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La Route du Rock

Saint-Malo, du 14 au 17 août 2013

Live-report rédigé par François Freundlich le 25 août 2013

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Pour son dernier jour, la 23ème Route du Rock se fait multi-tête d’affiche, permettant à chaque festivalier de trouver son groupe fétiche entre Tame Impala pour les rockeurs, Hot Chip et Disclosure pour les amateurs d’électro, Concrete Knives pour les normands ainsi qu’un bon pa(r)quet de très bons groupes de tous horizons allant de Junip à Sunns.

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En introduction de ce samedi qui s’annonce comme une apothéose, Brooklyn est encore et toujours dans la place avec les vaporeux Widowspeak. Le quintet devenu duo après avoir sorti son premier album se compose de l’angélique Molly Hamilton toute en blancheur et de son acolyte Michael Stasiak, formant une paire de guitares légères et atmosphériques. La voix de la veuve blanche forme la principale originalité du groupe, s’étendant au loin et flirtant avec d’envoutants aigus clairs obscurs. Les guitares trainantes s’écoulent lentement alors que les batteries enregistrées retirent un peu de spontanéité au live. On pense à la dream pop de Mazzy Star saupoudrée des divagations 70’s de Kurt Vile, peut-être par comparaison capillaire. Une certaine simplicité est de mise dans le son de Widowspeak, faisant d'eux le groupe parfait pour une fin d’après-midi tissée de délicatesse. La surprise viendra d’une reprise de l’universelle Wicked Game de Chris Isaak : les chœurs s’embrasent suivis par les fredonnements de Molly sur « I don’t wanna fall in love ». Nous repartons de ce concert apaisé, en quasi-lévitation pour rejoindre la grande scène.

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José Gonzalez est de retour sur La Route du Rock après son passage lors de l’édition hiver 2008 en solo. Son groupe Junip avait par la suite annulé en 2011, avant de finalement tenir son engagement pour ce samedi soir. Il a fait bien plus que le tenir puisque ce concert restera comme l’un des meilleurs du week-end. Le suédois fait vibrer sa guitare acoustique pour nous envelopper de son folk gracieux et élégant. Junip puise sa force et l’unicité de sa musique dans les multiples arrangements : synthés capricieux et masqués en arrière-plan, percussions variées prolongeant la batterie, sans oublier une photo géante de biche derrière la scène qui communique également beaucoup d’amour. La voix de José Gonzalez est douce et entrainante à la fois, on ne peut que fermer les yeux et se laisser porter par la perfection des compositions extraites de l’un des meilleurs disques de cette année.
Le sémillant guitare-voix du leader se trouve dépassé par des nappes de claviers turbulentes et des percussions malicieuses lorsque les divagations instrumentales prennent le pas sur la simplicité folk. Seules quelques échos vocaux transcendantaux subsistent, raisonnant au loin pour finalement s’évaporer. Quelques xylophones bien sentis combleront une très belle version de Always, single pop rêveur et planant. Le final restera comme l’un des grands moments du festival avec l’imposant crescendo de Line Of Fire nous faisant vivre une expérience de troisième type où le mélange de la brise et de la mélodie semble traverser notre corps pour nous faire passer de l’autre coté du miroir. Ce concert de Junip fût un émerveillement pour les sens à la hauteur de l’onirisme que Bill Callahan avait su faire partager à ce même endroit.

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Après une Route du Rock hiver 2013 très française, il est finalement temps pour un groupe frenchy de fouler la grande scène du festival. On avait loué les normands de Concrete Knives dans ces pages lors de leur prestation révélatrice des Transmusicales de Rennes 2010. Trois ans après, ils sont le seul groupe hexagonal signés sur le prestigieux label anglais Bella Union et ont bien mérité leur statut de régionaux de l’étape devenus grands. Leur pop guillerette aux rythmiques africanisantes va plonger le fort dans l’euphorie juvénile, après le lot de concerts très sérieux qui se sont succédés tout au long du week-end. Les deux voix du blond à casquette Nicolas Delahaye et de la fée Morgane Colas se mélangent dans des intonations aigües et criardes particulières mais d’une efficacité redoutable. Le sextet ne se pose pas de questions et se jette dans l’arène avec l’acharnée Wild Gun Man, ses deux riffs de guitares saturés et ses chœurs qui incitent déjà le public à les reprendre.
Les légères guitares estivales prennent les devants sur l’entêtante Africanize qui lance la danse aussi bien sur la scène que devant. Derrière les deux leaders, les musiciens se défoulent et donnent l’impression de profiter de chaque seconde. Vient alors ce tube qui les a projeté vers la lumière : Greyhound Racing et ces « nananana » si obsédant dont on écoutait la démo en boucle avant même de découvrir l’album. C’est dans cette chanson que le groupe trouve sa cohérence et se lance réellement, puis encore plus avec la sautillante Brand New Start et ses boucles de synthés chaloupée. Concrete Knives assument pleinement leur coté enfantin en faisant venir leur petit neveu Zacharie sur scène pour chanter les chœurs de Roller Boogie, pour l’instant attendrissant du show. L’enfant aura en tout cas fait quelques conquêtes chez les anglaises du public.
Les flériens proposent alors aux festivaliers de libérer leur coté ghetto avec une reprise de Here Comes The Hotstepper de Ini Kamoze, une chanson que tout le monde connaît par cœur et qui oblige forcément à sauter sur place l’index et l’auriculaire dressés sur d’autres « nananana » décidément très prisés par les gangsta normands. Voilà une reprise qu’on aurait plaisir à réécouter en version studio et qui pourrait même beaucoup faire parler. Truth est un autre titre qui se révélera dans sa version live comme un tube en puissance avec ses enroulements de guitares à la Vampire Weekend. Ce moment de pure joie se termine en douceur sur la mélancolique Blessed, clôturant un concert qui restera comme l’un des plus jubilatoires que le festival ait connu devant l’exquise lumière du soleil couchant. Why so serious ?

