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Festival Les Femmes s'en Mêlent

Paris, du 18 mars au 4 avril 2014

Live-report rédigé par Xavier Turlot le 31 mars 2014

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samedi 22
Au CENTQUATRE de Paris, il y a déjà nettement plus de monde que la veille pour découvrir la programmation de ce samedi soir au festival Les Femmes s'en Mêlent.

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C'est dans une salle déjà très honnêtement remplie que le groupe montréalais Kandle a la lourde tâche de lancer la soirée. La formation a vu le jour pour concrétiser les projets de Kandle Osborne, jeune Canadienne s'étant prise d'amour pour le swamp rock. C'est ce mélange dosé de rock, de blues et de country qui prend possession des lieux pendant cette petite heure de voyage dans le sud des Etats-Unis. Les morceaux issus de leur disque qui vient à peine d'être publié, In Flames, sont beaux et lancinants, et semblent conçus comme la bande-son d'un road trip dans le désert américain. La voix somme toute plutôt grave de la jeune chanteuse se fond avec logique dans cet imaginaire d'étendues vides et grandioses, à côté de solos de guitare classes à la saturation cristalline. Le seul francophone du groupe, le bassiste, sert d'interprète à Miss Osborne entre deux chansons, cette dernière s'essayant timidement au français pour présenter son groupe. Sa bonne humeur et sa loquacité donnent envie de se perdre dans son imaginaire si bien exécuté, et le set se termine sur un morceau intitulé Demon et valant franchement le détour.

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La suite est assurée par Alice Lewis, qui assure pas moins de sept dates pour Les Femmes s'en Mêlent dans tout le pays. Sa musique électronique puise dans la dream pop la plus atmosphérique et la new wave la plus synthétique pour trouver son identité. Une voix fragile qui prend des routes dissonantes et s'envole au gré de ses désirs, des instrumentations parfois délicates et ou brutales. L'univers harmonique de la Française n'est pas forcément aisé à cerner. On se croirait parfois téléporté dans les années 1980, tant cette synth pop ténébreuse et rétro tire ses codes de cette décennie décadente (Ignorance Is Bliss par exemple). A d'autres moments, cette musique onirique prend des accents de comptine naïve, gentiment chaloupée (To The Magical Mountain).

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En parlant de musique protéiforme difficile à catégoriser, voici venir une autre artiste difficile à qualifier et ranger. Version 2.0 de l'homme orchestre, Emily Wells construit littéralement sa musique en live, suivant son humeur, à l'aide se synthétiseurs, de pads, de tambours et d'une pédale de loop dont elle use sans compter. Entourée par son copieux matériel, l'Américaine se démarque surtout par l'utilisation d'un violon dont elle taquine l'archet de temps à autre pour se détacher d'un son 100% électronique. Souriante et plongée dans les tréfonds de sa musique, Emily Wells martèle des toms de batterie pour accentuer la lourdeur de beats hip-hop, venant soutenir des élans de soul qui ne sont pas sans évoquer ses compatriotes expatriées de CocoRosie. La voix très haut-perchée n'y est pas pour rien, de même pour ces scintillements d'arprégiateurs qui rappellent ces sons cheap de jouets d'enfants.
La Texane est très à l'aise dans ce fourbi d'installations, passe d'un instrument à l'autre en toute fluidité et sans jamais perdre les pédales ; le seul hic est le volume sonore qui est beaucoup trop faible et gâchera certains passages qui, sans cela, auraient vraiment pu devenir phénoménaux. Ce défaut technique n'aura pas ruiné les quelques belles ballades de sa longue discographie, dont l'une des plus sublimes est probablement Mama's Gonna Give You Love, parenthèse trip-hop moite dominée par un melodica d'outre-tombe.

