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La Route du Rock

Saint-Malo, du 14 au 17 août 2013

Live-report rédigé par François Freundlich le 21 août 2013

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Après une soirée d’ouverture dans une Nouvelle Vague surchauffée, c’est sous un soleil de plomb que nous nous rendons à la plage de Bon Secours où La Route du Rock a pris ses petites habitudes. On s’offre une petite baignade avant de s’installer au milieu des festivaliers en goguette devant le petit chapiteau où se succéderont chaque après-midi des concerts de petits labels français. C’est Clapping Music, label de Yeti Lane, Egyptology ou Orval Carlos Sibelius, l’invité du jour, qui ouvre le balnéaire.

Le parisien Axel Monneau alias Orval Carlos Sibelius a beaucoup fait parler de lui récemment sur la toile avec son pseudonyme à mi-chemin entre un athlète handisport sud-africain et un chanteur barbu en chemise à fleur. Pourtant point de reprise de Papayou en bâton à ressort mais de longues plages sillonnées de synthétiseurs planants. Les guitares psychédéliques au doux son 60’s s’emmêlent et se démêlent, prolongeant des morceaux marathon frôlant souvent les dix minutes. La voix est quant à elle plutôt lointaine et entrecoupée de chœurs joyeux et aigües lorsque les morceaux ne s’étendent pas dans de profonds instrumentaux.
Les nappes de claviers de la claviériste en robe rose ainsi qu’un surprenant trombone à coulisse font le reste du job, nous permettant de remuer la tête ou de la poser dans le sable selon les moments. Le groupe alterne ainsi d’anciens morceaux aussi réussis que les nouveaux qui connaissent des adaptations survoltés, comme l’entêtante I Don’t Want A Baby. Le set se termine sur le titre Desintegração au format plus pop tant dans la durée que dans le refrain entrainant. Orval Carlos Sibelius est un groupe à revoir même si les cris des mouettes qui complétaient les moments de silence manqueront certainement aux futurs concerts.

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Le moment tant attendu est arrivé : nous rejoignons le fort de Saint-Père-Marc-En-Poulet qui s’est mis sur son trente et un pour accueillir cette 23ème Route du Rock. En effet, une deuxième scène a fait son apparition en dehors des remparts du fort et c’est en pleine chaleur que nous assistons à l’ouverture du festival par Jacco Gardner. L’homme au visage de poupon affiche le même sourire que le chat d’Alice mais a laissé tomber les cheveux peroxydés depuis sa dernière tournée française. La douce voix du hollandais est prolongée d’une légère reverb qui lui donne une saveur vintage rappelant Simon & Garfunkel même si les instrumentations sont bien plus psychédéliques.
Recroquevillé sur son clavier tout aussi vintage, Jacco fait raisonner de larges nappes sur des compositions des plus efficaces. Les guitares électriques prennent parfois le dessus afin que le public planqué derrière ses lunettes de soleil accompagne les mouvements de tête des quatre musiciens. Malgré une forte inspiration Floydienne, un vent de fraîcheur se dégage de cette musique qui possède une base profondément euphorique. Le fameux single Clean The Air n’est pas oublié, ayant pris une dose de vitamines mais restant comme l’un des morceaux majeur de cette année. Merci qui ? Merci Jacco !

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Nous entrons enfin à l’intérieur de l’enceinte mythique du fort qui a vu défiler tellement de grands artistes. La grande scène est bien à sa place, prête à accueillir les danois de Iceage pour une ouverture toute en furie. Les programmateurs n’ont pas choisi la finesse pour ce premier concert puisque ces jeunes gens vont livrer leur punk noise toutes guitares dehors pour un début de festival plutôt brutal, mais cela ne durera pas. Le chanteur à la mèche revêche Di Caprio observe le public d’un regard insolent en répétant des attaques vocales graves et monocordes. Il s’avance à l’avant de la scène en criant et en faisant voler son fil de micro alors que la batterie se fait lourde et puissante.
La musique d’Iceage est sombre et inspirée par le post-punk anglais, le sourire de Jacco Gardner s’étant ici renversé dans l’autre sens. Certains passages sont proches du hardcore : on ne s’attendait peut-être pas à un son aussi âpre à La Route du Rock mais cela passe sans problème si l’on est pas venu uniquement pour voir Local Natives. On s’aperçoit au final que l’on différencie peu les morceaux, si ce n’est les quelques instants de répits plus fins qui auraient gagné à être plus présents. Mais la rage de Iceage l’a emporté et tout le monde aura compris qu’ils sont sacrément en colère contre nous : punk is not dead.