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Il est rare d’enchainer tant de concerts sans aucune pause à La Route du Rock mais les américains de Parquet Courts nous attendent sur la petite scène. Brooklyn est décidément fortement représenté cette année à Saint-Malo, mais le quatuor a déjà eu l’occasion de fouler plusieurs festivals français avant de s’échouer sur les remparts, comme les Eurockéennes de Belfort. A la douceur de l’après-midi succède le son beaucoup plus brut des guitares lancinantes qui s’excitent dans d’énervées chevauchées punkisantes. De trainantes boucles se succèdent alors que de tortueux solos s’en échappent. Le rôle de chanteur n’est pas clairement défini puisque les trois frontmens se le partagent mais les voix ont ce point commun d’un parlé gueulard, dissonant et constamment tapageur : pour la subtilité, il ne fallait pas arriver en retard au festival. Parquet Courts enchainent des morceaux courts mais emplis d’énergie comme Yonder Is Closer To The Heart sans pause aucune, ce qui a tendance à exciter un public bien trop heureux que leur musique ne s’arrête jamais. L’impétueuse Borrowed Time nous réjouit de ses breaks et jumps saccadés et hyper rapides. Les cow-boys rebelles nous ont pris dans leur lasso, s’imposant comme la bonne surprise des festivals 2013.

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Un australien peut en cacher d’autres : après le légendaire Nick Cave vendredi, c’est au tour des jeunes Tame Impala de prendre la relève. Le trio de Perth s’est imposé comme la figure de proue de ce mouvement rock psychédélique mis en avant ces derniers mois. Nous les suivons depuis leurs débuts et leur première prestation suite à leur excellent album InnerSpeaker ne laissait pas vraiment présager un avenir de tête d’affiche de festival. Ils ont pourtant été invités partout après le tout aussi bon Lonerism à l’influence pop plus marquée et contenant le tube imparable qui les a propulsés. Ils ouvrent sur l’un de leur meilleurs anciens morceaux Why Won’t You Make Up Your Mind ?, saturé de distorsions et de divagations polychromes. Des figures géométriques dignes des plus beaux économiseurs d’écran se succèdent sur l’écran géant à l’arrière de la scène. Tout comme Godspeed You! Black Emperor, Tame Impala se cachent derrière des visuels, sauf que ces derniers sont beaucoup plus soporifiques. De l’ennui visuel à l’ennui auditif, il n’y a qu’un pas que nos sens ne se gênent pas pour franchir. La qualité des compositions n’est pas remise en cause mais leur adaptation live manque d’énergie pour pouvoir se permettre de se dissimuler derrière elle comme derrière un rideau opaque. On aurait aimé en voir plus, surtout que ce n’est pas la voix un peu fatiguée de Kevin Parker qui risque de nous exciter. On est toutefois ravis de réentendre un enchainement de titres du premier album avec l’envoutante Solitude Is Bliss qui permet de sortir de la torpeur, solo de guitares aux vastes échos à l’appui. Tame Impala se rapprochent de plus en plus d’un son pop avec une rythmique plus binaire et des guitares brutes sur Half Full Glass of Wine. Puis arrive la plus binaire de toutes : Elephant, le fameux tube qui leur a ouvert les portes des plus grands festivals jusqu’à devenir la bande-son du teaser de La Route du Rock. Le public réagit immédiatement en se mettant à sauter sur les basses bourdonnantes de ce titre estival imparable. Mais le meilleur extrait de Lonerism reste Feels Like We Only Go Backwards, planante à souhait avec son adaptation dream-pop. Malgré ces fulgurances, il aura fallu du temps pour réellement entrer dans ce concert qui dégageait moins d’énergie que celui du Primavera Sound qui avait lieu de jour. C’est peut-être là la différence puisqu’on voyait un groupe jouer, plutôt que de vagues néons en mouvement.