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L'une des têtes d'affiche de la soirée prend place sur la grande scène : l'Anglaise Nadine Shah. Sa musique noire, angoissante, en permanence dans un état de tension exacerbée, a été abondamment comparée à Nick Cave, Patti Smith ou PJ Harvey. La chanteuse d'origine pakistano-norvégienne possède une voix d'une gravité et d'un sérieux rares, d'ailleurs ses chansons n'évoquent pas des sujets réjouissants : mort, maladie mentale, suicide... Tout le monde est d'ailleurs vêtu de noir sur scène. Nadine trône derrière un grand piano numérique, puise au fond d'elle-même pour retrouver l'âme de ses chansons sinistres. Les morceaux de Love Your Dum and Mad sont déroulés avec la même froideur et la même présence, toutes dominées par des accords de piano alanguis. Un solo criblé de distorsion parvient parfois à se détacher de ce monopole vocal, mais ce n'est que pour rajouter profondeur et désespoir au rendu musical de l'Anglaise. Très monolithique et homogène, l'œuvre de Nadine Shah s'inscrit effectivement parfaitement dans la lignée des artistes pré-cités, une grande famille de musiciens habités par des pensées noires mais qui n'ont pas donné dans le punk, le grunge ou le métal. Marianne Faithfull n'est pas loin non plus.

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Il est maintenant temps d'accueillir un petit groupe suédois qui se situe à des années-lumière de ces pérégrinations mélancoliques. Nicole Sabouné vient de Stockholm. Méconnue en France, elle fait les plateaux télé en Suède et n'est pas du genre introvertie. Accompagnée de quatre musiciens aux looks émo ou gothiques, la fine et frêle Scandinave balance d'une voix grave et sans prévenir une sorte de post-punk mélangé à de la pop commerciale de stade complètement délirante. Une basse ronflante, des martellements de tomes, une guitare rythmique cinglante élèvent la chanteuse sautillante qui nous ramène aux heures les plus kitsch et décomplexées de la pop.
Cindy Lauper, Bonnie Tyler... Nicole Sabouné a dû consommer de la pop qui pique sans modération pour en arriver là, et vu la quantité de mascara qu'elle arbore il est possible qu'elle ait un faible pour le Alice Cooper des années 1980 également. Son disque Must Exist sorti au début de l'année regorge de tubes qui sont des caricatures assumées d'eux-mêmes : les transitions entre couplets et refrain sont systématiquement surlignées à l'extrême, et ces derniers s'apparentent plus à des hymnes de rock FM, nappés de synthés et rythmés par une batterie presque disco. La Suédoise va d'un bout à l'autre de la scène, regarde chacun de ses musiciens avec l'air heureux des première tournées, rallie l'audience à ses morceaux ravageurs. La transition est violente entre Nadine Shah et cette ex-candidate de The Voice qui n'hésite pas à marier esthétique glam et format radiophonique. Le single I Surrender ne sera pas chroniqué sur Télérama mais est un bijou pour qui aime le second degré. Riff de guitar hero sur Conquer Or Suffer, sortilèges diaboliques sur Another Vision, le groupe n'est pas loin de formations comme les Savages ou Warpaint par certains aspects mais met presque toujours les deux pieds dans la grandiloquence qui éclabousse. A la fin du set on a l'impression d'avoir assisté à un concert de deux heures et demie au premier rang du Stade de France.

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Le moins que l'on puisse dire est que la formation mexicaine de Lorelle Meets The Obsolete n'a pas le même sens du spectacle. Le quatuor aime le shoegaze, les sons crades et les rythmes linéaires. Les membres sont éloignés les uns des autres d'au moins cinq mètres, le bassiste qui ne chante pas (et n'a d'ailleurs pas de microphone) est placé en plein centre, quand la chanteuse est presque en backstage, murmurant des phrasés à peine perceptibles sous le déluge de saturation ambiant. Voila un énième groupe de noise pop qui recycle les essais psychédéliques de la West Coast de la fin des années 1960. La voix vaporeuse se noie sous la reverb, les guitares se réduisent parfois à du larsen pur, quand la batterie en reste à une base outrageusement simpliste. A ne mettre qu'en des oreilles expertes et fanatiques.

