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La Route du Rock

Saint-Malo, du 14 au 17 août 2013

Live-report rédigé par François Freundlich le 22 août 2013

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Nous voilà bien échaudé après ces deux premiers soirs, nous craignons néanmoins que l’eau froide ne fasse son apparition sur La Route du Rock. La météo semble clémente même si ce deuxième jour semble moins fréquenté après l’effet Nick Cave de la veille. L’effet Godspeed You! Black Emperor se fait moins sentir mais en attendant, on commence à s’habituer à ces fins d’après-midi sur la petite scène des remparts.

Le jeune Jackson Scott est le premier artiste du soir, il va proposer un set bien moins acoustique que ce qu’on a pu écouter sur ses quelques titres studio. N’ayant pas participé au Austin Psych Fest pour des clous, le natif de Pittsburgh s’inscrit dans la lancée d’un festival malouin très portée sur ce style Barrett après les Jacco Gardner et autres Moon Duo. On a néanmoins plus de mal à se laisser convaincre par Scottie et son air perdu puisque sa voix nasillarde s’échappe à peine des contorsions larseniques de guitares mises à rude épreuve. Le rythme est plutôt lent alors que les intenses distorsions pourraient faire apparaître un double arc-en-ciel à oscillation kaléidoscopique, que Jackson doit certainement apercevoir dans le ciel lorsqu’il relève sa visière de casquette. De notre côté, il est un peu tôt pour être en état de s’en émerveiller avec lui : les chèvres de La Route du Rock n’ont pas encore de corne au milieu du front.

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Approchons-nous de la grande scène pour les très attendus Woods qui ont signé, à n’en pas douter, l’un des grands albums de cette année 2013 avec Bend Beyond. Si le quatuor débarque de Brooklyn, les looks de barbus en chemises à carreaux les rattacheraient plutôt aux paysages boisés du Minnesota. Leur folk apaisé est un délice de fraicheur et de spontanéité qui nous colle le sourire aux lèvres dès les premiers titres comme Cali In A Cup, avec ses accords simples doublés d’un harmonica bucolique. La voix est pourtant très loin de Dylan puisqu’elle s’évade dans des aigües au premier abord surprenant mais d’une exquise subtilité. Toute la particularité du son de Woods réside dans cette voix ainsi que dans l’utilisation d’une mandoline électrique légèrement dissonante sur laquelle sont magnifiées des compositions imparable. Certains morceaux semblent s’échapper d’un van de hippies pour s’enrouler progressivement de couches psychédéliques comme la géniale Bend Beyond. Une certaine intemporalité se dégage de son refrain, provoquant l’envie de la réécouter sans fin alors qu’elle se voit prolongée dans un instrumental pandémoniaque et haletant. Ce quatuor est un vrai plaisir, on se laisse simplement envahir par leurs mélodies sucrées et par la brise fraiche du fort. Woods puisent également dans le rock aux inspirations plus binaires sur la fin du concert mais nous restons leurs plus fidèles auditeurs, croix de bois croix de fer.

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Ce festival a un secret pour enchainer deux groupes parfaits sans que cela ne se voit puisque Efterklang vont prolonger de manière idéale ce concert. Les danois s’installent, égaux à eux-mêmes, c’est à dire souriants constamment et moustachus parfois. Leur pop onirique va enchanter le fort, sublimée par des arrangements précis ou des emportements électroniques. Ces derniers remplacent effectivement les violons de Peter Broderick, le dernier album se prêtant plus à ce style que les précédentes livraisons à forte influence classique. Heather Woods Broderick, partie vers d’autres cieux avec Sharon Van Etten, est quant à elle remplacée par Katinka Vindelev et sa voix se rapprochant davantage de celle d’une cantatrice et correspondant moins à Efterklang.
Malgré ces absences, les complexes compositions sont toujours pleinement maîtrisées et la classe naturelle du chanteur Casper Clausen fait le reste. Sa voix possède une force mélancolique tout en restant dans une certaine douceur tragique. L’un des grands moment du concert reste cette envolée de chœurs sur Frida Found A Friend, titre épique connaissant une adaptation percutante et mystique. Elle est enchainée avec le doux piano de Modern Drift, single cristallin et envoutant dont les violons sont remplacés par de sémillants synthétiseurs et des chœurs d’opéras. On n’atteint pas les concerts aux sommets que l’on a pu connaître avec Efterklang, car la froideur des rythmes électroniques n’est pas comblée par la chaleur des arrangements acoustiques. Il arrive même au bassiste Rasmus Stolberg de s’ennuyer sur certains titres mais il garde son sourire à toute épreuve. L’euphorique refrain de Raincoats est de circonstance, puisqu’une légère bruine fait son apparition. Ce titre permet à nos pieds de quitter le sol quelques instants et de s’exciter un peu plus. Casper introduit un petit jeu ou les festivaliers peuvent s’offrir des objets d’un concert à l’autre en les plaçant dans une boîte en carton, avant de terminer sur des titres du dernier album Piramida bien plus énervés. Les nouvelles orientations furent moins convaincantes mais une prestation d'Efterklang est toujours un régal pour les sens.

