Le deuxième jour des
Eurockéennes de Belfort propose une programmation plus grand public, pas forcément intéressante pour les amateurs de musique indé, même si on trouvera toujours quelques révélations inattendues dans la soirée.
Nous foulons le sable de la Plage pour débuter avec les américaines de
Deap Vally. Les deux californiennes n’y vont pas par quatre chemins, faisant vibrer un rock incisif composé de simples accords en boucles mais très efficace pour remuer la tête en rythme. Parlons du rythme puisque la batteuse frappe tout en force de manière basique, un peu comme Meg White. La référence ne s’arrête pas là puisqu’on pense beaucoup aux White Stripes dans les accords de guitare bluesy et dans la voix flirtant avec des aigus braillards. Ces messieurs sont certainement plus attirés par les tenues de wonderwomens coté court et la « boobies drummer » coté balcon. Le duo s’excite alors que la voix aux intonations bitchy s’embrase autant que la guitare électrique ne crisse. Deap Vally ont ouvert la journée sans faire de détails, avec une puissance et un feu qui a idéalement ouvert la voie.
La suite est un peu plus calme puisque
Matthew E. White et son groupe se chauffent, sur la scène Green Room. Le concert débute d’une manière bucolique avec quelques titres calmes et ensoleillés de folk soul plutôt rafraichissante. A l’inverse du premier concert de la journée, on est plutôt dans la précision et la complexité avec de nombreux arrangements superposés, de claviers jazzy, percussions, guitares americana et d’éléments funk. Le set forme un crescendo, se basant sur des morceaux plus relax, évoluant lentement vers un son plus rythmé pour terminer sur de longs défoulements psychédéliques ou l’on verra le chanteur sortir de sa cool attitude pour se lâcher totalement. Ce jésus hippie possède quelque chose d’universel dans sa voix grave, s’influençant clairement de chants religieux. Il remercie d’ailleurs sa communauté de Richmond, Virginie, qui a inspiré bon nombre de ses textes intrigants. La patte du grand Neil Young se fait également sentir, Matthew E. White proposant d’ailleurs une reprise de
Are You Ready For The Country. Malgré ce foisonnement instrumental, le groupe est parfaitement au point et frôle la perfection sur
Gone Away, aux allures de gospel intemporel. Après cette ouverture idéale, on se dirige sans conviction vers la Grande Scène où
Airbourne s’apprêtent à entrer en scène.
L’installation des australiens donne le ton : vingt-quatre amplis Marshall sont superposés au fond de la scène. Le chanteur Joel O’Keefe est déchainé, il entame
Ready To Rock devant les quelques amateurs de hard rock à l'avant de la fosse. Comme rien ne ressemble autant à un concert de hard rock, qu’un autre concert de hard rock, on ne sera pas trop dépaysé. On a légèrement l’impression d’entendre cinq reprises de
Smoke On The Water suivies de cinq reprises de
Highway To Hell. Passé le sourire dû au look chevelu et guitares triangulaires, on reste dans l’expectative en attendant quelque chose d’original et de moins prévisible mais Airbourne tranchent dans le gras, parvenant juste à faire tourner quelques chevelures en rond. On passe notre tour pendant le riff de
Satisfaction des Rolling Stones pour se diriger vers la petite scène de la Loggia où un groupe bien plus intéressant s’installe.
Ce début de journée est très américain puisque les punks californiens sans roulettes de
FIDLAR (littéralement Fuck It Dog, Life's A Risk) vont complètement enflammer ce petit espace confiné dans le fond du site des Eurockéennes. Un peu timides dans un premier temps, puis complètement fous, jusqu’à ce slam durant lequel le chanteur Zac Carper va en perdre le fil de son microphone qui sera finalement rattrapé par les festivaliers. Leurs riffs sont sanguins avec une forte influence grunge à l’image de ce
Cheap Beer qui donne le ton rageur et insolent d’un groupe n’oubliant pas d’ajouter une dose de pop dans sa fureur. La machine s’emballe lorsque Carper réclame du LSD avant d’entamer
The Punks Are Finally Taking Acid. Le rythme s’accélère, on pense aux Black Lips alors que les voix s’enrayent. Le public se lâche dans le pogo. Le guitariste n’oublie jamais de terminer sur un « thank you » d’une petite voix de Mickey Mouse. La reprise de
Suburban Home des Descendants s’intègre parfaitement dans leur set pour un final chaotique à souhait. Après les trop conventionnels Airbourne, on prend plaisir à se perdre dans ce joyeux bordel collectif jusqu’à plus soif. FIDLAR ont fait vivre le punk ce soir.
