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Primavera Sound Festival

Barcelone, du 27 au 31 mai 2015

Live-report rédigé par François Freundlich le 23 juin 2015

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Le jour de l'apothéose au Parc Del Forum est arrivé pour ce quinzième Primavera Sound Festival. Nous profitons une dernière fois pour cette année de ce lieu atypique et unique, souvent décrié, mais auquel tout aficionados du festival trouvera forcément un charme certain. Nous commençons notre périple sur les petites scènes en cette fin d'après-midi, pour le terminer au lever du soleil avec le fabuleux DJ Coco, le DJ le plus cool de la Terre.

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Un songwriter ayant écumé les clubs français ces derniers mois nous attend sur la scène Pitchfork, l'américain Kevin Morby, ancien bassiste de Woods et guitariste de The Babies, va nous régaler de sa folk rock enivrante. Le Texan n'est pas vraiment le plus expressif des chanteurs croisés mais sa chemise de cow-boy et ses bouclettes font leur petit effet charmeur. Il égraine les pépites de son album Harlem River, révélant un don incontestable pour la composition pop raffinée et allant directement à l'essentiel. Des teintes de rock psychédélique apparaissent au beau milieu d'influences Dylaniennes. Une coolitude ressort de ce concert à mi-chemin entre une certaine perfection à la Beirut et des étirements électriques rappelant Woods, justement. Kevin Morby confirme tout le bien que l'on pensait de lui, après l'avoir vu jouer séparé par un mètre dans un bar : la même impression de béatitude ressort en festival.

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On ne s'éloigne pas trop puisqu'à peine un quart d'heure plus tard, ce sont les New-Yorkais de DIIV qui vont envahir la même scène. Habitué des annulations de dernière minute, le groupe avait même été rayé de la timeline du site officiel provoquant une vague de panique et un démenti. Les foufous et leurs looks à base de chemise de nuit Mickey, coupe au bol et pantalons de yoga font parler leur dream-shoegaze planant. Leurs morceaux s'embrasent assez pour ne jamais déborder des lignes, s'évaporant en de longues mixtures de guitares enchevêtrées dans de larges échos. La voix juvénile s'en extrait à peine mais vise au plus juste. DIIV semblent s'être calmés depuis les dernières prestations où nous avions pu les voir : ils partaient dans tous les sens là où aujourd'hui leur set maîtrisé gagne en intensité. Certains passages ne sont pas sans rappeler les glissements lisses des danois de The Raveonettes, notamment sur le fameux tube Doused, libéré en fin de set. Ces indie-boys dont l'avenir nous paraissait incertain tant les annulations se succédaient semblent s'être repris pour livrer un concert digne des meilleurs du festival.

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Il est temps de s'enfermer dans la Heineken Hidden Stage située sous le panneau photovoltaïque géant pour le concert secret du jour : le groupe écossais culte The Vaselines. Cette formation de la fin des années 80, l'une des principales inspirations de Nirvana qui avaient repris plusieurs de leurs morceaux, s'est reformée pour notre plus grande joie. Leur allure force déjà l'admiration, on ressent l'expérience après ces groupes de jeunes pousses qui semblent encore se chercher. Cela fait longtemps que The Vaselines connaissent la direction et ils tentent même de nous l'indiquer avec leur indie-rock bercé par ces voix reposées. La plus impressionnante est sans conteste Frances McKee et ses allures de Kim Gordon. Lorsqu'elle s'empare du lead vocal, les autres membres semblent la regarder comme si elle faisait décoller chaque morceau, et c'est bien le cas. Après des débuts énergisants sur une batterie emplie de remous binaires et ravageurs qui nous font immédiatement sauter sur place, les écossais se calment avec le fameux Jesus Don't Want Me For A Sunbeam durant lequel on peut ressentir toute la chaleur de la voix de Eugene Kelly. Après quelques blagues péniennes de Frances dont on n'a pas saisi toute la subtilité (accent de Trainspotting oblige), The Vaselines nous réjouissent avec une version power pop de Son Of A Gun et sa légère ritournelle « The sun shines in my bedroom » qui nous collera au cerveau toute la soirée. Il est à peine 20h et on a déjà donné toute notre énergie à sautiller sur toutes leurs compositions parfaitement exécutées, pour un concert de très haute volée. The Vaselines inspireront encore pendant très longtemps.

