Nuits Secrètes

Avec dEUS, Camille et Club Cheval en têtes d’affiches, cette deuxième journée des Nuits Secrètes était armée pour frapper fort. On ne verra aucun d’entre eux aujourd'hui, mais ceux que l’on considère un peu méchamment comme des « outsiders » n’ont pas de quoi rougir. Mieux, ils démontrent aux spectateurs qu’ils ne sont pas juste là pour faire de la figuration sous le soleil.

Pour être tout à fait franc, on loupe l’ouverture des géniaux Klink Clock pour cause d’interview, mais on se rattrape rapidement avec Ewert & The Two Dragons, notre coup de cœur de la veille. Plus électrique qu’en « Parcours Secrets », la fantaisie poétique des estoniens n’en demeure pas moins riche en audace. Candides comme des hippies, gracieux comme les Fleet Foxes et fédérateurs comme jamais, ces quatre conteurs modernes imposent une folk lumineuse, dont l’innocence de l’interprétation tient à elle seule du chef-d’œuvre. Ce n’est pas donc pas un hasard si tous nos classiques semblent avoir pris un sérieux coup de vieux.

La fatigue pointe déjà mais ce qui arrive reste le moment fort de la soirée pour beaucoup de spectateurs. Accompagné par de nouveaux musiciens, Socalled déroule son hip-hop yiddish comme d’autres déroulent des tubes imparables, avec maitrise et talent. Sauf que, contrairement aux autres, le montréalais, persuadé qu’il faut toujours faire le malin, ne prend rien au sérieux et tourne en dérision tout ce qu’il entreprend : la présentation de ses musiciens, ses tours de magie, la ventriloquie ou encore son humour, très second degré. Reste que niveau musique, l’électron libre québécois assure. Et il ne se prive pas d’afficher sa joie lorsque la foule se déchaine au rythme de son hip-hop, entre intentions klezmer et variations balkaniques Une belle revanche pour celui qui nous racontait avoir plutôt mal vécu le mauvais accueil de son dernier album, Sleep Over. A peine le temps de s’en remettre que l’on file déjà voir Stephen Malkmus, tête pensante de Pavement, et ses Jicks transposer leur fabuleux Mirror Traffic sur la Grande Scène, gratuite, tout au long du festival. C’est aussi ça les Nuits Secrètes : le souci de véhiculer un certain élitisme dans les oreilles populaires. Un pari réussi, tant les riffs en béton armé du combo jonglent habilement avec les mélodies, un peu à la manière de Sonic Youth. Le côté immédiat de la chose y est pour beaucoup : Stephen Malkmus And The Jicks c’est un rock garanti sans artifice, au savoir-faire pop et aux idées moins foutraques que celles de Pavement. Depuis, on réécoute en boucle ce fameux dernier album.

Autre style, même esprit. Steve Smyth et son blues-rock du chaos retournent littéralement le moulin dans lequel l’équipe du festival l’avait placé dans le cadre des « Parcours Secrets ». Sous ses allures de gros nounours, Steve Smyth est un homme blessé, incapable d’évoquer ses maux sans les exorciser, incapable de choisir entre le rock mélodique de Jeff Buckley, la brutalité de Nick Cave et les expérimentations de Tom Waits. Déjà touchant, le concert se révèle absolument bouleversant lorsque l’australien entreprend une complainte a capella. Même son propre batteur semble admiratif, c’est dire. Au final, en deux heures, on aura entendu deux facettes du rock, deux façons de dévier les mélodies pour les rendre immédiatement attachantes, mais surtout deux artistes soucieux d’habiter la musique qu’ils créent plutôt que de simplement l’interpréter. Stephen Malkmus et Steve Smyth, même combat.

Avec tout ça, on aura raté dEUS et Club Cheval, mais cela valait drôlement le coup. Il est 1h, le temps de rentrer à Aulnoye-Aymeries et il est l’heure des festivités électroniques proposées à la Bonaventure. Bien qu’il n’y ait pas de tête d’affiche ce soir, la setlist proposée par DJ Healer Selecta (très rockab' dans l’âme) régale une foule venue plus nombreuse que la veille. Suffisant pour se dire que le dernier jour du festival réservera encore pas mal de surprises !