Il fallait profiter de ces bons moments car la suite ne sera pas du même acabit. Nous retournons sur la Grande Scène pour les français de
Skip The Use, seul groupe à se produire à cette heure. Le spectre de la catastrophe Shaka Ponk de l’an dernier plane et on espère qu’elle ne se reproduira pas. C’est être bien trop optimiste car peu de choses ne ressortent du concert des lillois, si ce n’est une boîte à rythme répétitive et quelques assauts de batterie. Les instrumentations électroniques sont inaudibles alors que seule la voix et l’énergie du chanteur Mat Bastard sont réellement perceptibles. On reste dans l’incompréhension face à cette bouillie sonore et nous décidons de lever le camp au plus vite.
La Plage semble plus accueillante avec les ivoiriens du
Club des Justiciers Milliardaires d’Abidjan : « des milliards non pas en espèce mais en esprit ». En proie à quelques soucis techniques, le club parvient néanmoins à débuter son concert malgré quelques flottements comblés par des répétitions de cris « Yes I » et autre « Ya foï » qui seront repris par les festivaliers toute la soirée. Le concert est joyeux et dansant, les africains proposant de retracer toute l’histoire de la musique ivoirienne depuis les années 60, ce qui est plutôt intéressant pour les amateurs d’histoire. Le set est quelque peu caricatural avec une chanteuse et un rappeur dit Serpent Noir s’affichant comme une star. Du Secousse au Coupé-Décalé sur fond de percussions, ça s’amuse et ça danse sur La Plage.
Changement radical d’ambiance puisque
Woodkid a installé sa grosse machine scénique sur la Green Room. Écran géant avec films grandiloquents, tambours immenses, cuivres épiques : Carmina Burana meets les Chœurs de l’Armée Rouge. La guerre est déclarée avec ces percussions militaires faisant planer une ambiance sérieuse au possible. La douce voix du lyonnais expatrié à Brooklyn Yoann Lemoine se détache du reste puisqu’elle se rapproche plus de celle de Chris Martin, qui avait donné l'un des premiers concerts de Coldplay en France à cette même place il y a treize ans. On se concentre sur les vidéos présentant des éléments symétriques en noir et blancs et en travelling avant, plutôt impressionnants dans leur réalisation. Le reste sonne un peu creux tant les couches d’arrangements cachent la faiblesse de la composition, comme on a pu s’en apercevoir lors des dernières sessions acoustiques du groupe. En s’éloignant de la scène, nous tombons sur deux gendarmes en quasi garde-à-vous, assistant au concert en cachette : CQFD. La musique qui marche au pas, cela ne me regarde pas.
Il est temps de se placer à l'avant de la Grande Scène pour la tête d’affiche de la soirée :
The Smashing (almost)
Pumpkins. Le monde est-il toujours un vampire ? Le groupe de Billy Corgan a subi un lifting complet mais lorsque ces pumpkins entrent en scène, on se rend compte de la similitude des physiques et des attitudes avec les précédents membres du groupe. On s’imagine Billy coachant ses acolytes dans un vestiaire, regardant de vieilles vidéos de concerts et demandant au remplaçant de Jimmy Chamberlin de muscler son jeu. La bonne nouvelle est que Billy Corgan semble avoir abandonné ses délires mégalomaniaques et autres costumes Mayas pour revenir à la simplicité d’un groupe de rock qui joue ses morceaux, ce qui est plus que plaisant. Pourtant, l’enchainement de plusieurs titres de leurs albums post-reformation ne lance pas le concert idéalement malgré la qualité de leurs arrangements live porté par un son de guitare lourd et incisif, comme à la grande époque. Le public ne répond pas immédiatement présent car des morceaux comme
Quasar ou
Starz ont moins marqué les esprits.