On assiste à la toute fin du concert de American Football, nous cajolant dans une introspection sentimentale touchante et marquante, à l'image de l'excellent titre Never Meant. Leur pop teintée d'americana effleure un math-rock en slow motion porté par des boucles addictives et une voix caressante un brin emo. Même en attrapant la balle en plein vol, on se prend immédiatement au jeu et on se plait à écouter religieusement leurs labyrinthes électriques éthérés. Voilà un groupe qui ne jouera surement jamais à la mi-temps du Superbowl accompagné de requins dansants, mais qui possède une force d'attraction écorchée et fascinante nouant les tripes jusqu'à la fin de chaque titre. Espérons avoir la chance de les revoir un peu plus longtemps.

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Nous avons un rendez-vous sur la scène Rayban avec une connaissance qu'on avait failli oublier jusqu'à l'annonce de sa programmation. Tori Amos s'installe seule, entourée de ses claviers, devant un parterre de fans à ses pieds, prêts à s'émouvoir sur chacune de ses respirations. Dès l'introduction sur Bliss elle élève sa voix de prêtresse dans une majesté forçant un silence émotionnel dans une assistance en pleine contemplation. La diva passe d'un clavier à l'autre, effectuant des rotations à 180 degrés entre son piano à queue et son synthé, comme sur son fameux tube Crucify qui a atteint le sommet des charts en 1992, faisant de cette fille de pasteur de Caroline du Nord, une star mondiale. Les complaintes envoutantes de la rousse songwriter, à cheval sur son tabouret, font figure d'un ilot paisible en terre baroque au beau milieu d'un festival ou tout va si vite. Ces piano-voix spirituels ne peuvent laisser indifférents, d'autant plus lorsque Tori Amos lance des sursauts électroniques inattendus sur sa reprise de In Your Room de Depeche Mode. Nous ne l'aurions certainement jamais vue dans d'autres circonstances mais nous en garderons un souvenir particulier, comme un moment d'évasion.

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Notre prochain rendez-vous se trouve sur la grande scène Primavera où les siphonnés du bocal de Foxygen on déjà commencé leur show démesuré. Les Californiens semblent à chaque fois encore plus fous. On imagine que dans cinq ans, ils reviendront avec une camisole de force, un entonnoir et Jack Nicholson. On reconnaît à peine leurs morceaux, noyés sous des déluges psychédéliques s'étendant dans des solos interminables. Les trois choristes/danseuses donnent de leur corps en enchainant les chorégraphies audacieuses tandis que le chanteur Sam France hurle dans son micro à la reverb exagérée en improvisant des mouvements saccadés avant de se jeter à terre. On n'est pas sûr de comprendre tout ce qu'il se passe sur scène, entre simulations de bagarre, joyeuses engueulades sur fond de « i'm quitting the band ! » et remontages intempestifs de pantalon sans ceinture. Sam France se met subitement à chanter comme Elvis avant que le groupe ne quitte la scène plusieurs minutes pour se ravitailler, puis de revenir en entamant Let It Be... pendant vingt secondes. Même sur l'excellente Shuggie, France est constamment dans la démesure en massacrant ses parties vocales. Le coté Entertainment prend allègrement le pas sur la musique pour au final nous perdre complètement. Les changements de rythme sont permanents et il faut certainement avoir pris les même substances pour saisir le message que Foxygen a voulu faire passer (si il y en avait un). On aura néanmoins bien rit.

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On s'évade toujours et encore pour assister à la fin du concert de Einstürzende Neubauten pour une ambiance à l'exacte opposée. Les Allemands font dans le précis, le méticuleux, restant figés et déployant des ambiances sombres d'une introspection extatique. Si Foxygen étaient dans la jubilation, Einstürzende Neubauten sont dans l'intériorisation. Leur bassiste à mulet et moustache n'est pas sans rappeler Rudi Völler et on s'arrêtera là pour les clichés sur les germains. La voix sombre de Blixa Bargeld, sombre et pénétrante, invoque celle de Nick Cave à qui il a longtemps apporté ses chœurs et sa guitare au sein des Bad Seeds. Leur rock industriel est millimétré : chaque instrument, comme cette tôle métallique géante, étant utilisée avec une précision et une justesse qui forcent l'admiration. Le chant en allemand apporte un classicisme supplémentaire aux sonorités pourtant terriblement avant-gardistes. Les énervements de basses mêlés aux défoulement de percussions, cognage de barres en métal ou scie sauteuse, rejoignent finalement sur de courtes périodes la folie des Foxygen et on comprend subitement que ces groupes ne sont pas si différents. Les dadas de Neubauten se placent dans ce même refus des conventions et d'expression libérée, sans limite aucune, n'importe quoi pouvant se produire à tout moment. Ils sont là pour nous déboussoler, ce qu'ils auront réussi, et leur dernier titre bruitiste Susej aura définitivement enfoncé le clou.

