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La Route du Rock

Saint-Malo, du 10 au 12 août 2012

Live-report rédigé par François Freundlich le 17 août 2012

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Les concerts de ce samedi de La Route du Rock devaient débuter plus tôt cette année, afin de permettre une transition plus aisée entre les spectacles du Palais du Grand Large et ceux du Fort de Saint-Père. Nous arrivons donc à 15h pour apprendre que Memoryhouse n’ont pu se rendre à temps en Bretagne, suite à leur concert de la veille au Way Out West de Göteborg. Il est vrai qu’il est toujours risqué d’enchainer des festivals sur de grandes distances, mais tel est le lot des festivals d’été. C’est finalement Dominique A qui débutera cette journée pour son deuxième concert du festival.

Après avoir interprété son dernier disque Vers Les Lueurs la veille, c’est au tour de son premier album La Fossette d’être remis au goût du jour dans une ambiance d’auditorium. Contrairement à vendredi, la formation est réduite à seulement trois musiciens : il est accompagné d’un bidouilleur de synthés et d’un pianiste accordéoniste. Dominique A est au centre avec sa guitare électrique déchainée, sans aucune section rythmique. Cet album sorti il y a vingt ans, fondateur de la nouvelle scène française des années 90-00s, se voit réinterprété dans une version rock troublée par divers sons de synthés lui faisant revêtir ses habits pop originaux. Les textes n’ont rien perdu de leur superbe, même vingt ans après, à l’image du titre Le Courage des Oiseaux tout en délicatesse. A l’inverse, Mes Lapins voit s’énerver Dominique A dans une répétition d’un riff électrique à faire trembler les murs du Palais. Il se plaît à rappeler que La Fossette n’est pas un double album et s'avère un peu court pour un concert, jusqu'à finalement annoncer un rappel composé de titres encore plus anciens. L’audience lui offre une standing ovation pour sa dernière représentation dans cette configuration.

Les canadiens de Memoryhouse, très attendus en cet après-midi, arrivent finalement après une installation et une balance derrière le rideau de scène. Le concert ne débutera pas avant 17h45 tandis qu’une grande partie du public quittera le palais dès 18h pour rejoindre le fort sans encombre. Ce retard gâche quelque peu l’écoute du concert à cause des problèmes logistiques engendrés. Les quelques morceaux aperçus sont néanmoins plaisants, bien moins planants et plus rythmés que sur leurs disques. Memoryhouse se présentent ce soir sous la forme d’un power trio qui aurait pu s’écouter debout en mouvement au Fort de Saint-Père, avec des relents de guitare shoegaze et une batterie mise en avant. La voix de Denise Nouvion reste néanmoins assez fade, sans réellement nous toucher. On sent que le groupe risque rapidement de tourner en rond, même après quelques chansons. Nous décidons de lever les voiles en navette, vers les lueurs du fort.

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Nous arrivons à temps pour voir la fin du concert du duo Egyptology et ses tshirts en hiéroglyphes pharaoniques. Leurs synthés rétro font écho au concert de Yeti Lane la veille, même si l'on croirait écouter la bande originale de Stargate avec un vaisseau spatial pyramidal englobant le fort de Saint-Père. Voilà qui augmenterait légèrement le budget. Les synthés vibrato planant de ces enfants du soleil rappellent le son futuriste que voulaient se donner certaines séries télévisées des années 80s. Ajoutons quelques boîtes à rythmes dansantes et voici une introduction amusante à une soirée qui s’annonce magistrale.

