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Main Square Festival

Arras, du 3 au 6 juillet 2014

Live-report rédigé par Xavier Turlot le 10 juillet 2014

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vendredi 4
Le Main Square Festival, se tenant dans la Citadelle et non plus sur la Grand-Place d'Arras, a fêté cette année ses dix ans. L'occasion pour les programmateurs de faire venir des artistes qui comptent parmi les plus renommés internationalement et sont capables d'attirer le spectre de mélomanes le plus large possible. La magnifique enceinte dans laquelle on pénètre en franchissant une douve est un décor assez inédit pour un festival, et lui donne un cachet indéniable même si elle aura eu bien du mal à contenir les 135 000 spectateurs venus sur les quatre jours de concerts. Après une journée d'ouverture consacrée à quelques mastodontes du métal dont les vétérans d'Iron Maiden aux shows titanesques et le mythique groupe de grunge américain Alice In Chains, c'est vendredi qu'est entamé le cœur du programme.

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C'est au trio belge de blues rock Triggerfinger que revient la tâche d'ouvrir la journée sur la Main Stage. Les trois musiciens aux personnalités scéniques indéniables livrent immédiatement un déluge de saturation. Le chanteur alterne rythmiques lourdes et solos perchés sur sa collection de guitares vintage, adopte des postures épiques en jouant à fond le côté superstar qu'il peut se permettre en étant presque à domicile. Le bassiste au look de videur de salle de poker illégale vit sa prestation avec un plaisir palpable, faisant chauffer ses lampes sans discontinuer avec un son métallique et en se servant de temps à autre d'un bottleneck. Le batteur vit visiblement la même intensité musicale si l'on en juge par la force qu'il mobilise pour taper ses peaux et par son sourire extatique bloqué pendant une heure. C'est certain, la musique se vit vraiment à n'importe quel âge.

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Un jet de pierre plus loin se tient la Greenroom, une scène plus petite séparée par une rangée d'arbres et quelques débits de boisson. La circulation entre les deux scènes est loin d'être aisée, que ce soit à cause des queues de personnes devant les toilettes ou des festivaliers qui profitent de ce qui ressemble encore à de la pelouse. Ce sont les Américains de Twenty One Pilots qui attaquent avec leur pop rap sur fond d'accords de piano et de lignes de synthé. Ils ne sont que deux et arborent chacun un masque de catch. Le batteur envoie des rythmiques dance bien vitaminées quand le chanteur court un peu partout sur scène, s'asseyant de temps à autre devant un synthétiseur en hochant sa tête à la limite du head banging. Leur motivation plaît mais sur le fond de leur musique, il faut vraiment être adepte à la base. Le flow aigu de Tyler Joseph entre couplets de rap et refrains assez vaseux donne l'impression d'avoir été adapté pour les radios adolescentes ; quant aux mélodies électroniques entendues mille fois elles confirment ce sentiment de démarche très pensée. Dur de trouver une identité dans le déroulement de leur premier album Vessel.

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La pop de stade se poursuit un grade au-dessus avec Imagine Dragons, encore une formation américaine qui vient faire baisser la moyenne d'âge des spectateurs. Dan Reynolds, le chanteur beau gosse, pose sa voix stéréotypée sur des instrumentations qui oscillent entre pop indé et hymnes grandiloquents. Des percussions gigantesques trônent sur la Main Stage, servant à l'occasion à renforcer tel passage. Un peu d'électronique, des lignes de guitares aériennes très propres et des rythmiques qui ne cherchent pas l'aventure trouvent écho dans la nuée de fans venus les acclamer.
Le single Radioactive récolte de copieux applaudissements, le show est rodé au quart de poil et l'assez longue improvisation sur percussions crée la tension escomptée. A écouter ce set qui flamboie et étincelle dans le prévisible on se dit qu'ils ressemblent beaucoup à leur ville d'origine : Las Vegas.

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De gros nuages lourds obscurcissent le ciel depuis quelques temps, et c'est ironiquement sur le groupe de pop tropicale Bombay Bicycle Club qu'ils décideront de se percer. A peine le concert entamé, un rideau d'eau s'abat sur l'herbe de la Greenroom et sur les spectateurs prenant tout cela avec une philosophie euphorique. De toute façon, personne n'avait pris ses souliers en daim et ses ballerines. Les six musiciens à la concentration imperturbable offrent sans sourciller la crème de leurs quatre albums de pop dansante mâtinée d'électronique en commençant par la punchy Overdone. Beaucoup de fans au pied de la scène sont là pour danser sur le sol de moins en moins meuble. Jack Steadman, dont la voix douce et posée évoque assez rapidement celle de Paul Simon, interprète avec ses comparses les singles incontournables, défendant au passage le tout nouvel album So Long, See You Tomorrow. La musique est finement interprétée et conserve la subtilité du travail studio malgré la taille imposante du lieu. La basse groove, les guitares s'envolent et les musiciens se déhanchent légèrement. Le quatrième disque est largement interprété, dont Home By Now et sa voix féminine qui offre un parfait équilibre, ou encore It's Alright Now, excellente composition de twee pop qui confirme les talents d'écriture du sextet. Les Londoniens assurent sur la durée devant la foule trempée et expriment leur contentement de jouer ici, clôturant la prestation par un Carry Me qui achève d'emballer les fans conquis.