Il est temps de s'envoler avec les virevoltants Unknown Mortal Orchestra vers un bain stellaire et psychédélique. Les Néo-Zelandais surprennent avec des inspirations de psych-funk 60's nouées de synthés vintage et doublées d'une voix soul, mais remise au goût du jour dans une modernité qui interloque. Le groupe semble avoir inventé son propre son, immédiatement reconnaissable, marqué par des tubes déjà repris par le public barcelonais comme So Good At Being In Trouble. Chaque membre peut s'évader dans des solos extravagants, le groupe lançant des improvisations sur un clavier, une batterie ou une guitare. On pense fortement à Stevie Wonder sur quelques coups de génie mais également à Prince dans des passages off-beats plutôt connotés mais des plus excitants. Unknown Metal Orchestra ne trouvent une aucune limite sur cette petite scène Adidas du front de mer, maintenant nos oreilles aiguisée comme si un perpétuel renouveau d'idée s'évadait de ce grand bouillon psyché-free-jazz-funky tourmenté. Comme un saut dans une mer colorée avec un orchestre inconnu.

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Nous retournons néanmoins à l'autre bout du festival pour assister au show de la première tête d'affiche qui avait été annoncée en décembre dernier : The Strokes. L'événement a attiré la foule sur la scène Primavera et l'on se retrouve subitement cerné de jeunes groupies de Julian Casablancas en folie. Ce dernier s'est mis sur son trente-et-un pour leur plaire puisque son look de cycliste fluo du Tour de France 1996 dont les cheveux coiffés en mulet auraient viré au rouge par abus d'EPO donnerait des sueurs froides au plus looké des étudiants en arts en plein rébellion. Sa voix ne lui fait pourtant pas défaut, sonnant magistralement du début à la fin de chaque tube de la setlist Best Of des New-Yorkais. A partir de là, il n'y a qu'à se laisser porter par la déferlante électrique d'un son Strokes toujours bien présent, de la géante Heart In A Cage qui verra nos premiers sauts de biche, à la classique Last Nite, en passant par les passages plus énervés comme Juicebox. Malgré cette apparente perfection, The Strokes semblent dans un pilotage automatique ne laissant que peu de place à la surprise : si le groupe n'a jamais sorti d'album live, il aurait clairement pu ressembler à ce concert, une adaptation sans fioritures et fidèle à ce que tout le monde attendait. On a bien remué sur ce groupe devenu culte pour une génération, on s'est excités comme des fous sur Hard To Explain ou The Modern Age mais pour sortir des lignes tracées au sol, il semble que le groupe ne comptait que sur le look de Casablancas. On s'était peut-être trop habitués à la folie mais il faut parfois revenir aux fondamentaux, The Strokes étaient donc parfaits pour ça.

Rejoignons la Rayban Stage pour assister à la fin du concert de Dan Deacon, libérant sa fureur électronique à un public venu assister à l'une de ses fameuses performances joyeuses dans une communion générale. Nous arrivons alors que la public est coupé en deux et que le DJ déploie une machinerie géante pour le réunifier comme un seul homme au son de ses à-coups tonitruants dans un fameux Wall of Death. Face à cette foule immense, il ne peut rééditer certaines excentricités vues dans ses précédents show mais qu'importe, Dan Deacon est devenu un centre d'attraction pour festivaliers en furie pour une foule de plus en plus énorme.

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La fin de soirée sera furieuse puisque nous rejoignons les habitués de Shellac sur la scène Ptchfork. Les américains emmenés par Steve Albini se produisent chaque année au Primavera Sound Festival et on ne se lasse jamais de leur prestation hyper-électrique en constante réinvention. Shellac déploient un rock brut et sans bavure dans un trio minimaliste d'une efficacité tranchante et brutale. Le charismatique leader martyrise sa guitare dans des riffs à tension élevée sans jamais faire retomber la pression. On parlait de fondamentaux, voilà l'un des piliers sur lequel le rock peut encore se reposer.
On assiste à la fin du concert de HEALTH, s'énervant dans un électro-rock aux basses agressives, froides et dansantes. Leur noise glaçante est troublée par une voix juvénile et lancinante d'un leader qui semble être le pendant stoïque d'un guitariste au headbanging permanent, faisant tournoyer sa longue chevelure en rythme. Les californiens ont bien augmenté le volume malgré ce petit coté caricatural qui leur colle à la peau.