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Une artiste suisse prend la suite des opérations. La bâloise Anna Aaron vient nous présenter un mash-up de ses deux albums : Dogs in Spirit et Neuro. Sa musique est à la fois normale et étrange : entre pop très accessible et passages plus que musclés. Le groupe complètement mixte est constitué, outre la souriante artiste qui tient le piano/synthé, d'une guitariste, d'un bassiste/claviériste assez fou et d'un batteur qui a envie de faire de l'exercice. Les tubes arrivent en pagaille : Sea Monsters, Mary Ruth, LINDA, l'excellente Stellarling...
La chanteuse prend souvent des accents R'n'B incongrus, donnant un côté très mainstream à des compositions qui pourtant vont souvent bien plus loin. Une guitare électrique agressive, un synthé débridé et impétueux viennent casser la monotonie avant que l'on ait le temps de se laisser faire. Un rock bien musclé, puis une douce ballade au piano, l'art d'Anna Aaron est multiforme, changeant et étonnant. Expliquant qu'elle s'est coupée le doigt avec un rasoir en fouillant dans son sac et qu'elle avait peur de mettre du sang sur son synthé, elle prétend que sa guitariste trouve cela tout à fait normal de souiller ainsi son instrument. Cette réflexion n'était finalement pas rhétorique car cette dernière maltraite sa guitare jusqu'à la crise d'épilepsie sur un solo pendant environ deux minutes. Cognant les cordes, le manche et la tête avec une nervosité psychopathique, peu de gens devaient s'attendre à cette tournure punk. Voila une bonne illustration de ce qui peut se produire au cours d'une représentation de ce quartet suisse.

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Il est une heure du matin et il est enfin temps de voir LA tête d'affiche prendre possession des lieux : le duo new-yorkais Cults, qui en deux albums a prouvé qu'il figure parmi les meilleurs compositeurs de pop. Épurant au maximum leurs chansons, ils se focalisent entièrement sur les mélodies, se contentant de les agrémenter d'une guitare noisy par-ci ou d'un orgue par-là. Musique de l'été, ode à la procrastination, encore une bande-son de vacances mais une qui puise à foison dans l'euphorie des années 1960. La très élégante Madeline Follin arrive après les quelques mesures d'introduction de High Road, occupe tout l'espace à elle seule et entame ses déhanchements en posant sa voix aiguë, presque naïve, sur cette instrumentation géniale à la profondeur insondable.
La musique des Cults est magnifique, toujours. Le son est fort, très fort, et surtout strident, que ce soit les rares solos de guitare, les nappes d'orgue suraiguës ou la basse dont on entend plus les vibrations que les notes. Parfois, la New-Yorkaise a même du mal à couvrir tout cela. Presque toutes leurs chansons exemplaires sont exécutées : I Can Hardly Make You Mine, Abducted ou You Know What I Mean, que le public accompagne toujours. Les morceaux de ce groupe sont tellement évidents et accrocheurs qu'on croirait les connaître comme on connaît les Beatles, en fait c'est juste l'efficacité immortelle d'une pop bien construite. Brian Oblivion accompagne parfois sa comparse sur de rares phrases, venant équilibrer l'éclat cristallin de la voix féminine. We've Go It prend aux tripes, et Always Forever pas moins. Les deux disques Cults et Static sont identiquement exceptionnels et font de ce duo l'une des formations de pop les plus brillantes de ces trois dernières années, tous continents confondus. Le chanteur remercie à de nombreuses reprises le public pour être resté si tard, feint de s'en aller avec le groupe avant de revenir pour clôturer le set avec trois autres morceaux, dont l'ultime sera l'espiègle Go Outside.
artistes
    Alice Lewis
    Anna Aaron
    Cults
    Emily Wells
    Kandle
    Lorelle Meets The Obsolete
    Nadine Shah
    Nicole Sabouné
photos du festival