logo SOV

Festival Les Femmes s'en Mêlent

Paris, du 18 mars au 4 avril 2014

Live-report rédigé par Xavier Turlot le 24 mars 2014

Bookmark and Share
vendredi 21
Le festival Les Femmes s'en Mêlent, qui tient sa 17ème édition un peu partout en France tout au long du mois de mars, s'est posé pendant deux jours au CENTQUATRE à Paris le week-end dernier. La programmation féminine très éclectique a permis au public de découvrir des artistes plus que variées débarquant des quatre coins du monde. Seize formations en deux jours, évoluant sur un spectre allant du jazz au R'n'B en passant par le punk et la chanson traditionnelle, voila de quoi balayer bien des orientations et susciter bien des découvertes.

Au fond de la halle de la rue Curial, après avoir passé toutes les installations d'art contemporain, librairies spécialisées et multiples danseurs qui peaufinent leurs figures, deux salles qui se font face pour faire s'enchaîner les groupes en toute fluidité.
Il est peut-être trop tôt et le public est encore clairsemé à 19h quand les premiers musiciens entrent sur scène. Suzanne Combo, ex-membre du groupe français Pravda, arrive ici pour présenter son nouveau projet solo. Une boîte à rythmes new-wave surpuissante amène une ligne de guitare punk et un phrasé citadin et désabusé. La chanteuse habillée en cuir et talons aiguilles, à la chevelure blonde, a un quelque chose de Courtney Love, et la musique qu'elle nous propose n'en est pas très éloignée non plus. Tenant la basse, Suzanne égrène ses compositions sombres et simples, entre power chords et lignes de synthé finement aiguisées. Les refrains accrocheurs et efficaces retiennent l'attention du public qui s'épaissit peu à peu et se prend d'intérêt pour ce faux « jemenfoutisme » en réalité soigneusement fignolé. Le néo-punk nostalgique des années 1980 revient décidément en force depuis quelque temps.

SOV

La suite des opérations est aussi assurée par une Française, toute seule cette fois : Léonie Pernet. Un piano et un synthétiseur d'un côté, une batterie étrangement configurée de l'autre, on ne peut pas encore trop savoir ce qui va se passer au niveau auditif. La jeune musicienne arrive sobrement, lance nonchalamment une nappe de synthé, rejoint son attirail rythmique, patiente un peu puis entame sans prévenir une démonstration de violence ahurissante sur sa batterie. Elle tape du talon la grosse caisse qui se trouve derrière elle, enchaîne les descentes de tomes, martèle son tome basse et martyrise sa cymbale ride, alors que le synthé s'est dirigé tout seul vers des nappes grandiloquentes qui prennent les spectateurs aux tripes. Difficiel de ne pas penser aux délires progressifs de Pink Floyd du temps d'Atom Heart Mother. La Française n'hésite pas à faire durer l'exercice physique pour faire monter la tension jusqu'au bout. Le plus frappant est la transition des ambiances, Léonie Pernet parvient à jeter un pont entre de fragiles lignes de piano ou d'orgues et une brutalité bestiale parfaitement maitrisée. Certains morceaux dépassent à peine la minute quand d'autres n'hésitent pas à mépriser le format radiophonique. La Française arrive même a interpréter l'une de ses compositions en passant d'une derbouka à son piano avec une fulgurance déconcertante, donnant presque l'impression qu'elle n'est pas seule à jouer. Le décalage sera de taille avec l'artiste suivante.

SOV

Olöf Arnalds est islandaise, elle fait de la musique depuis dix ans, a appris le chant lyrique et publié trois albums. Également seule sur scène, vêtue d'une robe traditionnelle d'un blanc éclatant, elle n'a avec qu'elle qu'une guitare classique. Souriante, de très bonne humeur, elle salue le public avec un accent à couper au couteau. De sa voix claire et très haut perchée, elle entame ses chansons douces, paisibles et bucoliques qui suspendent le temps et la grisaille. Ses ballades étincelantes n'ont besoin d'aucun arrangement, la complicité entre la guitare et cette voix claire qui prend tous les chemins auxquels on ne s'attend pas suffit à brosser un tableau complet et riche, dans la plus pure coutume folk. L'Islandaise frappe parfois le sol du pied pour accentuer un refrain, appelle le public à l'accompagner sur une ritournelle, plaisante sur la complexité du métro parisien, puis en arrive à ses singles, Sudden Elevation et surtout la sublime Innundir Skinni dont la beauté est hors du temps. Voilà une très belle parenthèse de non-amplification qui apaise les tympans et suscite facilement l'évasion.

SOV

Arrive alors Liz Green, seule artiste britannique de la soirée. La Mancunienne à la voix inimitable est accompagnée d'une formation jazz : saxophone, violoncelle, contrebasse et une batterie qui ne sera qu'effleurée du pinceau. Quant à la leader, elle alternera entre guitare acoustique et piano au gré de ses morceaux, qui s'apparentent en fait plus à des comptines. Liz Green aime écrire et aussi beaucoup parler. Elle n'arrêtera à aucun moment de plaisanter avec le public, d'introduire ses morceaux par des anecdotes à rallonge toujours fondées sur un humour noir faisant s'écrouler de rire son saxophoniste. Histoires de marins, de voyages, de tristesse, d'amour, l'Anglaise contextualise tout avant d'entamer ses morceaux subtils et enlevés, saupoudrés de-ci de-là par un léger solo de cuivre, une arpège de piano ou un violoncelle ronflant. Tout est dirigé vers sa voix caractéristique, qui se sert de valses, de blues ou d'un semblant de be-bop pour nous compter ses fables. Ses singles sont tous là : Bad Medicine, Displacement Song et Where The River Don't Flow qui préfigure son deuxième album Haul Away à paraître d'ici trois semaines.

