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Eurockéennes

Belfort, du 4 au 7 juillet 2013

Live-report rédigé par François Freundlich le 13 juillet 2013

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Le week-end Eurockéen débute et le timing des groupes de qualité est de plus en plus serré. Ce samedi s’annonce des plus intéressants puisque entre les têtes d’affiche Phoenix ou Two Door Cinema Club, se faufile du bon rock comme Dinosaur Jr ou Black Rebel Motorcycle Club ainsi que des petits nouveaux qui font drôlement parler d’eux comme Fauve.

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En parlant de petits nouveaux, certains donnent même l’impression d’être nés de la dernière pluie (qui est toujours aux abonnées absentes) comme les irlandais de The Strypes. Leur Marseillaise en introduction répond au Star-Spangled Banner de Parquet Courts jeudi, mais ces lads en costumes et mèches rebelles à faire craquer les minettes sont un peu plus axés sur le mainstream. Aucun des membres n’est majeur, le batteur semblant à peine pubère, mais ils ont déjà l’attitude de vraies rockstars. Chose importante : ils savent déjà jouer ensemble pour faire sonner un morceau comme Blue Collar Jane puisque leur expérience de groupe remonte à leur formation à l’école. On pense parfois aux Arctic Monkeys de 2006 même si leur musique est beaucoup plus rétro, s’inspirant de blues des années 60 et du bon vieux rock’n’roll de Little Richards avec notamment une reprise de You Can't Judge a Book By the Cover de Bo Diddley. Ils maitrisent déjà l’art de la pose, jouant le rôle de l’insolent ou du petit ange. Les morceaux sont immédiats et permettent de remuer la tête dès les premiers accords à l’image d’un I Wish You Would au riff revenant sans cesse, doublé par un harmonica faisant hurler les jeunes filles. Adeptes des breaks, jumps, clapping et redémarrage, on peut facilement parier sur un succès de The Strypes, d’autant plus que la voix rejoint celles de la brit-pop actuelle des Jake Bugg et Miles Kane. On en reparlera certainement.

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Place aux choses sérieuses sur la Grande Scène puisque les Black Rebel Motorcycle Club sont attendus de pied ferme. Le power trio s’étend en force et va livrer l’un des meilleurs concerts du festival. Le groupe américain ne se perd pas démonstrations futiles et se concentre sur la musique : des guitares jouissives et des riffs alliant force et subtilité, blues et psychédélisme. Les californiens nous font rêver avec ces mélopées lancinantes, cette voix insaisissable de Peter Hayes, sans oublier la batteuse Leah Shapiro (ex-The Raveonettes) qui abat toutes ses cartouches, très sérieuse derrière les fûts. Chaque titre sonne comme un tube parfait de pur rock’n’roll à l’image de cette pièce qui enflamme la foule : Whatever Happened To My Rock’n’Roll (Punk Song), pépite jouissive injustement sous-estimée mais qui pourrait être un hymne générationnel, tant cette version live sera torride. Les fans se cassent la voix sur Spread Your Love et ça crowdsurf sous le soleil alors que Peter s’approche des premiers rangs. Il est inutile de se perdre en qualificatifs tant les Black Rebel Motorcycle Club vont droit au but, piochant à la source du rock tout en gardant en tête l’influence des plus grands, de Jesus & Mary Chain aux Stone Roses. Ils mélangeront des titres de chaque album sans jamais perdre en puissance ni en honnêteté, le très haut niveau est atteint dès 17h45 par un choc plus brulant qu’un soleil au zénith.

Nous nous arrêtons brièvement à la Loggia pour réaliser que les bordelais de JC Satàn répondent présent lorsqu’il s’agit de diaboliser un festival. Leurs assauts de guitares sont un parfait prolongement au concert précédent en envoyant les décibels pour un rock tout en urgence. Les deux voix masculine et féminin monocorde se complètent jusque dans des cris libérateurs. Voilà encore un groupe français qui peut se targuer de rivaliser avec ses homologues anglais ou américains.

