logo SOV

Sziget Festival

Budapest, du 5 au 12 août 2013

Live-report rédigé par Olivier Kalousdian le 15 août 2013

Bookmark and Share
Le 21ème Sziget Festival (ndlr : l'Île en Français) a officiellement pris fin, lundi 12 août au matin. L’île d’Óbudai s’est vidée de ses centaines de milliers de festivaliers venus du monde entier. Il ne reste plus qu’un matelas de détritus en tous genres allant de la tente perchée dans les arbres et dont on n’a pas voulu s’embarrasser dans l’avion ou le car, au matelas gonflable bon marché en passant par des vêtements oubliés, plus du tout identifiables après avoir subi les outrages d’une semaine de poussière, de bières et de sueur ! Cette couche insalubre sera rapidement ramassée et l’île vite nettoyée par une armée de volontaires et de camions poubelles pour redonner vie à la végétation locale qui, pendant une semaine, subit un stage de survie intense entre gobelets en plastique, mégots de cigarettes et piétinements continues.

SOV

Car cette île, un des poumons verts de la ville de Budapest, bordée des deux cotés par la Danube, doit être rendue à la municipalité pour onze heure du matin. Hier soir encore, Franz Ferdinand puis David Guetta faisaient retentir leurs puissants accords et mélanges du haut de la scène principale située au milieu de l’île, accompagnés de feux d’artifice et d’un son et lumière dignes des meilleurs quatorze juillet hexagonaux. Au Sziget, tout commence et finit par la démesure dans une totale liberté liée à une réglementation bien plus souple qu’en France, pour ne parler que de notre pays.
Malgré ce joyeux foutoir fait de dizaines de milliers de tentes posées sans discernement (pourvu qu’elles soient hors des allées, des rues et des zones des scènes), de centaines de WC et douches provisoires – parfois collés à des campeurs, très sauvages ! – et autant de stands proposant des alimentations variées, vêtements en tous genres et même une fausse chapelle procédant à des mariages de circonstance ; malgré des véhicules circulant au plus prés des festivaliers toute la journée durant pour réapprovisionner les stands, vider poubelles et WC ou tout simplement acheminer les moins courageux des employés de l’organisation ; malgré une chaleur difficilement supportable (36 degrés de moyenne toute la semaine) et une promiscuité de chaque instant... ce 21ème festival se sera achevé sans incidents, sans blessés graves et avec le sentiment que ces centaines de milliers de jeunes aux nationalités variées peuvent tout à fait vivre sans iPad, sans TV et sans climatisation pendant une semaine, dormir dans des tentes Quechua d’un mètre carré baignant sous 45 degrés et vivre à la Robinson tout en étant au climax de leur bonne humeur, énergie et de bien-être. La musique et les cinq-cent concerts de la semaine agissant comme autant de globules rouges oxygénant un sang qui finira en distillerie dans une AOC que l’on ne retrouve qu’en pareille circonstance.

SOV

En arrivant sur site, une semaine plus tôt, une fois passé le seul point d’accès à l’île d’Óbudai, le vieux pont de fer tout droit sorti d’un film de guerre de David Lean, et les contrôles censés débusquer la contrebande (alcool, drogues, armes blanches…), un univers de musiques et de cultures internationales s’ouvre aux festivaliers, accompagnés chaque nuit par des nuées d’insectes se régalant de cette profusion de lumières visibles des hublots d’avions volant en rase-motte et en approche de l’aéroport international de Budapest. Comme un pied de nez à la société qui l’entoure, le Sziget affronte, depuis quelques années, les remontrances rétrogrades et les discours moralisateurs du parti du chef de gouvernement, Viktor Orbán, président de la Fidesz, Union civique hongroise connue pour ses relents nationalistes et ultra-conservateurs. Dans ce pays où les hôpitaux, écoles et infrastructures souffrent de coupes budgétaires drastiques décidées par Viktor Orbán, le Sziget et son île de liberté, envahie tous les ans par des dizaines de nationalités différentes constitueraient un affront lancé aux valeurs défendues par son parti ; les 362 000 festivaliers recensés cette année et l’économie qu’ils représentent sont autant de soutiens à ces Hongrois qui ne voient pas les choses sous cet angle et qui attendent, avec courage, que les temps changent et que le salaire moyen national dépasse enfin les trois Euros de l’heure !