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Encore une fois, le groupe qui ouvre la grande scène n’est pas le moins connu puisqu’il s’agit des anglais de Veronica Falls, appelés en remplacement suite à l’annulation de My Best Fiend. On y gagne au change puisque les londoniens sont plus à même de tenir cette scène avec leur indie pop en forme de bande son idéale pour n’importe quel festival d’été. Leurs guitares joyeuses et sucrées masqueraient presque la voix grave et monocorde mais diablement entêtante de la chanteuse Roxanne Clifford et son look rétro. Malgré cela, on retrouve dans chaque morceau une face sombre, comme sur Beachy Head et ses chœurs de zombies. Les mélanges de voix du quatuor constituent la grande force du groupe, comme sur la nécrophile Found Love in A Graveyard. Cela permet également de jeter un coup d’œil à la ravissante bassiste. Veronica Falls ont visiblement décidé de présenter un maximum de nouveaux titres et de les tester à la Route du Rock, en oubliant les géniales The Fountain ou Misery. Entendus lors de précédentes apparitions, ces titres auraient davantage remué un public encore clairsemé. Ces nouvelles compositions sont néanmoins convaincantes et possèdent toujours cette évidence pop qui fait bouger la tête et donne envie d’en avoir toujours plus. Le public est tombé pour Veronica Falls, lesquels auront apporté un vent frais sur le fort de Saint-Père : un vrai groupe pour se mettre de bonne humeur en une fin d’après-midi ensoleillée.

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Alors que les franco-anglaises de Savages s’apprêtent à investir la scène, c’est le groupe Breton qui a donné rendez-vous aux festivaliers près des remparts, afin de participer à leur futur vidéo clip. Ils distribuent des papiers et stylos, appelant à dessiner sa plus grande peur et à se faire photographier. On rejoindra les hommes à capuche plus tard dans la soirée, place désormais aux sauvageonnes en mode post-punk, side-project de Jehnny Beth, chanteuse du groupe John & Jehn, et de ses trois copines qui en veulent. John joue quant à lui au roadie poseur, accroupi sur le côté de la scène depuis le début du concert de Veronica Falls. Le girl power est au rendez-vous malgré des débuts quelque peu difficiles. On sent que le quatuor n’est pas très au point ni en place. Leur son garage est brut de décoffrage, avec quelques passages noisy, mais sans aucune subtilité. La voix criarde dévie souvent de sa trajectoire tandis que le groupe manque parfois d'unité. On sent que certains titres sont plus travaillés que d’autres même si la fin du set est bien meilleure. Le single Husbands est finalement joué, se voulant bien plus accrocheur que d’autres morceaux aux sonorités banales. Ces quatre filles donnent tout sans se poser de questions mais la question reste de savoir si Savages avaient déjà leur place à La Route du Rock ou si ces dernières bénéficient d’une hype londonienne que d’autres, sûrement plus au point, n’ont pas eue...

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Dans la famille dream-pop de Baltimore, je demande Lower Dens, venus envouter le festival pendant la prochaine heure. On passe alors dans une autre dimension en planant au-delà des nuages, bercé par un synthé ombragé et des guitares torturées aux échos multiples. La chanteuse Jana Hunter est un personnage particulier, au look aussi androgyne que sa voix est incomparable : ni grave, ni aigüe... simplement Jana Hunter. Elle se cache derrière ses lunettes, ses cheveux et son synthé mais déploie un organe d’une folle intensité. Lower Dens évoluent dans le sillon creusé par Beach House même si le leur est beaucoup moins lisse, plus rocailleux et torturé. Derrière une batterie métronomique, les guitares se plient dans tous les sens dans un shoegazing égaré. Des boucles de synthés apportent subitement une mélodie plus douce lorsque Jana lâche son micro pendant de longs instrumentaux menés d’une main de maître. La voix reste sombre et calme tandis que la guitare électrique de Candy n’en finit pas de disperser de lancinants assauts grinçant. Le public ne peut que se laisser transporter par l’expérience alors que l’orgue évolue sans cesse dans des nappes tourbillonnantes. Le groupe oublie parfois les tempos rapides pour des ballades durant lesquelles la voix reprend toute sa profondeur, alors qu’un vent frais nous caresse la peau. Lower Dens auront aujourd’hui proposé une certaine vision de l’intemporalité à travers une musique en lévitation et un son très personnel. L’enchantement était bien au rendez-vous.