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Parachevons cet enchainement spécial guitares acérées avec les américains de Moon Duo venus en trio sur la scène des remparts. Le groupe chevelu est composé du guitariste de Wooden Shjips et de sa compagne Sanae Yamada aux synthétiseurs. Un batteur les accompagne, ce qui est tout de même mieux qu’une boîte à rythme pour ce style encore une fois très psychédélique. On reconnaît bien les chemins lancinants souvent empruntés par Ripley Johnson mais le son est cette fois plus hypnotique et aliéné. Le synthétiseur se perd dans des répétitions infinies de quelques notes tandis que les solos de guitares à distorsion extrême s’écrasent contre les remparts du fort. Les crescendos sont de plus en plus forts, de plus en plus rapides et notre nuque les suit en se repliant de plus en plus vers le bas. Les boucles nous ceinturent pour nous encercler et ne jamais nous lâcher. Avec tous ces concerts psychédéliques, on n’est pas loin de rejoindre lucy in the sky sans avoir rien consommé.

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La soirée va prendre une tournure plus calme avec le retour des californiens de Local Natives, trois ans après leur passage lors de la collection hiver du festival. Nos oreilles reprennent leur souffle avec ce retour à une pop plus classique nous rappelant les passages de Grizzly Bear sur cette même scène. Les vocalises des quatre chanteurs fusionnent dans de délicates harmonies très précises alors que le batteur s’excite sur une rythmique très présente et mise en avant. Les Local Natives donnent l’impression de se donner totalement sur leurs parties vocales mais aussi sur leurs claviers et guitares ou en assurant une rythmique complémentaire des plus rapides. Leurs postes sont interchangeables et un jeu de chaise musical se met en place d’un morceau à l’autre. La force des compositions de leur premier album s’exprime pleinement dans des versions live revisitées alors que celles de Hummingbird évoluent dans une certaine quiétude.
Ils sont quoiqu'il en soit ravis d’être de retour en précisant qu’il s’agit d’un des plus beaux endroits dans lequel ils ont joué avant d’entamer leur fameuse reprise des Talking Heads, Warning Sign avec une vibrante introduction a capella. La perle du second album You & I est enchainée avec celle du premier, Airplanes, pour un duo qui marquera le sommet du concert. On se passionnera moins sur quelques passages moins enlevés mais le final sur la géniale Sunhands et son refrain déclamé nous donne enfin l’occasion de sauter sur place dans un moment de pure euphorie. Les Local Natives ont confirmé leur réputation de très bon groupe de scène.

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La tête d’affiche que tout le monde attend avec fébrilité est sur le point d’entrer en scène alors que le fort s’est bien rempli pour l’occasion. Nick Cave & The Bad Seeds surgissent devant une marée de bras levées et d’yeux émerveillés. L’idole apparaît, dominant d’un simple regard l’ensemble du fort de sa classe folle. Nick Cave est grand, très grand et impressionnant, très impressionnant. Le concert commence dans la douceur sur le morceau d’introduction du dernier album. La voix sombre et envoutante s’élève parfaitement, nous enlaçant ou nous saisissant brutalement pour ne jamais se desserrer.
Dès le second titre, Jubilee Street est interprétée majestueusement. La guitare de Warren Ellis est emplie d’électricité sur ces accords joués en boucle qui vont s’attiser de plus en plus dans un crescendo épique jusqu’à attendre un volume sonore considérable. L’une des meilleures compositions de cette année se trouve magnifiée devant nos yeux ébahis : Nick Cave nous envoie plusieurs gifles à la suite sans que l’on ne puisse rien y faire. Le concert est à peine commencé et nous venons d’atteindre un sommet à la hauteur des meilleurs concerts auxquels nous avons pu assister. La larme est troublée par l’assourdissant final de cette Jubilee Street à la fois terrifiante et envoutante.
Nick Cave revient ensuite à un extrait de son tout premier album From Her To Eternity, introduit par ce « I wanna tell you about a girl » déclamé dans un souffle. La tension augmente encore d’un cran alors que le crooner est intenable sur scène, parcourant la scène armé de son microphone et faisant ses premiers aller-retour vers les premiers rangs. On ne sait alors plus ou donner de la tête puisque le groupe est aussi passionnant à regarder, notamment lorsque Warren Ellis martyrise son violon ou sa guitare. Mais notre regard est irrésistiblement attiré par l’australien qui semble épier chaque personne du public à chaque instant. On ne sait plus si il nous regarde ou pas, son visage est aussi énigmatique que la Joconde. Il saisit la main d’une personne du public pendant Tupelo qu’il interprète juché sur les barrières de sécurité en criant ses textes du plus profond de sa gorge tout en se tordant sur lui même. Nick Cave tient dans sa main l’ensemble de La Route du Rock qui a les yeux rivés sur ce génie de l’interprétation.
Deanna revêt des habits plus rock’n’roll avec des chœurs assurés par les Bad Seeds doublés de guitares bluesy. La suite sera plus apaisée avec la douce Mermaids où la voix se fait plus caressante. Nick Cave s’installe finalement derrière son clavier pour le moment de grâce du concert avec une Love Letter en piano voix aux résonances de Bowie qui nous fera frissonner les tripes. L’homme à la voix de feu nous narre ensuite son Higgs Boson Blues obscur et profond dont chaque mot nous tient en haleine pendant la dizaine de minute de l’imposante montée en puissance de ce titre magistral. Les notes de piano et autres « bad motherfucker » de la sensuelle Stagger Lee se chargent de nous porter le coup de grâce tandis que Nick Cave le porte à un innocent tabouret qui n’avait rien demandé. Chaque personne du public de Nick Cave & The Bad Seeds en ressort forcément avec la gorge enflée et le sentiment d’avoir assisté à l’un de ses meilleurs concerts dans la noirceur du fort. Il va être compliqué de continuer après un tel show.