SOV

Aujourd'hui, la chaleur de la veille ne se dément pas ; on atteint facilement les 35 degrés à l’ombre à dix heures du matin en cette première journée. Skunk Anansie, qui n’en sont pas à leur premier Sziget Festival ont réveillé les premiers festivaliers en réglant les balances de leur set prévu à 17h45 sur la scène principale.
À 16h, sous le chapiteau de l’Arena, The Joy Formidable ouvrent le bal du rock anglais, le plus recherché mais pas le plus fréquenté en ces terres transylvaniennes. La chaleur étouffante qui règne sous ces chapiteaux est brassée par des ventilateurs géants ; elle sera encore accentuée par la lourdeur des riffs et la puissance du noisy rock sans concession du trio gallois. Ritzy Bryan, Rhydian Dafydd et Matt Thomas propulsent enfin le Sziget – qui a démarré deux jours auparavant avec une programmation tremplin en guise de tour de chauffe – sur cette route du rock que, de La Rochelle à Saint-Cloud en passant par Budapest, des centaines de milliers d’amateurs empruntent aux gré des programmations pour aller vivre, une fois l’an, quelques libertés de plus en plus recherchée en ces temps d’oukases et de politiques sécuritaires.
The Joy Formidable, qui n’ont aucune actualité à défendre depuis leur nouvel album Wolf's Law sorti en janvier 2013, proposent une setlist sans surprises, introduisant le show avec Austere et sa construction en deux temps pour finir, neuf titres plus tard, sur un Whirring devenu quasi classique des meilleures stations de radios depuis sa sortie sur l’album The Big Roar en 2011. Comme ils nous en avaient gratifié à la Flèche d’Or à Paris début 2011, le final de ce titre de plus de cinq minutes achève le set sur un déluge sans paroles fait de riffs puissants poussés jusqu’aux larsens sur lesquels Matt Thomas s’emploie comme un diable à accélérer le tempo d’une batterie sur laquelle il semble jouer avec les six bras de Vishnu ! Tornades rock faites de breaks annonçant la tempête qui s’ensuit immédiatement après, les titres de The Joy Formidable ont cette capacité à vous trotter dans la tête, longtemps après la fin du set. C’est en sifflotant sous un chapeau de paille qu’est parcouru le kilomètre séparant la scène Arena de la scène principale où démarre le set de Skunk Anansie.

SOV

Au plus chaud de la journée – ici, l’air marin ou les courants océaniques de fin de journée ne sont que de vagues concepts – la scène principale déploie enfin ses gros moyens pour ce groupe à la réputation sonore et scénique non démenties depuis presque vingt ans. Skin, que l’on admire enfin, s’est, comme toujours, mise sur son trente et un dans sa vision toute personnelle de ce que doit être une tenue de scène rock : pantalon aux effets dorés miroitant un soleil mordant, haut combinaison tubulaire qui semble fait d’un néoprène dans lequel la température doit avoisiner celle d’un pompier en combinaison lors d’un feu de raffinerie, et coupe de cheveux graphique peroxydée rendant hommage à l’illustre Grace Jones, ou je ne m’y connais pas !
Avec le titre Weak, Skin entame sa procession publique dont l’autel, à savoir la chanteuse elle-même, sera porté à bout de bras par les premiers rangs dans une communion des sens qu’elle demande à être totale. Faisant fi des consignes de sécurité – toutes relatives ici, on n’est pas l’île de la liberté pour rien ! – Skin, qui n’aime rien de plus que d’aller se mêler physiquement à son public, va enjamber les barrières pour aller saluer ses fans et chanter un Little Baby Swastikkka pendant lequel elle demandera à quelques trente mille personnes de s’asseoir et de faire silence pendant les premières mesures : « Rentrez vos appareils photos et vos smartphones et essayez de vivre l’instant présent, pour une fois... ». Gare à ceux qui refusent de jouer le jeu ! Un citoyen de sa majesté, toutes caméras braquées sur lui, fera de la résistance et tentera, effronté, de rester debout malgré les demandes répétées de Skin se tenant à ses côtés... tout à coup, un « he’s a bitch » retentit du fond et trente mille personnes, soutenues par Skin, vont se tourner vers lui et hurler, jusqu’à ce qu’il s’exécute, « bitch, bitch, bitch » ! Son heure de gloire, ce garçon l'aura eue, mais peut-être pas comme il l’entendait. Comme à son habitude, Skin qui n’en a jamais assez, rejoint finalement la scène en crowd surfing sous les yeux écarquillés du service d’ordre hongrois – gros bras et tatouages sous des têtes de gros poupons – qui en ont vu d’autres, malgré tout.
Le titre Hedonism plonge la foule dans les années 95 et aux meilleures heures d’un Skunk Anansie dont la musique passéiste peut sembler en anachronisme avec le reste de la programmation mais dont l’énergie et le sens de la scène appartiennent, sans nul doute, à l’esprit de folie et de liberté de l’île d’Óbudai.

Pendant l’heure et demie de concert de Skunk Anansie, l’organisation a distribué dix mille ballons multicolores devant la grande scène. Gonflés à l’hélium, l’ordre est donné de tout lâcher à la fin du concert pour une balloon party embrasant le ciel bleu de mille couleurs et qui restera sûrement comme l’image forte de ce 21ème Sziget Festival. Discrètement, un petit drone équipé d’une caméra miniature survole la foule pour filmer l’action en hauteur : il se crashera quelques minutes après son envol quelque part sur la foule, assailli, encerclé et finalement détruit par les ballons trop nombreux qu’il entendait filmer !