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Le dernier concert de la scène des remparts voit le retour des québécois prodigues de Sunns après leurs deux passages aux collections hiver et été 2011. Leur troisième concert malouin fait suite à la sortie de leur deuxième album Images du Futur ayant fortement inspiré la setlist du concert. Le quatuor de Montréal s’est certainement dit que le public connaissait déjà bien ses anciens morceaux mais il aurait été plaisant d’en réentendre certains comme Up Past The Nursery ou PVC, oubliés ce soir. La tension dégagée par Sunns étonne à chaque prestation, symbolisée par la voix de Ben Shemie à l’apparence très calme mais suspendue à sa mâchoire serrée. Trois jours après la prestation de Clinic, nous pouvons réellement comparer les deux groupes et il est certain que le lien est évident même si les instrumentaux flous et brumeux des québécois sont bien plus apaisés. Leur single Eddie’s Dream se déploie tout en longueur, surfant sur des échos synthétiques rêveurs. Les descentes de guitares de 2020 sonnent l’alarme du réveil, avec une rythmique tonitruante et hypnotique en constante métamorphose. Le final explose finalement dans un déchainement chaotique et strident. Des extraits de Zeroes QC sont finalement proposés avec l’angoissante Gaze et son ascenseur de guitares particulièrement électrisant. Sunns termineront curieusement sur Pie IX qui n’est pourtant pas le titre dont l’adaptation se prête le plus à l’exercice du live. Les québécois torturés sont encore une fois parvenus à affoler La Route du Rock, les fans sont ravis par une prestation puissante équivalente à une insertion d’index dans une prise 220 volts.

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Place à la musique électronique pour clôturer cette Route du Rock dans le défoulement et la danse. La tête d’affiche du soir s’appelle Hot Chip, les geeks londoniens aux mélodies imparables. Le quintet donne le ton dès son entrée avec un tourbillon de plusieurs synthétiseurs fulgurants sur How Do You Do qui enflamme sans round d’observation le public grâce à son refrain diaboliquement dansant. La voix aigüe et romantique de Alexis Taylor fait mouche aux premières intonations. Il est toujours compliqué de poser une voix sur une musique électronique dansante mais Hot Chip incarnent bien la manière idéale de s’y prendre en y assénant sa griffe immédiatement identifiable. Si le caractère remuant de la musique des anglais est indéniable, chaque morceau possède ce coté brit-pop un brin mélancolique qui nous fait subitement relever la tête pendant l’effort. L’enchainement trampoline du concert sera évidemment celui de Flutes et Over and Over. Le leader s’avance sur le devant de la scène et répète ses "Inside Outside" frémissants. Les synthés angoissants de Over And Over s’emmêlent sur ce tube en puissance à la fois laid back et foudroyant. Il est prolongé par des montées de guitares lui insufflant une base rock pour une version live de génie. Hot Chip basculent ensuite dans la dance pure avec Dark & Stormy tandis que les lasers envahissent le fort et que quelques festivaliers étendent une bâche en plastique au-dessus d’eux, nous rappelant le fameux orage de l’édition 2004. Dix éditions plus tard, on danse toujours jusqu’à la poppy Ready For The Floor qui prouvera qu’avec Hot Chip, on est prêt jusqu’à la dernière minute du show. Les cinq anglais nous ont encore fait remuer même après quatre jours de festivals, s’imposant comme l’un des meilleurs collectif d’électro pop contemporain.

La soirée se termine avec les DJs en pleine hype chez les amateurs de musiques électroniques qui les considèreraient presque comme la tête d’affiche du soir : Disclosure. Les deux frères du Surrey sont installés face à face devant leurs machines tandis qu’un écran géant diffuse des vidéos psychédéliques. A l’inverse de Hot Chip, peu de vrais instruments sont utilisés à part une MPC maltraitée par des baguettes. Leur tube Latch connaît une adaptation live ultra dansante, portée par des basses ardentes. Entre revival dance 90’s et garage, les anglais ne choisissent pas et accélèrent de plus en plus le tempo au fur et à mesure du show, alors que nous approchons des trois heures du matin. Quelques passages techno seront moins intéressants, on leur préfèrera les inspirations pop marquées par différentes voix apportant une certaine subtilité dans la musique électronique et formant un enchainement parfait avec l’autre groupe anglais qui les précédait. Les plus jeunes sont ravis, livrant leurs derniers sauts dans la bataille. Les Disclosure n’ont pas atteint les sommets des charts d’outre-Manche pour rien, le phénomène est prêt à envahir la France avec cette prestation plus que convaincante.

L’affiche de rêve de la 23ème Route du Rock a finalement pris vie avec des prestations allant du très bon au mémorable pour Nick Cave. Lorsque l’on quitte le fort, un brin de nostalgie nous saisit ainsi que l’impression de n’avoir vu que le meilleur du meilleur du rock indépendant actuel. Le festival fût également une réussite en termes de fréquentation avec plus de 22 000 festivaliers sous le soleil. Longue vie au meilleur festival français, on se donne rendez-vous pour une édition 2014 qui devra faire très fort pour être à la hauteur de cette année.
artistes
    Concrete Knives
    Disclosure
    Hot Chip
    Junip
    Parquet Courts
    Suuns
    Tame Impala
    Trésors
    Widowspeak
photos du festival