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Malgré cet appel au défoulement, on ne pouvait pas manquer le passage de la folk-girl Valerie June sur la Green Room. Cette enfant de Memphis va livrer la grande prestation folk du festival de sa voix aiguë très particulière. On pourrait penser à la force d’une Nina Simone sous hélium ou à une Cindy Lauper sous valium ; il se dégage en tout cas une profondeur qui s’empare de l’âme dès qu’elle s’exprime face au micro. On tombe sous son charme lorsqu’elle entonne Somebody To Love accompagnée de son banjolélé et d’un violon aux accents bluegrass. Il manquait un set acoustique bercé par de doux cuivres, des claviers précis et quelques passages a-capella d’une rare intensité dans ce festival : c’est chose faite avec Valerie June. Elle secoue ses dreadlocks pour mélanger des influences allant des girls-band 50’s au gospel et à la musique traditionnelle country. Elle s’avance finalement en solo accompagnée de son seul banjo pour une reprise de Rollin’ and Tumblin' de Muddy Waters, qui avait déjà été reprise totalement différemment par The Strypes il y a à peine plus d’une heure sur la même scène. On atterrit immédiatement en plein bayou, Valerie June a transformé les lieux en Malsaucyssipi. Après Matthew E. White la veille, le cœur de l’Amérique profonde aura battu sur ces 25ème Eurockéennes avec un set de Valerie June qui a marqué les esprits et les cœurs.

Après cette cure de roots, nous revenons à la superficialité en s’approchant de la Plage où Busy P, alias Pedro Winter du label Ed Banger, est en train de mixer.

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Le DJ est accompagné de Laura Leishman en tshirt de MS MR pour annoncer au micro la venue de Dinosaur Jr façon "il est beau mon melon". Pas sûr que les américains aient apprécié d’être convié sur scène comme des chèvres savantes du cirque mais leur attitude sérieuse tranche avec celle des deux hipsters. Après les minots de The Strypes, les trentenaires de Black Rebel Motorcycle Club, voilà les dinosaures en piste.
J Mascis aux cheveux blancs plus soyeux que jamais va livrer une dose de rock testostéroné avec sa bande, faisant fuir les fans d’Ed Banger. The Wagon lance les hostilités avec les chœurs entrainants de Lou Barlow et ces solos de guitares musclés. Les pédales d’effets chauffent au fur et à mesure que le trio égrène ses plus grands tubes, remontant même à ses débuts dans les années 80. Le son est direct, efficace et purement rock’n’roll, on a bien remonté l’arbre généalogique des Black Rebel Motorcycle Club. On observe un groupe bien rodé et qui se connaît parfaitement mais qui prend tout de même plaisir malgré l’attitude nonchalante du leader aux allures de Saruman. Les échos divagants et les riffs gras parlent la même langue pendant Freak Scene alors que J Mascis maltraite son instrument sans broncher. Le set se termine sur la fameuse reprise de Just Live Heaven de The Cure saturée d’une distorsion grunge mais parvenant quand même à nous faire danser et chanter, en bon fan de Robert Smith. Seconde brulure rock en trois heures de temps, on aurait du prévoir la Biafine en ce samedi.

Les anglais de Is Tropical jouent curieusement après ces légendes du rock américain, sortant de scène sous les acclamations. Mais de gros problèmes techniques retardent le concert et Busy P continue son DJ set avec Where Is My Mind des Pixies et A Horse With No Name de America dont les chœurs sont repris par l’ensemble du public. L’accès à la Plage est quand à lui de plus en plus difficile. Les londoniens débutent finalement mais s’arrêtent plusieurs fois brusquement car le chanteur est furieux, le son ne lui convenant apparemment pas. Il prévient le public qu’il est en pleine gueule de bois, mais nous sommes au courant car notre photographe logeait dans le même hôtel la veille et a été témoin du saccage alcoolisé qui a maintenu éveillé l’ensemble de la clientèle toute la nuit.
Peu étonnant donc que le concert soit raté, Is Tropical n’y sont pas du tout et passent leur temps à s’embrouiller plutôt qu’à jouer. On remarque néanmoins que leur son a évolué vers le rock alors qu’on se souvient de leur passage au festival Art Rock ou ils n’utilisaient pratiquement que des machines. Il y a peu à dire sur cette cacophonie même si le trio parvient finalement à jouer un morceau en entier sans s’arrêter. Il est temps de retourner vers la grande scène pour retrouver les nord-irlandais bien plus posés de Two Door Cinema Club.