SOV

Avec une pochette d'album affichant un visage caché par un impact de balle, on peut se douter que la musique du groupe québécois Forêt n'est pas très équilibrée. Revendiquant une pop mélancolico-romantique, Emilie Laforest chante avec toute sa force et toute sa passion des compositions subtiles, déstructurées, jonglant entre saturation de puissance et délicates mélopées. Le timbre de voix fragile (qui fait un peu penser à Mylène Farmer, disons-le, mais la comparaison s'arrêtera là) dénote sur une guitare qui n'ergote pas pour donner dans la noise pop et une batterie qui ne prend pas les sentiers les plus aisés. Les évolutions harmoniques ne sont pas toujours faciles à saisir, les Canadiens prennent des risques et ne font pas dans la recherche du single parfait. Les paroles sont élégantes et profondes, empreintes d'un mal-être palpable. Je Tombe Avec La Pluie et Le Verbe Amour se démarquent par leur propulsion stratosphérique qui provoque l'adhésion totale des auditeurs, séduits aussi par la timidité et la sympathie de la chanteuse qui vit sa musique sans retenue.

SOV

Énorme grand écart quand déboule DENA, jeune bulgare ultra-pêchue arrivant avec un sweat à capuche brillant rose bonbon, un t-shirt « I Lost Angeles » et deux acolytes aux pads et au synthétiseur. Sa musique est un cocktail vitaminé de R'n'B, de hip-hop et de dance, parfois festive et parfois glauque. Denitza Todorova – son nom dans la vie civile - saute en permanence, fait d'amples mouvements des bras en appelant le public à danser et chanter sur ses tubes : Guest List, Thin Rope et Cash, Diamond Rings, Swimming Pools... Elle est heureuse d'être là pour distiller sa douce folie musicale chez un public qui la méconnaît encore, mais ne reste pas longtemps insensible à son goût pour les synthés kitsch qui rappellent la soul des années 80 et son phrasé qui n'est pas sans évoquer le duo finlandais déjanté Le Corps Mince de Françoise (avec qui elle a d'ailleurs fait plusieurs concerts). Un Total Ignore très frais, un Bad Timing sensible et intime, l'éventail est plus large qu'on aurait pu l'envisager au début de la prestation, et DENA quitte à regret la scène sous les ovations pour laisser place à un autre phénomène étrange.

SOV

Présentée partout et avant tout comme « l'égérie de David Lynch », ce qui enlèvera beaucoup à son authenticité, Chrysta Bell débarque du Texas pour présenter son premier album langoureux de trip-hop suave. La somptueuse Américaine au physique irréel arrive au bout de quelques minutes d'introduction musicale, par le fond de la scène, baignée par la lumière d'un projecteur, vêtue d'une robe de soirée à paillettes et de talons aiguilles dorés. Peu de gens s'attendaient à voir débarquer cette femme à la beauté si renversante qu'elle en devient dérangeante, à en juger par le silence accompagnant son arrivée. Difficile de rassembler ses esprits pour se focaliser sur la musique langoureuse qu'elle entame avec des mimiques caricaturales de diva hollywoodienne. Chrysta Bell possède une voix profonde et grave, qu'elle pose avec un sens inné du spectacle sur une musique au tempo lent et à l'esthétique languissante. Au gré des chansons, la sublime chanteuse esquisse quelques pas sur le devant de la scène, joue de ses mains pour matérialiser son chant, mais le décalage semble si grand avec le public qu'on ne sait comment accueillir ses quelques mots lorsqu'elle explique être très honorée de jouer pour la première fois à Paris pour présenter son tout premier album. Discute-t-on avec un personnage de film ? Le 19ème arrondissement est le dernier endroit sur Terre où l'on se serait attendu à cette présence. Néanmoins, malgré ce fard, ce sur-ajout d'artifices divers et des musiciens de scène aussi insipides qu'invisibles, la musique prend et l'atmosphère étrange se crée. Chrysta Bell semble débarquer d'une autre planète et évolue en vase clos dans son délire esthétique, mais elle parvient à exposer son monde à l'audience interdite qui n'aura pas cinq minutes pour se remettre de ses émotions et aller accueillir la dernière invitée de la soirée.

SOV

Un ultime phénomène déboule sur la grande scène : la Brésilienne Karol Conka, qui se fait acclamer à l'unanimité dès son entrée sur un beat de hip-hop électro hardcore agrémenté de percussion brésiliennes. Elle n'est accompagnée que d'un DJ dont la principale tâche est de danser derrière son Mac, mais n'a aucun problème pour occuper toute la place. Karoline dos Santos de Oliveira déballe son flow rageur et véloce sur cette débauche de violence musicale qui mélange électronique, dubstep et sons 8bit. Le résultat est un déluge musclé d'énergie pure, recouvert sans parcimonie de basses qui font trembler la salle dans ses moindres recoins. Encore une dose de bonne humeur communicative que le public adopte sans réticence. Un membre du public sert d'interprète franco-portugais à l'artiste qui veut assurer aux spectateurs sa joie de se produire et l'amour qu'elle leur porte. Le concert se termine dans cette euphorie collective dont la recette figure dans l'album Batuk Freak.
artistes
    Chrysta Bell
    D E N A
    Forêt
    Karol Conka
    Léonie Pernet
    Liz Green
    Ólöf Arnalds
    Suzanne Combo
photos du festival