’est plus qu’une évidence, ces hollandais ne sont pas des mecs normaux. A leurs côtés, l'avenir sera hostile et décapant. On a hâte de vérifier. Après tout, l’avenir c’est maintenant. C’est d’ailleurs une formidable coïncidence de penser au futur avant un concert de
Chairlift. Car c’est sans attaches au présent, un pied ancré en 1982 et l’autre en 2032, que la bande de Brooklyn compose. Même si cela ne s’entend pas forcément durant les quinze premières minutes, faute à un son déplorable (où comment gâcher un chef d’œuvre de pop pastorale,
Take It Out Me), la suite n’est que splendeur. Caroline Polachek est bien présente et on se laisse volontiers emporter par les envolées synthétiques de cette pop savoureuse et énigmatique.
Énigmatique,
Disiz ne l’est en aucune façon. Le rappeur est plutôt du genre lucide. Cela tombe bien, c’est le titre de son nouvel EP où il démontre clairement qu’il n’est pas simplement le genre de mec qui pète les plombs, mais bien de retour pour reconquérir son public. Pour cela, le rappeur opère en trois épates : clamer sans cesse que l'on revient à la source ; en apporter la preuve en interprétant les tubes qui l'ont mené au sommet (de
J'pète Les Plombs à la saga
Bête de Bomb, des classiques restent des classiques); s'en aller tel un boxeur, la serviette sur la tête sur un sample de M83. Mission remplie.
Baxter Dury, lui, n’a pas à se soucier de reconquérir qui que ce soit puisque qu’il est déjà au top de la pop. L’enfant prodige de Ian Dury et de toute l’Angleterre enchaine les tubes imparables (de
Claire à
Isabel) au sein d’un set élégant et d’une précision rare. Efficaces mais jamais racoleuses, les compositions de Baxter Dury, encore plus en live, soulignent la palette et la richesse mélodique de l’anglais. Le tout avec une décontraction certaine.
Une démonstration d’efficacité en appelant une autre : on file voir
Assassin sous la scène du Magic Sound System. Le premier vrai temps fort arrive avec
Shoota Babylon, l’un de leurs plus célèbres titres aux vérités tonitruantes. La suite n’est qu’une succession d’immenses coups de poing et de coups de surin adressés en pleine poitrine du spectateur. Un effet qu’aimeraient bien créer The Subways sans jamais y parvenir. On en viendrait presque à se dire que c’est en version acoustique, comme ce fut le cas dans le coin presse avec les Scènes de Bains, que les anglais révèlent le mieux les nuances de leurs mélodies. Moins criardes et plus rythmiques, leurs compositions ont tout à y gagner.
Autre concert marquant de cette dernière journée :
The Flaming Lips. On connait la passion chamanique de ces rockeurs à expérimenter le pyschédélisme. Seulement voilà : en festival, pas question de jouer un morceau de six heures, le temps est limité. Toutefois, en une heure et quart, tout est possible : le public peut monter sur scène, les guitares spatiales peuvent illuminer une boule disco, Wayne Coyne peut débarquer dans une bulle géante. Et croyez-nous, aussi improbable et futuriste que cela puisse paraître, tout est vrai.
Si l’on devait trouver une fin à cette 24ème édition du Dour Festival, ne pourrait-elle se faire en compagnie de
The Rapture ? Qu’importe C2C, Orelsan, Switch, cette bande de sales gosses est prête à faire guincher et ça nous suffit amplement. Et à voir ces génies de l’électro-rock s’amuser des époques, des synthés et du saxophone devant un parvis totalement acquis, on se dit qu’on a pas de quoi regretter notre choix. Revenus l’année dernière sur le devant de la scène, les américains n’ont désormais aucune envie de laisser passer l’été sans les quelques belles joies que procurent
Get Myself Into It et
Echoes. Mais dans l’immédiat, c’est bien le jovial et romantique
How Deep Is Your Love qui bercera nos derniers instants à Dour. Un très beau moment d’euphorie, d’ivresse et de tendresse après quatre à lutter contre le temps (Lost à côté, c’était un jeu d’enfants).
A l’heure des conclusions, on ne peut que reconnaître la passion qui anime les quelques 148 000 spectateurs-mélomanes venus se patauger dans la gadoue durant quatre jours. Preuve qu’aucune incidence météorologique ne peut inquiéter l’envie, les sourires et l’ingéniosité des festivaliers. L’année prochaine, Dour fêtera son quart de siècle. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige (là, ça serait tout de même inquiétant), on sera là.