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Les gentils garçons du County Down s’installent sur la Grande Scène, attendus par quelques fans de leurs tubes ayant fait les beaux jours des radios. Le premier d’entre eux se fait entendre dès l’entrée en scène puisqu'il s'agit Sleep Alone, extrait de leur second album Beacon qui lance le set d’une électro-pop faisant immédiatement remuer le public. On sent clairement que les Two Door Cinema Club sont passés dans une autre dimension avec leur million d’albums vendus, s’affichant désormais avec un lightshow stroboscopique puissant et une réorchestration de leurs morceaux dans des versions "pop de stade" alors qu’ils n’était que de simples ritournelles punchy et ensoleillées.
La grosse artillerie est de sortie, il semble difficile de reconnaître ce jeune groupe à l’album arborant un chat de l’épiphanie que l’on avait aperçu il y a quelques années (le groupe, pas le chat). On retrouve pourtant bien Undercover Martyn ou Do You Want It All soulevés par d’amples basses ainsi que la voix juvénile de Alex Trimble. Malgré cela, les pensionnaires du label Kitsuné font pâle figure après des prestations du calibre de celles de Black Rebel Motorcycle Club ou Dinosaur Jr. Les tubes sont là et font danser le festival entier mais on a l’impression que leurs épaules ne sont pas assez larges pour le tenir à l’image d’un Jamiroquai. Un passage plus tôt dans la soirée aurait été plus logique. L’imparable I Can Talk reste leur tube par excellence dans une version sur-vitaminée. Ils nous laissent finalement sur What You Know et sa légère guitare que chacun a bien en tête pour un final acclamé par le public.

Mais l’effervescence se trouve à un autre endroit du festival, devant la petite scène de la Loggia ou est programmé le phénomène du moment sur les réseaux sociaux : les parisiens de Fauve. Il fallait se placer très tôt pour être devant la scène car la densité du public est la plus élevée des quatre jours, on fait face à un mur de jeunes festivaliers : la hype est bien là. Tout bon bachelier a coché le groupe dans son programme du soir et le collectif s'avance, impressionné car n’ayant jamais joué devant tant de monde. On sent une communion de fans connaissant chaque texte par cœur, bien que la majorité des titres ne soient jamais sortis sur disque. Il est facile de critiquer la formation avec ses textes simples, crus et personnels mais ils parlent à la jeunesse et pas seulement parisienne. On peut résumer cette ferveur en une phrase entendu au détour d’un accent franc-comtois : "chaque chanson me fait penser à quelqu’un". C’est bien là leur force, prendre l’auditeur à la gorge avec des textes contemporains et forts.
Partis avec un apriori négatif, il faut reconnaître que nous sommes de plus en plus séduits par la prestation, ressentant un engouement du public s’approchant des concerts de la grande époque de Noir Désir. Bien sûr les orchestrations sont simples au possible, mais une trop grande complexité sur ces textes seraient peut-être excessive. On pense évidemment à Diabologum dans ce phrasé particulier mais Fauve fait évoluer la chanson française vers le langage populaire, comme a pu le faire Miossec. L’impact ne sera peut-être pas le même, il peut s’agir d’un feu de paille. Il n’empêche que dès le début du set sur Sainte Anne, le chanteur/rappeur déclame ses textes avec une rage perceptible, d’une voix bien plus crédible et écorchée en live que dans les versions studios. Le collectif ajoute quelques touches de musique de variété française simpliste dans ses refrains chantés comme sur Haut Les Cœurs ou 4000 Îles, repris par l’ensemble de la fosse s'étendant très loin et rejoignant même celle de la Grande Scène. Malgré cela, Fauve entretient le secret en jouant dans l’ombre de ses vidéos projetés et en refusant toute photographie, alimentant ainsi leur publicité. Ces cinq gaillards sont dans l’air du temps avec leurs "nique sa mère le blizzard" ou "si tu nous entends va t'faire enculer", un peu comme ces fréquences sonores audibles uniquement par les jeunes et que l’on n’entend plus à compter d'un certain âge. L’euphorie collective prend fin avec Kané, peut-être la plus attendue avec ses textes ambigus à propos d’une relation homosexuelle passionnée. Après s'être rendu au concert par curiosité, on en ressort convaincu par cette prestation qui a le plus touché nos émotions profondes jusqu’à nous serrer les tripes.

