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Pitchfork Music Festival

Paris, du 31 octobre au 2 novembre 2013

Live-report rédigé par Xavier Turlot le 4 novembre 2013

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La semaine dernière s'est tenue la troisième édition française du Pitchfork Music Festival sous la Grande Halle de la Villette. Cette institution de Chicago annuellement décentralisée à Paris a fait salle comble. 6500 personnes sont venues acclamer les 33 groupes invités qui auront fait vibrer l'acier de la Halle pendant une trentaine d'heures de concerts.
Une programmation assez éclectique entre consensualisme et provocation, censée réunir la crème du cool sur trois jours intenses : folk, pop, rock, électro, funk, rap et même métal auront enivré les festivaliers venus esquiver la morosité automnale.

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Les concerts commencent tôt, très tôt même, et la foule est plus que mince quand les jeunes anglais de Only Real ouvrent le festival sur la scène verte. Sorte de mélange entre surf pop et phrasés hip-hop, l'ambiance qu'ils installent est complètement anachronique avec le lieu et la saison, et c'est tant mieux. L'air profondément dilettante du chanteur affublé d'un k-way tranche avec la solennité de la grande scène, et sa manière de jouer les solos d'un air faussement maladroit écarte tout risque d'ambiance guindée.
Petite discographie à l'appui, les singles Backseat Kissers et Get It On ont déjà leurs fans, servant les classiques états d'âme adolescents sur un plateau fait de pop ensoleillée et nonchalante. Les morceaux sont cool, frais et donnent envie de découvrir un disque entier le plus rapidement possible.

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Le timing millimétré de l'événement fait répondre au quart de tour l'autre extrémité de la salle, occupée par la scène rose, qui accueille comme premiers invités un groupe danois : Iceage. Pourquoi ce groupe et pourquoi à ce moment ? Le chanteur semble fou, possédé, il balbutie des phrases incompréhensibles et dit au public de se taire. Chantant d'une voix sombre des mélodies dissonantes sur fond de guitares assourdissantes, il mène une sorte de noise punk nihiliste hardcore et on croirait découvrir un Joe Strummer dépressif sous acides.
Vacillant, il sort la setlist de la poche de son pantalon pour découvrir quelle chanson il doit interpréter, grimpant sur les retours, s'effondrant sur scène devant un public majoritairement perplexe qui n'avait sans doute pas vérifié l'intégralité du programme avant de venir. On a peine à croire que le groupe fasse partie du label qui distribue des groupes aussi gentils que Oh No Ono ou Treefight For Sunlight. Certains y ont quand même trouvé leur compte à en juger par le pogo qui aura duré le temps de trois ou quatre morceaux, mais il s'agit néanmoins d'un choix programmatique très osé. Une chose est sûre : les quatre Danois sont très crédibles dans leur rôle.

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La transition est plus que radicale quand arrive Blood Orange, projet funk soul de l'anglais Dev Hynes. Élégamment apprêté, il calme tout de suite le jeu en posant sa voix qui a un petit quelque chose de Michael Jackson, mise au service d'un RnB rétro assez incongru en ces lieux. Dans cette love music issue de l'album Coastal Grooves et de son futur second disque, il s'accompagne d'une chanteuse à la timidité impressionnante, prostrée sur le bord de la scène et n'en sortant que par brefs instants pour nous offrir quelques envolées lyriques à la Mariah Carey, accentuant un peu plus le charme désuet du groupe. Mais Blood Orange est plus que cela, et Dev Hynes n'est pas qu'un chanteur, c'est aussi un virtuose de la guitare. Ainsi il agrippe sa Stratocaster par courts instants, d'un air complètement détaché, et se met à alterner entre rythmiques funk diaboliques et solos épiques en tapping, soutenu par le bassiste qui envoie le bois avec ses slaps impeccables.

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L'ambiance est installée, et la foule maintenant nettement plus imposante est prête à accueillir l'une des têtes d'affiche du festival : le Canadien Mac DeMarco. Ce jeune homme de vingt-trois ans qui nous vient de la côte ouest s'est rendu célèbre pour son côté « jemenfoutiste » servant une pop minimaliste et bucolique. Chemise de bûcheron, five panels vissée sur la tête, c'est un chauffeur de salle né qui ne cessera à aucun moment de dialoguer avec le public entre les très bons morceaux de son album 2.
Malgré une balance pas tout à fait au point, les compos claquent et sont interprétées d'une manière bien plus énergique que dans ses enregistrements champêtres. Le groupe ne se prend pas au sérieux et commence à offrir des versions plus que personnelles de Tears In Heaven et Cocaine, enchaîne une adaptation métal du Blackbird des Beatles, avant de singer ZZ Top puis tenter une version très nerveuse de Message In A Bottle de Police. Mac dit enfin « Nous allons faire la seule chanson sérieuse du set, tout le reste était immature, désolé, mais c'est ce que nous sommes ». S'en suit une version épique de Still Together, dernière piste de l'album au refrain plus qu'accrocheur. Le public est conquis.

