Passées nos émotions de la veille, nous voici de retour sur le site du Tempelhof pour cette deuxième et dernière journée du
Berlin Festival 2013. Une fois encore, le programme est chargé et risque de réserver de bien belles surprises ou confirmations. Savourant un temps de répit, nous en profitons pour faire le tour du site : bars à cocktails, bars à foison, stands de cuisine végétarienne, crêpes, currywurst, raclette, pizza ou autres pâtes fraîches, la variété de la nourriture et les prix attractifs permettent de jouir de ne pas être à un quelconque festival français ou belge où les trois ou quatre jours de festivités nous ruinent pour le reste du mois.
Après l’annulation prévue de Delphic et quelques changements d’horaires, nous voici dès le milieu de l’après-midi sous le hangar de la Pitchfork Stage afin de savourer celui que l’on avait raté lors de son passage à l’Olympia en première partie de M83.
Man Without Country nous avaient enchantés avec leur premier album,
Foe et ses mélodies évanescentes et ils confirment la puissance de leurs compositions en live. Scéniquement, ils sont aussi classy que peut l’être leur musique : chemises blanches sur pantalons noirs pour une sobriété épurée, à l’image des perles shoegaze/électronica qui rappellent à de nombreux moments The Postal Service. Le set est d’abord calme, invitant son public à se laisser enivrer ; une reprise de
All Is Full Of Love plus tard (en hommage à la déesse qui se produira un peu plus tard dans la soirée) et il ne cessera de gagner en intensité pour terminer en explosion de nappes électroniques, le tout mené par un chant hypnotique. Nous faisons abstraction des 28°C, du soleil et de la luminosité pour nous imprégner de ce concert présageant une journée intense.
Une courte pause et c'est au tour de
Is Tropical de prendre la scène. Nous avions laissé le trio anglais il y a quelques mois alors que ses membres tenaient encore à jouer masqués et qu’il tentait vainement de garder une part de mystère, parallèlement au fait qu’il publiait sur les réseaux sociaux des photos « découvertes ». Désormais, le déguisement est laissé de côté et ne subsistent que leurs perfectos et leurs longs cheveux filasses. Musicalement, ils ont aussi fait table rase du passé et se sont totalement tournés vers des titres pop, loin de l’électro dansante qu’on leur connaissait.
The Greeks, morceau emblématique de leur premier album, est balancé presque incognito, dans une version lente et sans grand dynamisme. L’accent est mis sur
I'm Leaving qui ne nous convainc décidément pas. Nous préférons donc nous diriger vers la Grande Scène pour l’arrivée de
White Lies.
Là encore, nous écoutons distraitement et de loin, ce que l’on en perçoit ne donnant pas envie de batailler pour se rapprocher. Alors que les jeunes filles se déchaînent, nous nous disons que les ressassés d’Editors, eux-mêmes tentant d’égaler Ian Curtis, très peu pour nous !
Fort heureusement, le creux sonore ne sera que de courte durée puisque les sensuelles
Savages sont attendues sur la Pitchfork Stage. Début tonitruant sur
City's Full suivi de
Shut Up et première frustration : le chant ne se fait pas assez entendre et l’ingénieur du son ne se décidera jamais à régler ce problème. Malgré ce petit bémol, indépendant de la volonté du groupe, le set sera parfait de bout en bout. Les quatre silhouettes félines, toutes de noir vêtues, sont aux antipodes des clichés et standards féminins sexistes qu’on nous déverse dans les médias et pourtant, la puissance sensuelle et sexuelle qu’elles dégagent est palpable à chaque instant. La beauté de Jenny Beth n’a d’égal que son charisme et lorsqu’elle s’agenouille sur le devant de la scène en susurrant son « Don’t let the fuckers get you down » sur un flux de basse tendu, l’assemblée est en émoi. Sauvages, elles le sont. Aussi rock qu’une Siouxsie, aussi troublantes qu’une Kate Bush, nous ne tarirons pas d’éloges au sujet de Savages que l’on aimerait voir et revoir, pour apprécier une fois encore les danses transives de Jenny, la guitare acérée et la basse lourde.
Une réhydratation ainsi qu’un repas léger (chose quasi impossible s’il vous faut goûter les spécialités allemandes) et le marathon britannique reprend pour un grand moment avec
My Bloody Valentine. Le hangar du Pitchfork est comble et la foule continue même à ciel ouvert, ce qui n’entache en rien l’écoute du groupe reconnu pour ses prestations « bruyantes ». Les icônes du shoegaze déroulent un show calibré, semblant satisfaire les nombreux fans sans pour autant être palpitants.
Palpitante,
Björk a toujours su l’être et le privilège de la voir, accompagnée ce soir de la chorale d’Islandaises Graduale Nobili reste un comble, surtout dans un lieu aussi magique et atypique que l’exubérante diva. Ne cessant de surprendre, elle présente depuis quelques mois la tournée accompagnant son nouveau concept album, le onzième, nommé
Biophilia. Ayant pour ambition d’harmoniser l’homme, la nature et la technologie, le projet a beaucoup fait parler de lui pour son étroite collaboration avec la marque à la pomme, chaque titre étant développé sous forme d’application pour iPad. Ayant un goût prononcé pour les entreprises dantesques, Björk a également décidé de développer pour l’occasion de nouveaux instruments.
Trônant au milieu de la scène, un orgue gigantesque vient poser les bases du spectacle et pendant que défilent des chants religieux, les écrans géants nous précisent que sur demande de l’Islandaise, afin de ne pas la perturber pendant sa prestation, toutes les photos et vidéos sont interdites. Enfin, le petit lutin arrive; connue pour ses goûts extravagants, elle a troqué sa perruque rousse flamboyante pour un casque à pics argentés. On remarque alors très vite que rien n’est laissé au hasard, de la couleur anis de la tenue, ressortant sous les lumières, à la position des choristes. Björk a le goût de la perfection et le show s’en ressent à chaque instant ; multipliant les bombes (
Hunter est envoyé dès le deuxième titre), une cage de Faraday, reliée à l’un des instruments, rien n’est impossible pour créer, déstructurer et subjuguer.
Joga,
Army Of Me,
Hyperballad, tout y passe. Avec son accent inimitable, Björk fait tomber en amour les spectateurs. Les couples s’enlacent, les visages rayonnent et le frisson ne cesse. L’histoire d’une beauté inégalité. En guise d’apothéose, la scène s’enflamme, nos cœurs s’emballent.
Difficile après ce moment de grâce de revenir sur terre et ce ne sont certainement pas
Klaxons et leur concert ennuyeux qui nous y aideront. Même
Pantha du Prince, pourtant passionnant, ne nous fera pas décoller.
Minuit, sur le tarmac de Tempelhof. Les badauds se déplacent vers les clubs pour terminer au bout de la nuit. Quant à nous, nous resterons avec nos souvenirs, rêvant déjà à l’affiche de l’an prochain, regrettant notre avion qui nous ramènera vers Paris dans quelques heures. Une véritable révélation que ce Berlin Festival.