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L’enchainement est curieux puisque d’un groupe français caché dans les tréfonds du net, on passe au plus connu, celui qui occupe la tête d’affiche des plus grands festivals de Coachella au Primavera Sound : Phoenix. Pourtant, Thomas Mars l’avoue : ils n’ont jamais joué en France devant autant de monde, tout comme Fauve. Le tube Entertainment ouvre le show, introduisant la production plus dense du dernier album avec ce léger synthé japonisant. Le son de Phoenix est certainement celui de la musique populaire des années 2010, on s’en persuade à l’écoute de l’enchainement de ces pop-songs parfois lissées pour la masse mais tellement efficaces. Lisztomania en est la figure de proue : le public s’excite dès la répétition des deux notes de guitares, éclairé par un lightshow stroboscopique. Les anciens morceaux sont toujours présents à l’image de la funky Run Run Run qui permet de se décrasser les articulations ou encore It’s Never Been Like That qui a subi un lifting pour coller aux titres du dernier album Bankrupt. Lorsque l’on suit le groupe depuis son premier album United, on pense que ce dernier est le meilleur et on est généralement l’un des seuls à sauter comme un cabri lorsque vient Too Young, leur meilleure chanson. Elle se limite malheureusement à un seul couplet - refrain, puisque remixée avec Girlfriend, mais on s’en contentera tout en se remémorant avoir bondi plus longtemps lors de La Route du Rock 2004.
Thomas Mars assume son nouveau statut de vedette internationale en allant se coller au premier rang, puis en se lançant dans un crowdsurfing tout en conservant le style dandy qui le caractérise. Le synthé de 1901 est accueilli par un public à son paroxysme de bonheur alors que l’écran géant diffuse des images du Château de Versailles ou du Mont Blanc. Les héros ont droit à un rappel avec la géniale If I Ever Feel Better dans sa version d’époque, enchainée avec la discoïde Funky Squaredance pour le sommet de leur prestation du soir. Une reprise de Entertainment pour boucler la boucle et Phoenix s’en retournent enflammer d’autres festivals à travers le monde. Pop is definitely not dead.

Beaucoup de festivaliers sont rassasiés et quittent le site mais nous décidons de jeter un dernier coup d'œil sur la scène la Loggia où Rich Aucoin est attendu. L’idée est excellente puisqu’il s’agit de l’une des meilleures prestations du festival. Le canadien est seul face à un public curieux qui s’agrandit au fur et à mesure du show. Il remixe des vidéos piochées sur Youtube pour en faire une musique électronique joyeuse et dansante, sans oublier d’arroser généreusement la foule de confettis et autre serpentins. L’homme à casquette fait répéter les textes de ses morceaux pour créer une ambiance unique, la plus conviviale des quatre jours. Il n’hésite pas à rejoindre la foule pour danser avec elle, muni d’une lampe torche, puis à couper la musique pour diffuser une vidéo de Maru le chat, avant de répartir escalader la tour des balances. Des extraits de quelques secondes sont enchainés, passant de la Compagnie Créole à Daft Punk sans état d’âme. Mais le moment de génie reste le déploiement d’un parachute géant multicolore sur l’ensemble du public. On se retrouve sous cette toile géante comme dans une mini discothèque, à quelques mètres de Rich Aucoin qui nous rejoint pour un moment de pure fête. Ce moment était indescriptible et restera longtemps dans les esprits comme le meilleur de ces Eurockéennes 2013.

Cette journée du samedi fût chargée mais riche en émotions. Nous retiendrons les performances rock’n’roll de Black Rebel Motorcycle Club et Dinosaur Jr, l’envoutante Valerie June, les nouveaux dieux de la pop Phoenix, les surprenants Fauve et le génie Rich Aucoin. En quittant le site, la seule question qui reste est de savoir si nous tiendrons un quatrième jour à ce rythme effréné...
artistes
    A$AP Rocky
    Black Rebel Motorcycle Club
    Busy P
    Cassius
    Dinosaur Jr
    Fauve
    Griefjoy
    Is Tropical
    Jackson and his Computer Band
    JC Satàn
    Kavinsky
    Kery James
    Lou Doillon
    Matisyahu
    Mikky Blanco
    OY
    Phoenix
    Rich Aucoin
    The Strypes
    Two Door Cinema Club
    Valerie June
    Von Pariahs
    Yules
photos du festival