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La pression est sur les épaules des !!! dont le chanteur a trouvé la solution pour passer après Nick Cave : se présenter en caleçon sur scène, peut-être pour se sentir encore plus petit à coté du maître. Les basses funky des américains introduisent le passage à une ambiance de danse sur le fort. Le chevelu Nic Offer propose un déhanché inimitable et des pas de danse accompagnés de levés de bras valant plusieurs milliers de points sur l’échelle de Travolta. Si la prestation est plutôt entrainante, il est compliqué de lui trouver un intérêt musical après ce que nous venons de vivre mais !!! est bien un groupe devant lequel on ne peut pas s’ennuyer tant il s’adresse directement à nos articulations pour provoquer un réflexe de mouvement incontrôlable.
Les quelques synthés 80’s planent à l’arrière de guitares rapides, suivant un rythme disco omniprésent idéal pour se dandiner avec classe, sans oublier le saxophone. Ah si, oublions-le. La voix rauque monte parfois dans des aigües même si elle n’a rien de vraiment original. On a parfois l’impression que Nic Offer force trop sur la comédie mais l’efficacité est néanmoins au rendez-vous : !!! est le groupe idéal pour enflammer un festival au milieu de la nuit. L’entêtante Jamie, My Intentions Are Bass achèvera de nous électriser alors que le chanteur s’offre un petit détour au milieu du public. Le chk, c’est chic.

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On s’approche des deux heures du matin et les math-rockers d’Electric Electric sont sur le point d’atomiser la scène des remparts. Fers de lance d’une scène indépendante strasbourgeoise bouillonnante (avec entre autres Hermetic Delight ou 100% Chevalier), les alsaciens sont également connus pour participer au projet multi-groupe La Colonie de Vacances. Ils tiennent ici la scène de leur power trio épileptique composés d’assauts de guitares méthodiquement saccadées. De longues plages stridentes se superposent à des guitares graves et répétitives et des fulgurances subites de batterie. Leur musique quasi-instrumentale rappelle celle de Battles qui avaient délivré le même type d’ambiance lors de l’édition 2011. Celle dispersée par Electric Electric est encore plus angoissante et brutale, prenant son temps pour s’élever en évoluant sans cesse dans des marathons bruitistes d’une dizaine de minutes. Les trois évoluent à l’avant d’un lightshow stroboscopique qui a pour conséquence de les dissimuler et de renforcer l’expérience électrisante qui aura foudroyé le festival.

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Pour finir en beauté et monter d’un cran supplémentaire dans l’intensité orageuse, les anglais de Fuck Buttons sont chargés de clôturer cette première soirée. Le duo se place autour de son attirail de machines à boutons en tout genre pour asséner de lentes mélopées synthétiques et inquiétantes. Leur électro futuriste se base sur des divagations spatiales portées par des beats magnétiques métronomiques. On se souviens du set dantesque qu’Aphex Twin avait livré sur cette même scène en 2011 même si les Fuck Buttons sont parfois bien plus dur à cerner tant ils peuvent alterner un minimalisme lancinant avec des déflagrations multicouches. Les DJs de Bristol cherchent clairement à provoquer la transe du public sur certaines charges bruitistes infinies éclairée par un stroboscope hypra-rapide à s’en coudre des boutons sur les yeux. Nos tympans n’en ressortent pas sans dommage et demandent le silence, on ne peut que céder à leur appel.

Cette première journée de La Route du Rock s’est révélée surprenante mais restera marquée par la performance de génie de Nick Cave & The Bad Seeds. On essayera également de retenir celles du malicieux Jacco Gardner ou d’Orval Carlos Sibelius ainsi que des très bons Local Natives. Comme prévu chaque concert fût très réussi, voire légendaire, et ce n’est que le début.
artistes
    Electric Electric
    Fuck Buttons
    Iceage
    Jacco Gardner
    Local Natives
    Moon Duo
    Nick Cave & The Bad Seeds
    Orval Carlos Sibelius
    !!! (chk chk chk)
photos du festival