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Place ensuite à un phénomène bien moins décontracté et autrement plus bruyant : le quatuor féminin londonien Savages, emmené par la française Camille Berthomier. Projet punk aussi débridé que leur nom pouvait le laisser imaginer, ce seront quarante minutes de rock anarchique, de larsens, de batterie tribale et de lignes de basse surpuissantes. La chanteuse prend un malin plaisir à faire monter la sauce, évoluant par à coups pour faire lentement monter la pression jusqu'à l'explosion chaotique. Sa silhouette diaphane qui se dessine en ombre chinoise sur la brume des fog machines colle parfaitement avec l'atmosphère macabre de leur musique. L'énergie déployée est phénoménale et donne un corps grandiose à leur album qui, on l'espère, connaîtra des successeurs.

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Il n'est que 21h mais il est déjà temps de passer à la partie électro de la soirée. Le groupe à qui incombe la tâche est plutôt crédible : le duo anglais Mount Kimbie. Il est probablement inutile de présenter ces pionniers de la post-dubstep, mais rappelons qu'ils avaient sorti en 2010 l'un des disques les plus bizarres et les plus fous de l'année, Crooks & Lovers, suivi cet été par Cold Spring Fault Less Youth, opus très différent qui avait marqué leur passage au chant et à l'emploi d'instruments plus traditionnels.
Accompagné sur scène d'un batteur, le duo offre son savant mélange inimitable d'infrabasses, de boîtes à rythmes glitch déstructurées, de sons synthétiques chauds, le tout avec une patte plus house qu'en studio. Armés d'une batterie de séquenceurs et de pads en tous genres, Dominic Maker attrape de temps en temps une guitare électrique ou une basse, et se partage de courts passages vocaux avec son confrère. Les singles Made To Stray et Before I Move Off sont bien sûr là, mais le groupe tape avec raison dans des choses moins évidentes, telles que Field ou une version très revisitée de Mayor. La musique de Mount Kimbie est complexe, inclassable et se mue en permanence ; elle requiert chez le duo une concentration extrême qui se lit sur leur visage mais ne les détache pas du public qui leur est acquis à l'unanimité.

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La foule grandit encore et encore, et la taille critique n'est pas loin pour accueillir le nouveau projet du New-Yorkais Nicolas Jaar, accompagné du guitariste Dave Harrington dans le cadre de Darkside. Les premiers visuels du festival sont de sortie, en l'occurrence un grand cercle réfléchissant en rotation et un défilé d'étoiles et des galaxies derrière un éclairage tridimensionnel qui n'aidera pas le public à rester les pieds sur terre. Les deux musiciens se font face une heure durant, alternant entre beats surdimensionnés qui font trembler toute la Halle, solos de guitare à rallonge dans un style rock progressif qu'un David Gilmour n'aurait pas dédaigné et passages plus relâchés où le guitariste s'attarde consciencieusement sur chaque phrasé. Les chansons tirées de l'album Psychic sont d'une longueur peu commune, sous forme de jam situé à un mi chemin peu exploité entre house et rock. Si la majorité du public est venu d'abord acclamer le compositeur de Space Is Only Noise, il semble avoir vite validé l'escapade de M. Jaar.

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A la fin du voyage, quelque chose de beaucoup moins consensuel arrive de l'autre côté de la salle. The Haxan Cloak, ou l'expérimentation électronique au sens le plus hostile du terme. Un grand bonhomme s'attable, tête penchée sur une machine, entouré de deux retours, et envoie des fréquences déchiquetées d'une centaine de décibels sur un public qui a rétréci d'environ 80%. Les notions de ténèbres, de désolation ou d'enfer deviennent guillerettes pour tenter de qualifier l'ambiance sonore de Bobby Krlic. Il est vrai, la pochette noire arborant une corde de pendu pour un disque du nom d'Excavation a pu mettre la puce à l'oreille, mais tout de même. Il faudra une très large ouverture d'esprit pour comprendre voire apprécier cette musique sinistre qui n'offrira véritablement aucun rythme et aucune mélodie à son auditoire. The Haxan Cloak est un pari, et tous les goûts sont dans la nature. Cet homme impassible ne cherche ni la facilité ni l'acclamation des foules et propose un univers original, nous ne lui enlèverons pas ce mérite. Et puis c'est en un sens une très belle transition vers une autre folie : celle de The Knife.

Le dernier concert de la soirée est assuré par cette formation de Suédois déjantés, venus défendre leur denier album Shaking The Habitual. Pas moins de dix personnes sur scène, vêtues de saris, affublés de masques et martelant des percussions aux formes ubuesques. La prestation est avant tout une expérience, axée sur une chorégraphie millimétrée et un visuel impeccable reprenant des codes tribaux pour les mettre au service d'une musique électronique qui ne ressemble à aucune autre. Le duo a fait un long chemin depuis ses débuts, et évolue désormais très loin des succès synth pop d'antan comme Heartbeats ou Silent Shout.
Leur dernier album est brodé dans une étoffe de fusion électro / musique traditionnelle, faite de compositions aux longueurs non radiophoniques puisant dans l'héritage indien. Si cette évolution a pu étonner les fans, elle prend toute sa cohérence sur scène, où les danseurs enflamment la foule en gesticulant, sautant et virevoltant pendant une grosse heure dans un décor psychédélique. La harpe fluorescente et une sorte de tronc d'arbre creux qui constitue la moelle épinière de la formation, ou plutôt son totem, focalise l'attention d'un auditoire probablement éberlué par tant de pêche et de préparation.

Une magnifique clôture pour cette première journée.
artistes
    The Knife
    The Haxan Cloak
    Darkside
    Mount Kimbie
    Savages
    Mac Demarco
    No Age
    Blood Orange
    Iceage
    Only Real