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La Route du Rock

Saint-Malo, du 13 au 16 août 2014

Live-report rédigé par François Freundlich le 29 août 2014

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La Route du Rock affichait complet en ce vendredi soir, ce qui nous rappelait de grandes heures avec la venue de The Cure en 2005 qui avait déplacé les foules au Fort de Saint-Père. Ce sont plus de 14 000 festivaliers, soit un nouveau record de fréquentation, qui attendent la venue de Portishead malgré la boue recouverte par de la paille. La pop est dans le pré, la fête peut commencer.

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Après quelques soucis d'organisation dus peut-être à l'affluence, le public est enfin autorisé à entrer sur le site dix minutes après le début du premier concert. Dommage pour les Cheatahs qui doivent débuter devant les quelques chanceux qui ont pu prendre des chemins détournés. Les anglais vont pourtant livrer une prestation impeccable, enchaînant des compositions de haute volée rappelant le shoegaze de My Bloody Valentine mais sans les singer. Leurs aspirations pop sont incarnées par un chanteur à la voix haletante et délicate. On vibre au son de leurs guitares saturées mais méticuleuses, efficaces et entraînantes. Les Cheatahs ont du ouvrir idéalement une journée qui risque de rester dans l'histoire du festival.

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Plusieurs groupes anglais vont se succéder sur les scènes du festival, Anna Calvi déployant la première son rock tendu et mystérieux. Si sa moue est légèrement figée par son maquillage débordant, elle n'hésite jamais à lâcher de large riffs de guitare d'un grand geste énergique. Perchée sur ses talons aiguilles, la classieuse londonienne fait s'envoler un organe puissant à en faire trembler les remparts du fort. Elle enchaîne sans pause les morceaux de ses deux albums, accompagnée par une percussionniste apportant des arrangements subtils au marimba ou à l'accordéon. Anna Calvi force beaucoup sur sa voix massive ce qui peut en énerver certains mais ses compositions comme Blackout ou Desire méritent de s'imprégner de l'espoir libérateur qu'elles délivrent. La ténébreuse terminera sur sa fameuse reprise de Jezebel d'Edith Piaf aux élans hispaniques. La rockeuse à voix n'en ressortira même pas essoufflée.

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Le nom du prochain groupe, Protomartyr, n'annonce clairement pas des mélodies fleur bleue, même si le soleil est bien au rendez-vous. Les Américains, amis des Parquet Courts présents l'an dernier sur cette même scène, s'excitent dans un punk pas si simple porté par la voix de leur leader à la voix éraillé pas si punk, puisque en costard et lunettes noires. Il semble détaché de ses trois compères aux looks plus délurés, puisque sa voix est son seul instrument. Les courts morceaux de ces nouveaux venus de la scène de Detroit sont là pour envoyer du bois, reflétant le spleen de leur ville martyrisée. On essaye de s'accrocher à certaines sonorités post-punk en pensant néanmoins à la suite.

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Il est temps d'aller se coller à l'avant de la fosse de la grande scène pour la suite. Dix ans après sa dernière apparition à La Route du Rock avec son autre groupe Mojave3, Neil Halstead est de retour avec son groupe originel et culte : Slowdive. On se retrouve ainsi devant la même scène, les pieds dans la même boue devant un concert aussi fabuleux que le premier. La dream-pop bercée de shoegaze voit se mélanger parfaitement les deux voix de Neil Halstead et Rachel Goswell, au centre de la scène dans sa robe de lumière. Le temps se ralentit brusquement face à ces étirements électriques. Tout semble s'effeuiller en un slow-motion évanescent jusqu'à ces explosions libératrices d'une tension extrême. Entre chaque morceau, Rachel annonce calmement le titre de la prochaine berceuse frénétique, nous forçant à fermer les yeux pour mieux saisir leurs harmonies incomparables. De la douce When The Sun Hits enchaînée avec la sublime Alison, Slowdive est de retour à son plus haut niveau et cela fait un bien fou. Le groupe de Reading terminera sur une reprise de Syd Barrett, Golden Hair, marquée par un a capella transcendant de Rachel suivi d'un mur de guitare jouissif de plusieurs minutes. Touché.