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Pas de temps à perdre pour rejoindre la scène principale et assister au show de Franz Ferdinand venus dans le Nord avant les Eurockéennes et Rock Werchter. Le quatuor écossais déboule sur scène en costumes bariolés noirs et blancs avec leur classe britannique habituelle. Les guitares réglées en mode crunch garage font immédiatement grésiller le mur d'enceintes avec le premier single du dernier album, Right Action. Alexander Kapranos est aussi à l'aise devant 30 000 personnes que dans son salon, sa voix claire s'élève dans la citadelle avec justesse au-dessus des rythmiques métronomiques taillées pour la danse. Une suite de singles déboule et prend la forme d'un Best Of : The Dark Of The Matinee, No You Girls... Le riff étrange de Tell Her Tonight donne des accents rétro à la Kinks et empêchera à tout jamais au groupe de cacher ses origines. Le temps s'est calmé et la terre battue rougeâtre légèrement détrempée offre encore une base solide à la foule qui s'est largement densifiée depuis le dernier concert. Dur de s'approcher à moins de cent mètres sans méchamment jouer des coudes. Après le court et incisif Evil Eye aux chœurs millimétrés, voila un The Fallen digne d'un défilé militaire et un Walk Away à la poésie touchante qui nous ramènent aux tous débuts de carrière, de quoi nous rappeler que ce groupe accompagne nos vies depuis déjà dix ans. Le leader saute en exécutant des entrechats sans lâcher sa Telecaster, harangue régulièrement le public en s'essayant à quelques mots de français avant d'entamer un autre morceau du dernier album, Stand On The Horizon, qui nous fait constater la constance incroyable dans la qualité et le grain de cette musique. La grande majorité du public chante à l'unisson sur le refrain de Bullet, preuve qu'ils ne sont pas venus en étant restés bloqués en 2004. On pourra éventuellement regretter le fort statisme des membres du groupe qui, exception faite du chanteur, ne bougeront quasiment jamais de leur base, même quand vient le tube interplanétaire Take Me Out que les Écossais prennent le soin de bien faire suggérer et monter en puissance avant de le laisser exploser. Après un très touchant Goodbye Lovers & Friends, c'est le dernier titre interprété, This Fire, qui servira de terreau à un long passage instrumental de jeu avec le public, que Kapranos fera copieusement intervenir, montant sur ses amplis stylisés, jouant un accord à chaque saut qu'il fait dessus. Tout cela avant de demander aux dizaines de milliers de personnes devant lui de s'accroupir pour ensuite se relever en sautant sur la reprise du riff dissonant.

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Anna Calvi n'a pas beaucoup de chance, elle doit se produire entre Franz Ferdinand et les Black Keys, qui plus est à une heure où le public aura plus tendance à s'alimenter qu'à faire des découvertes musicales. La belle Londonienne arrive endimanchée comme à l'accoutumée, accompagnée d'un batteur, d'un claviériste et d'une accordéoniste xylophoniste. Elle pose sa voix sombre et magnifique sur un Suzanne And I classieux qui plante le décor feutré de son univers. Suddenly convainc la plupart des indécis de rester voir de quoi il en retourne. Anna Calvi sait charmer, et passé son look élégant et sa voix grave presque inquiétante, ce sont ses talents de guitariste qui prennent le relais. Un silence religieux accompagne le riff sinistre qui introduit Rider To The Sea, une distorsion noyée d'écho accompagne cette mélodie hispanisante qui rappelle un peu l'improvisation célèbre de Jimi Hendrix à Woodstock. La transition avec l'une des plus belles chansons de l'Anglaise –Blackout- est toute trouvée et remporte une franche approbation de la foule. Puis c'est reparti pour un déchaînement guitaristique qu'on a toujours du mal à croire, la tension de I'll Be Your Man balance entre déluge saturé et minimalisme, créant des sentiments contradictoires qui bousculent nos attentes. Anna Calvi remercie le public d'une voix étonnamment fluette et timide avant de changer de guitare pour quasiment en détruire la tige de vibrato. D'où provient cette rage qui lui fait faire crier son instrument sans aucune once de pitié ? La prestation est violente, sincère et angoissante. Les auditeurs non prévenus ont dû en lâcher leur verre de bière pendant cinq bonnes minutes devant cette démonstration sortie des enfers. Le set se poursuit en alternant entre ses deux albums, asseyant sa maîtrise vocale et profitant du seuil où la charme a pleinement opéré. Son premier single Jezebel aux accents plus hispaniques que jamais servira de conclusion à un live impeccable.

