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Primavera Sound Festival

Barcelone, du 1er au 5 juin 2016

Live-report rédigé par François Freundlich le 23 juin 2016

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Le dernier jour du Primavera Sound Festival s'accompagne souvent de la nuit la plus longue, avec une célébration qui s’achève au lever du soleil : entre les rites Mayas et les rites hipsters, il y a finalement peu de choses. Les douleurs dans les jambes commencent à se faire sentir, nous terminons donc l’après-midi installés dans un fauteuil de l’Auditorium avec Six Organs Of Admittance, projet de l’américain Ben Chasny, invité par David Tibet du groupe Current 93, qui a choisi la programmation du soir dans cette salle.

Une folk irradiante et mystique envahit la pénombre lorsque Ben Chasny, seul avec sa guitare électrique, égraine son riche répertoire, mettant toute pensée en veilleuse. La beauté subjuguante de ses compositions est renforcée par le sentiment de perfection sonore qui habite l’espace. Celle-ci se sont dans le passé davantage inspirées d’un psychédélisme bruitiste, lorsque Chasny évoluait avec son groupe, mais il n’a ici gardé que l’essence de sa musique, la voix cendrée et les cordes brutes et contemplatives. Les influences orientales ne sont jamais très loin, on pense également à Mark Lanegan dans la force intérieure que peut dégager Six Organs Of Admittance. Nous repartons avec les oreilles bien étalonnées pour la soirée.

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Nous retrouvons le soleil Barcelonais pour rejoindre les japonais de Boredoms, le genre de groupe qu’on se décide à aller voir au dernier moment sans trop savoir à quoi s’attendre. Ce sera finalement une excellente surprise puisque le quatuor expérimental nous rappelle la prestation de Einstürzende Neubauten sur cette même scène avec des déflagrations bruitistes et déstructurées surplombant de lentes montées spatiales. La musique très rythmique portée par deux batteries qui interagissent, est parfois entrecoupée par des crissements métalliques joués sur plusieurs barres en métal présentes à l’avant de la scène. Les voix sont proclamées par le bidouilleur sonore Yamantaka Eye, véritable chef d’orchestre derrière ses machines ou encore par la batteuse Yohimi P-We (sans pink robots) qui usera également de sa voix aiguë et monocorde. La performance est spectaculaire, en constante recherche de sonorités et à l’opposée totale de la pop que l’on peut entendre sur les autres scènes. On reprend espoir quand on aperçoit à quelques pas, des enfants extasiés devant cette musique très particulière : tout n’est donc pas perdu. Boredoms a récréé devant nous en un seul concert la musicalité qu’il est parfois possible d’entendre dans les bruits de la nature : certainement le plus étonnant du festival.

Du Japon, nous passons à la Nouvelle-Zélande avec un groupe plus ancien : The Chills, de retour après leur succès international dans les années 80 et 90. Nous retrouvons ce son original de l’indie-pop joyeux, teinté de compositions entêtantes comme le tube Kaleidoscope World qui nous fait déjà remuer à peine le concert entamé. On se remémore les concerts de The Pastels ou The Vaselines qui nous avaient tant réjouis l’an dernier et on se laisse charmer par la voix douceâtre de Martin Phillips, seul membre originel d’un groupe qui en a connu près d’une trentaine différents. Avec ses nappes d’orgue et ses guitares délicates nous murmurant des douceurs à l’oreille, ce concert de The Chills fût idéal pour terminer l’après-midi sous le soleil.

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Toutefois nous les quittons en cours de route pour rejoindre une plus petite scène où Meg Remy et son projet U.S. Girls a déjà débuté son show. La chanteuse de Chicago déploie sa voix juvénile et pop, parasitée par d’inquiétants instrumentaux synthétiques et minimalistes. Meg alterne ses lancers de samples entre électro expérimentale, vieux extraits radiophoniques de rock’n’roll 60’s et parties vocales, pour des mixes improbables et dansants. Les chorégraphies qu’elle partage avec sa partenaire aux choeurs feront d’ailleurs réagir le public avec insistance. Il réagira davantage encore lorsqu’un cow-boy moustachu en costume débarquera subitement des coulisses pour entamer un solo de guitare dantesque, avant de repartir aussi vite qu’il n’est apparu, sous des regards ahuris. La froideur de U.S. Girls nous fait parfois penser à une Fever Ray en plein délire psychotique, comme perdue entre tous ces styles qu’elle mélange avec une élégance irréprochable.