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Le moment tant attendu depuis plusieurs mois est arrivé, Portishead fait son apparition sur la scène de Fort de Saint-Père pour le moment de magie du festival. Le trio de Bristol brille dans l'ombre d'un gigantesque écran et au son de la voix introduisant leur dernier album en date, l'excellent Third. Les premières notes apocalyptiques de Silence résonnent puis c'est le silence, la voix de Beth Gibbons retentit et on tremble. C'est bien elle : déchirante et paisible à la fois, jouant les funambules entre le dramatique et l'éclatant. Elle nous transperce d'une simple syllabe. Lorsque Beth Gibbons se saisit de son micro des deux mains, se livrant corps et âme, on sait que l'on en ressortira pas indemne. Le premier extrait de l'album culte Dummy, Mysterons, est salué comme il se doit. Le temps s'arrête complètement et les beats de Geoff Barrow atterrissent sur la guitare suave d'Adrian Utlay. Lorsque l'on connaît chaque note de leur trip-hop paisible et tarabiscoté, l'impression de flottement est renversante d'autant plus que le son est proche de la perfection. La douceur de The Rip nous permet de totalement faire corps avec la voix de Beth Gibbons lorsque cette guitare acoustique s'accélère dans une rythmique robotique. Le moment de grâce ultime restera cette version dépouillée de Wandering Star jouée à trois dans une ombre pesante, Beth s'asseyant auprès de Geoff pour murmurer ces textes bouleversants : on ne peut s'empêcher de craquer. Après ce calme extrême, le volume augmente subitement avec l'effrayante Machine Gun et sa rythmique androïde tapageuse répétée sans ménagement. Des images d'actualités, manifestation, guerres, personnalités, apparaissent sur l'écran avant qu'un soleil rouge n'y explose au son de ce synthé final et apocalyptique. Le tube Glory Box n'est pas oublié, restant un moment particulier dans le concert même si on se rend compte qu'il ne s'agit pas de leur meilleur morceau. Roads nous tiendra davantage en haleine ; nous laissant la gorge serré et proche de l'extase. Beth Gibbons terminera en serrant quelques douces mains pour remercier le public. Cette prestation de Portishead restera comme un moment marquant dans l'histoire du festival, la formation s'affirmant encore et toujours comme l'un des plus grands groupes de l'Histoire.

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Comment continuer après une telle prestation ? Un temps mort est nécessaire avant de sombrer face aux assauts enragés de Metz. Les canadiens vont faire trembler les fondations métalliques de la scène des remparts. Le credo est simple : augmenter le volume toujours plus fort avec une noise agressive et un chanteur braillard. Le public ne s'y trompe pas et se lâche joyeusement en sautant hystériquement au son des vibrations frénétiques du trio. Leurs compositions sont courtes mais concentrent une énergie à faire flotter un lapin Duracell jusqu'à Jersey. Cette rage ressort davantage dans ce live que dans les versions studio : nous ne les avions jamais vus aussi excités. On ne s'approche pas trop près pour éviter le décollement de tympans pour aller retrouver avec joie les Liars.

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Les New-Yorkais sont des habitués du festival puisqu'ils s'y sont déjà produits à de multiples reprises avec à chaque fois, une prestation complètement différente. C'est dans la puissance extrême de beats diaboliques que le chanteur masqué aux faux airs de Dr Zoidberg avec ses tentacules en laine jaillit sur scène, engageant sa voix grave et pénétrante dans une rythmique mathématique. Si leur concert de 2010 sentait bon les guitares gonflées que l'ont a pu voir précédemment avec Metz, celui de 2014 prend une tournure plus synthétique, froide et méticuleuse, parsemée de chœurs fantomatiques. Les Liars et surtout Angus Andrew sont intenables, multipliant les complaintes alambiquées et angoissantes, allant toujours plus loin dans le bizarre et l'expérimentation. Les basses frétillantes donnent envie de danser furieusement sans jamais comprendre pourquoi. Le set se fera de plus en plus électro, avec des boucles sans fins de beats et catchphrases assénées.

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Pour terminer cette soirée, nous attendons Moderat, la pause avant le dernier groupe de chaque soir étant plutôt longue. Pour combler ce trou, une chenille géante a été organisée sur Facebook, un joyeux bordel s'organise donc avec des chenilles parallèles sur fond de musique africaine. Hashtag what the fuck. Le duo Berlinois composé de Modeskeletor et Apparat entre finalement en scène à l'avant d'un carrousel d'écrans, représentant des M tournants : une mise en scène assez réussie. Entre basses lourdes et ambiance synth-pop, le son de Moderat revêt des influences cinématographiques. Des bruits étranges se mêlent aux synthétiseurs rêveurs et flottants qui ne s'arrêtent que pour mieux repartir. On pense évidemment à Kraftwerk ou au Radiohead de Kid A – Amnesiac sur Bad Kingdoms et ses parties vocales aériennes.

La journée des têtes d'affiches se termine en beauté sur un record dans la paille et du Portishead plein la tête.
artistes
    Anna Calvi
    Aquaserge
    Cheatahs
    Liars
    Magnetic Friends
    Metz
    Moderat
    Portishead
    Protomartyr
    Slowdive
photos du festival