Le public ne s'attarde pas longtemps sur le gazon souillé de la Greenroom car à quelques centaines de mètres c'est l'une des plus grosses têtes d'affiche qui vient d'attaquer son concert : le duo américain The Black Keys. On ne présente plus cette formation qui possède déjà huit albums à son actif, produits en tout juste une grosse dizaine d'années. Au départ du pur blues minimaliste guitare/batterie, le groupe a vite étoffé son son en rendant son travail plus mélodique, plus accrocheur, jusqu'à ce tout dernier album Turn Blue carrément orienté vers une pop plus psychédélique et progressive. La sobriété de la mise en scène peut frapper : Dan Auerbach sur le devant de la scène, surplombé par son acolyte Patrick Carney à la batterie. Tout juste peut-on apercevoir à la va-vite un bassiste dans la pénombre.
Presque tout repose sur les épaules du leader, à peine soutenu par les chœurs du bassiste. Le son de la batterie est sourd et la caisse claire quasiment inaudible, seule la sonorité lourde de la grosse caisse et du charleston vient rythmer les lignes blues du duo. Auerbach alterne ses guitares vintage à la saturation chaude, passe de riffs en solos avec aisance, sans négliger un chant clair maîtrisé à la perfection. Le riff slidé de Run Right Back chauffe les spectateurs, comme le falsetto tranquille que le leader y appose. L'hymne Gold On The Ceiling et la très pop Nova Baby avec son orgue s'écoutent toutes deux très bien et comblent une audience qui a soif de tubes, et c'est la raison pour laquelle on sentira un léger engourdissement à l'entame de Two Cent Pistol, morceau nettement moins accrocheur qui en annoncera plusieurs autres perdant l'attention du public. Certains s'agaceront peut-être d'un son monolithique et d'arrangements quasi inexistants, d'autant plus que Dan Auerbach communique assez peu avec le public bien qu'il semble prendre plaisir à l'exécution de ses morceaux. Le choix des animations vidéo psychédéliques style années 1960 n'était peut-être pas une mauvaise idée au départ, mais dans les faits elles se sont concrétisent par ce qui ressemble plus à des bugs successifs, les images complètement floues du groupe en train de jouer se bloquant en permanence, sans que l'on puisse savoir si cela est voulu ou non.
Le très réussi Gotta Get Away, issu du dernier album, digne d'un Rolling Stones du début des années 1970, récolte un succès timide, et il en va de même pour Bullet In The Brain, ballade sublime dont le style dérive allègrement des traditionnels blues du duo. La voix est vraiment impressionnante de justesse et de fragilité, tant pis si l'aspect bête de scène passe à la trappe. Il en est de même pour Turn Blue, chanson éponyme du nouvel album, et probablement la plus belle et la plus émouvante. La ligne de basse envoûtante et langoureuse accompagne la voix qui s'épanche encore avec grâce dans le haut de la gamme, révélant un talent d'écriture que l'on n'aurait pas osé espérer, mais c'est à nouveau un maigre lot d'applaudissements qui vient récompenser cet exercice de haute volée. Tout va mieux quand arrive l'artillerie lourde de Tighten Up, Fever et bien sûr Lonely Boy, le single radiophonique qui a envahi les ondes pendant tout 2012. Le public aura reçu, un peu tard, ce qu'il attendait. Du pain et des jeux.

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Après un show paraît-il dantesque du Français Woodkid, c'est au tour d'un phénomène très clivant de faire son entrée sur scène. Skrillex, DJ californien produisant une musique électronique entre ultra violence et samples de voix commerciales, sorte de dubstep house technophile. La foule est compacte sur une superficie impressionnante, et quand le compte à rebours de cinq minutes est lancé sur les écrans, un cri d'hystérie collective l'accueille comme le lancement d'Ariane. Les quelques chansons de Bob Marley laissent place à une lente montée bruitiste, puis le gigantesque voile arborant une tête d'alien souriant se relâche et dévoile un vaisseau spatial ornementé de néons fluos multicolores. Le public hurle, et le torrent radioactif d'infrabasses et de beats surpuissants commence son travail de destruction inébranlable. Le jeune DJ gesticule au milieu de son vaisseau, hurle à ses fans s'ils sont prêts à faire la fête, monte à côté de ses platines pour les chauffer un peu plus, triture trois boutons pour faire monter une phase mélodique et saute à pieds joints à la microseconde prêt. Derrière lui l'écran géant diffuse des animations de têtes de mort, de flammes, de lasers et de robots dédicacées à tous les épileptiques. Rien ne pourrait mieux coller à cette musique. Passages de ragga, samples de RnB, Skrillex arrive à tout mixer dans sa moulinette de brutalité synthétique. Demandant aux fans de crier suffisamment fort pour qu'ils se fassent entendre jusqu'à Los Angeles, leur assurant à plusieurs reprises qu'ils sont vraiment fous et qu'il passe un moment fabuleux, il arrive à faire tenir pendant une heure et quart cette démence absolue de futurisme décadent, dispensant au passage ses plus gros tubes : First Of The Year, Bangarang, Ruffneck...

Tout Arras aura pu en profiter et le mix de Gesaffelstein paraîtra bien sobre après tout ceci !
artistes
    Skrillex
    The Black Keys
    Franz Ferdinand
    Imagine Dragons
    Triggerfinger
    Gesaffelstein
    Woodkid
    Anna Calvi
    Bombay Bicycle Club
    Twenty One Pilos
    Desert Pocket Mouse
photos du festival