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La tête d’affiche The XX est attendue par un public plus nombreux que la veille, même si on a vu mieux en terme de fréquentation. L’effet XX est moins palpable qu’il aurait pu l’être mais le trio londonien est cette fois bien présent après son annulation lors de la Collection Hiver 2010. Un gigantesque X transparent est suspendu sur la scène tandis que des vidéos colorées abstraites se reflètent au travers de sa matière, les floutant légèrement. Dès les premières notes jouées, l’atmosphère change du tout au tout : comme si The XX étaient venu avec leur propre bulle qui les englobe d’une composition chimique différente. C’est le nouveau single Angels que débute le set : nous voilà d’emblée sous le charme de la voix de Romy Madley-Croft. Elle transforme notre peau en coton pour s’incruster au plus profond de nous lorsqu’elle murmure « Being as in love with you as I am » dans un premier instant de grâce, magique. L'anglaise a franchi un vrai pallier vocalement pour atteindre une beauté fragile que l’on peut parfois ressentir chez Beth Gibbons, même si le timbre n’est pas le même. Cette influence de Portishead est bien présente avec des basses lourdes et prononcées, prolongées par des rythmiques accélérées sur de nouveaux titres très réussis. On retrouve également cette volonté de stopper le temps par des silences omniprésents au milieu d’un festival où tout n’est que bruit et fureur.
Malheureusement, The XX ont attiré un grand public moins mélomane et encore moins respectueux de la musique. Certains détracteurs auront peut-être oublié que nous avons à faire à un groupe de cold-wave minimaliste : il ne fallait donc pas s’attendre à danser la carioca. Les titres du premier album prennent une autre dimension avec ces jeux de lumières soignés se perdant dans la nuit. Les notes de xylophones de VCR résonnent comme si ce titre, publié en 2009, avait gardé toute sa fraicheur même après l’avoir entendu maintes et maintes fois. En cela réside la force de leurs chansons : leur simplicité ne se démodera certainement pas avant longtemps. Une certaine urgence ressort de Infinity et ses boucles électroniques, tandis que l’envoutante Crystalised voit le duo vocal se reconstituer. On ne peut qu’esquisser un sourire lorsque Romy et Oliver entonnent des paroles différentes au même moment. Le public reprend les chœurs du refrain de ce tube à la guitare hypnotique. Le rappel débutant par la subtilité d’Intro est prolongé par Tides, un nouveau morceau pendant lequel le duo se lie à l’unisson accompagné par des violons préenregistrés lancés par Jamie et des touches de guitares raisonnantes. Assurément, le son XX sera toujours présent sur ce nouvel album enfin terminé, reconnaissable entre tous. The XX ont manifestement atteint un niveau que peu de groupes connaissent et peuvent réellement s’inscrire comme une formation majeure de leur génération avec ce deuxième album.

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Comment reprendre le cours normal de la soirée après un tel concert ? Seule une prestation hors des sentiers battus peut se montrer à la hauteur... et c’est bien ce qui nous attend. A cet instant, on aurait plutôt envie de se remettre de nos émotions en s’asseyant dans l’herbe mais une voix habitée nous interloque irrésistiblement. Le chant de Willis Earl Beal vient du plus profond de la soul américaine, de Chicago à Albuquerque. Elle est chaude, éraillée et d’une gravité à rendre silencieux le plus grand consommateur de pastis du festival. Avec le charisme et le sex-appeal d’un James Brown sous acides, il se démène sur scène comme Mohamed Ali sur le ring dans un nuage rougeâtre. Il se couvre d’une cape pour se cacher encore plus que ne le dissimulent déjà ses lunettes de soleil et son t-shirt orné d'un smiley. Il y avait pourtant quelqu’un sur la scène de la Tour, avec assez d’intensité pour éclairer le fort sans aucun groupe électrogène. Willis Earl Beal était bien l'OVNI de cette soirée de festival.