Mais il y’a toujours un concert ailleurs et nous ne voudrions pas manquer la prestation des californiens de Autolux, combo furieux de post-punk shoegaze, dont le trio de chanteurs fait toute la particularité. Leurs énervements rêveurs de guitares acérées représentent le chaînon manquant de cette journée qui avait légèrement besoin de décibels abrupts et dissonants. Les yeux sont rivés sur la batteuse Carla Azar, d’une classe ultime derrière son instrument, davantage encore lorsque elle passe au lead vocal sur Soft Scene, en se mettant debout sur ses fûts. Les voix sont toujours en retrait, monocordes et imperceptible, on pense notamment à The Raveonettes sur certains passages les plus entêtants, même si des synthétisme appesanti est également présent. Le petit détour par la case Autolux nous aura marqués, pour un groupe à la prestance et au caractère indéniables.

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Place maintenant au moment de magie du festival avec Monsieur Brian Wilson des Beach Boys, installé devant son piano pour nous interpréter son chef d’œuvre intemporel Pet Sounds dans son intégralité. Ce songwriter de génie à la vie si unique et tourmentée se trouve finalement devant nous : on a du mal à le croire jusqu’à ce qu’on entende les premières notes de mandoline de Wouldn’t It Be Nice. La communion peut commencer. Tout le monde dans le public se tourne et se regarde avec ces yeux et ce sourire sincère, celui qui arrive dans ce moment de magie où la même partie enfouie en chacun nous s’est réveillée au même moment. La voix de Brian Wilson tremble un peu mais possède toujours cette perfection et cette émotion qui ont traversé les âges. Les parties vocales aiguës sont assurées par Matt Jardine, fils du membre original des Beach Boys Al Jardine (également présent à la guitare), qui a su retrouver les intonations exactes pour nous faire revivre au plus près ce monument de la musique pop. Les chœurs de You Still Believe in Me sont intacts, tout comme ces instrumentaux complexes recrées par la quinzaine de musiciens présents sur scène, entre les quatre guitares, les percussions diverses, marimba et autres cors d’harmonies. Au milieu, le maître nous gratifie de ses mouvements de mains et autres présentations au micro avant chaque titre. On ne peut que vibrer et danser sur la géniale Sleep John B et les premières harmonies de chœurs aiguës sur ces « Why don’t they let me go home ? » : le bonheur.
Puis vient le moment de la meilleure chanson jamais écrite selon Paul McCartney. God Only Knows se voit interprétée à la voix par Brian Wilson, accompagnée par un public aux anges sur son refrain. L’émotion est palpable tant cet homme est un livre ouvert. Même si on sent que ce perfectionniste ne parvient pas à réinjecter tout ce qu’il voudrait dans la chanson, ce qu’il offre est déjà gigantesque. S’en suivent des solos gigantesques de l’ex-Beach Boys Blondie Chaplin, véritable pile électrique, intenable à courir de droite à gauche de la scène en haranguant la foule. Après la fin des morceaux de Pet Sounds, le chanteur annonce qu’il jouera quelques titres des Beach Boys devant nos yeux ébahis, avant d’entamer Good Vibrations dans une extase générale. On ne peut que reprendre avec lui tout ces tubes, crier I Get Around en levant le poing et en dansant de tout nos membres, surfer sur le sable espagnol et repensant que Surfin’ USA est le premier vinyle de rock que l’on a placé sur une platine à l’école primaire. On se souviendra longtemps de ce moment de joie passé avec Brian Wilson, en excellente compagnie. Happy times together we've been spending, I wish that every kiss was never ending, wouldn't it be nice ?