Mais c’est un autre morceau astronomique qui va nous enflammer, lorsque Billy Corgan déclame « Ground Control to Major Tom ». Tout fan de David Bowie ne peut que frémir à l’écoute de l’introduction de
Space Oddity, repris par les américains dans une version tendue comme si c’était
The Everlasting Gaze. Pari risqué que de s’attaquer au mythe mais le résultat est réussi, parvenant à faire décoller le concert sans toutefois atteindre la station spatiale. Le groupe entame ensuite le premier de ses tubes qui ont bercé toute l’adolescence d’une génération pendant les 90’s, à savoir
Disarm. Les adaptations sont sans fioritures, respectueuses des classiques avec la dose de nostalgie et une voix toujours au sommet.
Tonight, Tonight est précédée par la douce
Tonite Reprise en introduction pour un moment de plénitude avant ce morceau empli d’intensité. Les images de ce vidéo clip marquant dont les posters ornaient les murs des nombreuses chambres à coucher défilent sur la pyramide de vidéo à l’arrière de la scène. Les « Believe » de Corgan font leur petit effet capillaire, encore plus lorsqu’il s’éclame « The world is a vampire », introduisant la jouissive
Bullet With Butterfly Wings. C’est le moment où l’on a à nouveau dix-sept ans et où l’on braille le refrain non sans s’apercevoir que le titre phare est un peu expédié. La guitare de
Today résonne sur le Malsaucy alors que le public reprend les paroles en chœur. La rythmique de
Ava Adore nous fait vrombir les organes grâce à cette basse lourde répondant à la voix grinçante du héros chauve tandis que le solo à deux guitares s’envole. Ces versions laissent un meilleur souvenir que lors des premières années de la reformation, le nouveau line-uo du groupe ayant plus d’expérience tout en ayant esquissé un retour aux sources. Le riff de
Zero répond aux quelques (rares) t-shirts entre-aperçus, permettant à Billy de libérer sa rage sur le passage a-capella. The Smashing Pumpkins reviennent finalement pour un rappel, cela sera
1979 pour quitter les Eurockéennes dans la douceur. Seize ans après leur dernier passage, ils ne sont pas totalement su renaître de leurs cendres mais ont livré une prestation digne de leur rang.
Après ce long concert, une pause s’impose avant de retrouver les math-rockers d’
Electric Electric sur la Loggia. En dignes représentants d’une scène indépendante strasbourgeoise en ébullition, ces membres de la Colonie de Vacances signés sur le label Herzfeld vont enflammer les Eurockéennes avec un set épileptique fait d’assauts électriques et électroniques dansant. Le mur du son oscille entre le « très fort » et le décollage de fusée tout en étant d’une précision métronomique. Les tympans en prennent un coup alors qu’on pense à Battles ou Civil Civic ayant trainé en backstage prendre quelques remontants avec le chanteur de FIDLAR.
Mais il est déjà l’heure de rejoindre la scène de la Plage pour l’unique groupe britannique de la soirée : le collectif
Archive qui écume tous les festivals de France cet été. Le lightshow transperce la nuit noire alors que d’angoissantes boucles électro introduisent d’amples guitares lancinantes. Un « A » lumineux apparaît à l’arrière de la scène alors que la batterie s’excite dès
Finding It So Hard, extrait de l’album culte
You Look All The Same To Me. Holly Martin est acclamée dès son entrée en scène pour interpréter
Hatchet avec une certaine grâce.
Sit Back Down voit l’ensemble des voix se rejoindre dans des répétitions bruitistes et enlevées. Le groupe nous gratifie d’un enchainement
Again et
Fuck U du plus bel effet, renouant enfin avec les perles de son glorieux passé. La basse strombolienne a du réveiller quelques truites dans le lac du Malsaucy tandis que le public attentif en prend plein les mirettes. Archive est devenu un groupe qui joue sur l’énergie plutôt que sur la subtilité, s’adaptant plus facilement aux conditions d’un festival que d’une salle, contrairement à leur concerts d’il y’a dix ans. Les anglais ont peut-être perdu en finesse mais ce n’était certainement pas ce paramètre qu’attendait le festivalier moyen des Eurockéennes ce vendredi soir.
Cette deuxième journée fût au final la plus faible du festival même si FIDLAR et Matthew E. White nous ont fait vibrer, extérieurement pour les uns, intérieurement pour l’autre. The Smashing Pumpkins faisaient quant à eux bien plus plaisir à voir qu’en 2007 et ont finalement réussi leur retour aux sources. Nous voguons vers un repos mérité, car nous n’en sommes qu’à la moitié.