SOV

Pendant ce temps, sur la scène A38, un chapiteau de dix mille places, Everything Everything délivrent un set de ce qui s’appelle désormais l’art-rock et lorgne à la fois du côté de la glitch pop et de l’electronica. Les contre-temps sont à la baguette pour un set très jeune, mélancolique et atmosphérique (Cough Cough) et qui rafraîchira quelque peu l’atmosphère toujours étouffante du Sziget. Sans atteindre des sommets, Everything Everything assurent le job en transpirant plus que de raison sous les cris d’un public majoritairement féminin venu se dandiner avec sensualité sur des titres séduisants tels que Torso Of The Week.
Par chance pour ces cinq garçons venus de Manchester, la tenue officielle féminine cette année, comme depuis toujours, c’est le bikini !

SOV

Si le premier coup de semonce de la grande scène a été donné par Skunk Anansie, quelques heures plus tôt, c’est aux alentours de vingt et une heure trente que la poudre va se mettre à parler et le souffre, réchappé des entrailles de la terre se faire sentir avec le set de Nick Cave & The Bad Seeds, le mythique groupe anglo-australien. Avec la sortie de l’album Push The Sky Away début 2013, Nick Cave, qui, jusque-là, était une icône du rock maudit dont l’écoute provoquait l’incompréhension ou l’adulation, jamais entre deux, a connu un succès quasi-populaire auquel lui-même ne s’attendait pas.
Des Nuits de Fourvière, où il jouait dix jours auparavant, à Budapest ce soir, le groupe honore son public avec une setlist plongeant dans le répertoire des années quatre-vingt, encore très post-punk sur des titres comme Tupelo ou From Here To Eternity, fait un détour par des années quatre-vingt-dix plus classiques bien que torturées avec des titres comme The Mercy Seat ou Stagger Lee – dont l’interprétation revue pour la scène et totalement habitée par le diable lui-même laissera la foule totalement bouche-bée – jusqu’aux années présentes et le subtilement bouillonnant Jubilee Street auquel Warren Elis, le musicien fou, donne une tonalité et un final en apothéose qui compenseront le simple rappel donné ici. Cet artiste a su se réinventer sur scène et donner une nouvelle vie à des titres souvent plus anciens que la majorité des festivaliers sur place. Le lendemain, la presse locale titrera « Nick Cave, César du Rock » !

SOV

Le set de la mystérieuse Natasha Khan, alias Bat For Lashes, est déjà démarré et prend le relais d’un des groupes les plus illuminés de cette semaine, Deichkind. Avec des airs de Devo sous leurs déguisements inconcevables, ces Allemands donnant dans le hip-hop iront jusqu’à expérimenter le crowd surfing sur un bateau pneumatique pour aller saluer les fans de l’autre bout de la salle !
Sous ce chapiteau nommé A38 et situé derrière la scène principale du Sziget, des milliers de festivaliers entament une nuit blanche sous des airs de pop sombre. Avec cette dream pop recherchée qui emprunte plus à Siouxsie Soux et ses démons qu’aux élans lumineux des London Grammar, pour ne citer qu’eux, Bat For Lashes ressuscite les rythmes et parfois même le timbre de la grande Kate Bush version Running Up That Ill (Laura). Sous une robe de satin rouge surmontée de cheveux noir de jais, Natasha Khan est accompagnée, ce soir de quatre garçons et une fille aux cordes (violon et violoncelle) qui étoffent et enrichissent des titres parfois un peu candides, parfois parfaitement cinématiques (All You Gold, What's A Girl To Do), souvent teintés d’un voile oriental qui n’a rien à voir avec le débat Français actuel.

Minuit approche, l’heure où les DJ envahissent les multiples scènes et chapiteaux ouverts jusqu’à 5h du matin. Nina Kraviz fait le plein de ravers et ses infra basses, comme celles des DJ suivants, pénètrent les pores de la peau, les toiles de tentes et les caravanes… A Sziget, la nuit est chaude, courte et agitée. Les plus avinés ne regagneront ni leurs tentes, ni leurs caravanes... posés là où leurs corps épuisés stopperont net leur course folle, ils vont connaître une nuit à la belle étoile sous un néon, un comptoir de bar ou un arbre.
artistes
    Alex Clare
    Bat For Lashes
    Blaudzun
    Chase & Status
    Chris Liebing
    Csík Band et ses amis
    Deichkind
    Die Ärzte
    Dubioza Kolektiv
    Everything Everything
    Feed Me DJ set
    Flogging Molly
    Hoffmaestro
    La Pegatina
    Moana & The Tribe
    Nick Cave And The Bad Seeds
    Nina Kraviz
    Oscar Mulero
    Skunk Anansie
    Tako Lako
    The Joy Formidable
    Totally Enormous Extinct Dinosaurs
photos du festival