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La petite scène des remparts devient difficilement accessible en avançant dans la soirée puisqu’il y a dix fois moins d’espace que sur la grande mais nous parvenons à nous frayer un chemin jusqu’au concert des Allah-Las. Les californiens sont sortis de leur garage pour offrir un set incisif et laid-back. Cette petite scène aurait pu s’appeler la sixties stage puisque la thématique des sonorités de cette époque est omniprésente. Les guitares surf se mêlent à des trainées crades et dissonantes sur des compositions à base de pop psychédélique plutôt aguichantes. Les voix paresseuses se mélangent sur l’excellente Tell Me (What's On Your Mind) qui parvient à faire danser l’audience. On pense parfois aux Cloud Nothings qui s’étaient faits remarquer ici l’an passé ou aux truculents Black Lips pour le coté onaniste. Les Allah-Las ne sont néanmoins pas des caricatures et développent leur son propre qui sait parfois se calmer pour rejoindre des inspirations folk ou s’étendre dans des solos contemplatifs. Ils ont toutefois la fâcheuse habitude de reprendre toujours le même thème en boucle, les accords de Don’t You Forget It ressemblant fortement à ceux de No Voodoo ou de Catamaran. On crierait à la supercherie si on n’avait pas eu le temps de s’enticher de ces quatre olibrius.

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La tête d’affiche du soir n’est pas le véritable groupe fédérateur habituel mais le légendaire collectif du label Constellation : Godspeed You! Black Emperor. Sur une affiche, ça claque tout de suite, en concert ça partage les festivaliers. Certains se prosternent avant même l’entrée en scène, d’autres rejoignent le bar. Les empereurs du post-rock ne laissent pas indifférents et vont livrer une odyssée mémorable de lentes constructions qui finiront par dépasser tous les gratte-ciel de Montréal ou Dubaï. L’introduction est sombre et oppressante, faite de basses acidulées auxquelles se mêlent la pléiade de violons, guitares ou batteries des huit protagonistes. Ils se démènent tapis dans l’ombre d’un écran diffusant des images abstraites ultra-rapides, ce qui a pour conséquence de les dissimuler complètement. On a tout juste l’occasion de saisir que le son inconnu strident et aquatique parvenant à nos oreilles provient bien d’un violon à l’archet rudoyé. Après une dizaine de minutes de préliminaires, une structure se forme finalement, nous empoignant le cerveau et nous fermant les yeux. L’effet sur les organes internes provoqués par la musique de Godspeed You! Black Emperor est ardemment descriptible. Si on parvient à trouver la clé pour pénétrer à l’intérieur de leur galaxie mystique, on se trouvera en plein rêve, à ne pas tout comprendre du scénario, mais à profiter sans état d’âme. Le groupe court un marathon qui se déroulerait dans plusieurs villes en même temps, l’espace-temps n’a pas de prise sur eux, on se retrouve téléporté de Tokyo à New York en quelques secondes. Les crescendos s’électrisent de plus en plus alors que le voltmètre le plus puissant aurait déjà explosé. Les canadiens nous écrasent sous un poids bruitiste de superpositions d’arrangements bien trop complexes pour en saisir la pleine mesure dans l’instant. Les deux batteries sont continuellement mises à l’épreuve, les basses bourdonnent et ce violon devient l’instrument le plus intriguant du monde. Les Montréalais avaient sorti un album à la surprise générale suite aux manifestations du Printemps Erable, leur concert sonne comme une rébellion à l’ordre établi. Les structures sont explosées, désorganisés, avant d’apparaître sous une nouvelle forme à cet instant précis ou l’on crie au génie. Godspeed You! Black Emperor aura marqué le festival au fer rouge et nous n’avons qu’un envie : les revoir dans des conditions plus intimistes.

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Après Electric Electric la veille, c’est au tour de Zombie Zombie de prolonger la lignée des groupes tendus tendus. Le duo de walkers est composé de Neman, batteur de Herman Düne, et de Etienne Jaumet, synthétiste et saxophoniste bien connu. On baigne pleinement dans le krautrock épileptique composé de déferlements de claviers effrénés et d’une rythmique hyper rapide. Ajoutons un lightshow stroboscopique et nous obtenons un set frénétique et spatial ayant certainement pour but de provoquer la transe chez chaque festivalier ayant pris place devant la scène des remparts. Cosmic Neman s’énerve sur sa batterie, alors qu’il est rejoint par un troisième acolyte pour surexposer une base rythmique convulsive. Zombie Zombie auront certainement livré l’un des concerts les plus nerveux du festival, on en ressort le cerveau moulé à la louche.

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Nous terminons la soirée par un retour à un rock bien plus binaire avec les américains de Bass Drum Of Death. Ces chevelus débarqués du Mississipi s’énervent dans des saturations fougueuses flirtant avec le grunge. Les accords sont simples, efficace et joués en boucle alors que la voix du jeune chanteur est prolongée d’une reverb masquant ses quelques débordements vocaux. Le power trio revient aux bases après une soirée marquée par des sonorités plutôt complexes à appréhender. La grosse caisse n’est pas si mortelle mais le batteur ne se prive pas de frapper sur ses fûts de toutes ses forces. On pense parfois à Nirvana dans ce coté brut et écorché des guitares ainsi que cette voix criardes et nasillarde. Bass Drum Of Death évoluent vers le garage rock avec des morceaux courts mais jubilatoire, même si la variété n’est pas vraiment au rendez-vous à cause peut-être d’une voix monocorde peu surprenante sur la longueur. Après une fin de set plus dansante, le groupe laissera sa place aux DJs de TNGHT qui clôtureront cette journée du festival par une nuit électronique.

Ce vendredi a débuté dans une envoutant finesse avec les bucoliques Woods et les majestueux Efterklang. Mais on se souviendra longtemps de la prestation de Godspeed You! Black Emperor comme d’un instant mythique dans l’histoire de La Route du Rock
artistes
    Allah Las
    Bass Drum of Death
    Cankun
    Efterklang
    Godspeed You! Black Emperor
    Jackson Scott
    TNGHT
    Woods
    Zombie Zombie
photos du festival