Nous restons toujours sur les petites scènes pour une fin de soirée plutôt furieuse avec les anglais de Hookworms. Le quintet de Leeds va pousser sa noise psychédélique jusque dans ses derniers retranchements, mené par son chanteur criard à la coupe au bol lui donnant un air légèrement inquiétant. Ses nappes de synthé dissonantes couvrent à peine les explosions de guitares s'abattant en vague sur un public qui a pleinement la place de s'exprimer, étant donné que la foule s'est donné rendez-vous au concert de Caribou. Des riffs monstrueux succèdent à d'autres riffs monstrueux dans une cadence méticuleuse tenant d'un krautrock qui aurait forcé sur les psychoactifs. Nos oreilles sont poussées dans leurs derniers retranchements avec cet enchainement Dan Deacon, Shellac, Hookworms et bientôt Single Mothers, des punks canadiens tout aussi énervés. On se glisse jusqu'à la barrière de premier rang pour admirer leur chanteur qui adore se jeter au sol en hurlant des cris gutturaux dans un chaos sonore dantesque. Le barbu des Single Mothers n'hésitera pas à rejoindre le public clairsemé pour chanter parmi la foule. On en viendrait presque à se convertir à leur attitude No Future, mais il en existe un pour nous : il s'appelle DJ Coco.

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Nous rejoignons donc la scène Rayban où un autre canadien, Caribou enflamme la quasi intégralité des festivaliers collés les uns aux autres dans cet espace devenu trop petit. Il est bien difficile de se frayer un passage, surtout après avoir pu prendre nos aises sur les petites scènes désertées. On admire néanmoins les tubes géants de Dan Snaith qui termine son show dans un lightshow détonnant sur Odessa et Sun. On ne peut s'empêcher de reprendre avec lui ces « Sun Sun Sun Sun » répétés dans son phrasé si particulier. Il faut néanmoins garder des forces pour le final jusqu'au lever du soleil et l'heure est à la récupération.
DJ Coco démarre finalement le dernier concert du festival au Parc Del Forum sur la musique du film Retour Vers le Futur, 2015 oblige. Un feu d'artifice vient éclairer la scène sous nos yeux ébahis alors que la foule reprend One More Time des Daft Punk avant que des fusées rouges ne soient tirés pendant Let's Dance de David Bowie. Nous dansons jusqu'à plus soif avec nos amis et compagnons de festival, scrutant au loin l'apparition du soleil derrière le panneau photovoltaïque géant. Aux alentours de 6h, DJ Coco terminera sur Don't Stop Believing de Journey, repris en chœurs par le derniers survivants, comme un conseil pour l'année à venir, en attendant l'édition 2016 du festival. Cet homme symbolise la fête de l'année dans nos cœurs !

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Après cet enchainement de fiesta et de sons, il est temps de regagner son terrier avant une dernière journée de dimanche, au calme dans le parc de la Ciutadella et dans le centre de Barcelone, pour les derniers concerts du Primavera Sound Festival 2015. Ce samedi aura en tout cas tenu toutes ses promesses avec ces enchainements improbables de groupes toujours plus étonnants.
artistes
    American Football
    Babes In Toyland
    Ben Watt
    The Bohicas
    Caribou
    Dj Coco
    Dan Deacon
    Der Panther
    DIIV
    Earthless
    Einstürzende Neubauten
    Foxygen
    Fucked Up
    The Ghost of a Saber Tooth Tiger
    HEALTH
    Hookworms
    Interpol
    Joan Miquel Oliver
    Kevin Morby
    Les Ambassadeurs
    Mac DeMarco
    Mike Simonetti
    Mourn
    Neleonard
    Nueva Vulcano
    Patti Smith acoustic/spoken
    Shellac
    Single Mothers
    Sleaford Mods +
    Strand Of Oaks
    The Strokes
    The Vaselines
    Swans
    Thee Oh Sees
    Tori Amos
    tUnE-yArDs
    Twin Shadow
    Underworld
    Unknown Mortal Orchestra
    Younghusband
    Ex Hex
    Germà Aire
    The Hotelier
    Jessica & The Fletchers
    Lost Tapes