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Les stars du rock indie continuent de se succéder sur la scène du Fort avec le retour du grand Mark Lanegan, après l’édition hiver 2011 pour laquelle il était accompagné par Isobell Campbell. La porte de La Route du Rock lui semble toujours ouverte mais comment la lui fermer quand on liste ses impressionnantes collaborations, de Queens Of The Stone Age à PJ Harvey ? Pilier de la scène indépendante américaine depuis deux décennies, le natif de Seattle ne fera cette fois pas dans la douceur qui caractérise son duo avec l’ancienne voix de Belle And Sebastian, mais plutôt dans l’âpreté d’un stoner rock sombre et apaisé.
Sous sa casquette, ses cheveux ébouriffés et sa moustache de biker, Mark Lanegan fait frissonner l’audience d'une voix grave et profonde que n’aurait pas reniée Johnny Cash. Après une ouverture à la section rythmique très Queens Of The Stone Age, justement, Mark Lanegan impose une atmosphère flottante, bercée par l’électricité de guitares bluesy et de notes de piano mélancoliques. Le son est lourd, imposant un grunge qui aurait basculé dans la solennité adulte de temps noirs modernes. Les solos de guitare se suivent et s’entremêlent avec une fougue qui ferait renaître des personnalités mortes à vingt-sept ans. On reste subjugué par tant de classe et de perfection dans des compositions qui parviennent à fusionner une certaine délicatesse méticuleuse avec une rugosité animale. Mark Lanegan reste impassible au centre de la scène avec sa voix pour seul instrument. S'il ne consomme ni cigare ni whisky, ses « thank you » fleurent bon la corde vocale gravillonneuse. Sa musique nous tient en haleine, nous pénétrant totalement, d’autant plus que la qualité du rendu sonore est à cet instant au rendez-vous. Quelques passages au synthé surprennent, ce touche à tout est décidément là où on ne l’attend pas. Le concert se termine, donnant l’impression d’avoir été transporté du bayou au Texas sans que nos baskets ne se soient détachés de la poussière bretonne du fort.

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Après un début de soirée tout en défoulement, The XX, Willis Earl Beal et Mark Lanegan ont imposé une énergie qui a dilaté le temps, défiant toute loi de la physique. Pour finir, l’ambiance est plutôt au défoulement général avec les anglais de Breton. Aperçus lors de plusieurs concerts en salles ces derniers mois, les hommes à capuche ne nous avaient jamais fait danser comme ils le font ce soir. Leur musique diffuse un son plus imposant et leurs tubes prennent une dimension nouvelle sur le fort. Les londoniens envoient des basses d’une redoutable efficacité dès l’introduction chantée en français sur le titre 15x. Les synthés dancefloor énervés par des guitares multiples se chargent de répercuter la cadence infernale sur nos membres en pleine frénésie. Les boucles électroniques introduisent des instruments plus traditionnels comme le violon tandis que les morceaux sont remixés en saccades défiant un tempo en perpétuelle évolution. Le chanteur Roman Rappak, s’exprimant en français, se révèle des plus sympathiques, visiblement ravi d’être là. Sa voix a gagné en intensité et peut désormais tenir une foule entière de son phrasé parlé, chanté et hurlé. Leur bidouilleur à casquette et MPC enchaine les blips et nappes électroniques sur une rythmique hip-hop dansante et toujours efficace. Le tube Edward The Confessor est joué parmi les premiers morceaux et se colle à la mémoire pour ne s’en échapper que légèrement lors des premiers concerts du lendemain. Ce morceau parvient à réveiller un cerveau fatigué après avoir reçu trop d’informations contradictoires pendant toute une soirée. Voilà une nuit de samedi de Route du Rock comme on les aime : de la communion et du mouvement.

Il y avait certes plus de monde que la veille au Fort de Saint-Père, mais ceux qui n’y étaient pas ont raté un grand moment d’enchainements musicaux. The XX auront marqué de leur sceau cette édition de leur puissante finesse alors que Lower Dens et Mark Langean nous ont comblé jusqu’à la jubilation finale sur Breton. Ce samedi fût réellement mémorable.
artistes
    Breton
    Mark Lanegan
    The XX
    Lower Dens
    Savages
    Veronica Falls
    Willis Earl Beal
    Egyptology
    Dominique A (La Fossette)
    Memoryhouse
    Ela Orleans
    La Station Radar DJ Set