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Impossible de reprendre le cours normal du festival après cette expérience, il est temps de faire une longue pause pour revenir en pleine forme. Le prochain concert sera donc celui de PJ Harvey. L’anglaise est venue présenter son neuvième album The Hope Six Demolition Project qui sera joué pratiquement dans son intégralité, avec une mise en scène très théâtrale, minimale est basée essentiellement sur la voix d’une perfection abyssale de Polly Jean. La chanteuse n’est pas munie de son habituelle guitare qu’elle ne saisira jamais, ce qui reste assez troublant, mais d’un saxophone dont elle tirera quelques solos. Les mots éminemment politiques du dernier album sont mis en avant et PJ Harvey semble parfois en pleine déclaration, même si cette voix puissante reste irrésistible. Celle qu’on appelle parfois la reine du blues-punk a laissé cette fois de coté la face décadente et torturée de sa musique pour ne conserver que ses aspects les plus lisses. Et peut-être les plus ennuyeux. Il manquait un supplément d’âme à ce concert, surtout après ce qu’à pu nous transmettre Brian Wilson, qui revient évidemment de beaucoup plus loin. Si on a pu s’extasier sur la douceur décalée du titre Let England Shake, les chœurs vibrants de The Words That Maketh Murder ou l’intemporelle The Glorious Land, les adaptations sans hargne des nouveaux morceaux nous ont laissés sur notre faim. On a tout de même repris espoir avec une interprétation brûlante et imposante de To Bring You My Love. La prêtresse PJ est parfois difficile à suivre mais son aura scintille toujours autant.

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Retrouvons les islandais angéliques de Sigur Rós, se présentant pour la première fois uniquement à trois sur scène, cote à cote et très proches les uns des autres. Nous avions l’habitude d’avoir une multitude de musiciens pour les accompagner mais le groupe a visiblement décidé de se recentrer sur la voix de Jónsi et des adaptations plus décharnées qu’à l’habitude. La mise en scène et les visuels sont certainement les plus époustouflants du festival : le groupe entame le concert dans une sorte de cage grillagée qui les sépare du public, où sont projetés des points de lumières bleutés. Des installations lumineuses formant des fractales géantes et autres aurores boréales apparaissent, en plus de l’écran géant, diffusant des vidéos à couper le souffle à l’arrière de la scène. Les marques de surprise "wow" se font entendre à chaque changement de visuel. Sigur Rós nous gratifient de la première interprétation live du nouveau titre Óveður en ouverture, mélopée laid-back angoissante et divagante où la voix de Jónsi se perd dans des échos reculés. Les titres sont épurés de tout accessoire à l’image de Starálfur en quasi piano-voix, simplement relevé d’une rythmique sourde. Chaque passage du concert exalte toute la magie qui peut s’échapper de ce groupe touché par la grâce. Le grillage s’efface finalement pour nous permettre de mieux apercevoir les membres du groupe dont Jónsi qui fait glisser son archet sur sa guitare en s’envolant dans les aiguës sur Glósóli. Les explosions post-rock sont davantage présentes sur l’ensemble du concert à l’image de la divine Sæglópur qui voit la subtilité du piano se heurter à un mur de guitares et à des étoiles lumineuses semblant tourner en trois dimensions autour du groupe. La tristesse du piano mélancolique de Vaka prend des formes rougeoyantes sur l’écran, restant dans cette langueur insondable qui nous coupe la respiration, au milieu du silence respectueux des festivaliers. Un autre grand moment du show sera cette version volcanique de Kveikur et ses résonances apocalyptiques. S’il est un groupe qui ne nous décevra jamais, c’est bien Sigur Rós qui possède cette capacité à produire des live hors du commun en se réinventant à chaque prestation. Le sublime dans son plus bel habit.

Le fin de nuit sera des plus animée puisque nous sommes attendus par Ty Segall and The Muggers pour une prestation délurée après ces concerts millimétrés. On ne sait jamais trop ce qui peut arriver avec ces énergumènes, par exemple un micro laissé à un fan pendant plusieurs minutes, avant que le chanteur ne prenne sa place dans le public et inversement sur scène. Ce fut certainement le moment le plus irrationnel du festival lorsque ce festivalier, revêtant un masque d’homme chauve, se sera mis à crier dans le microphone pendant que le groupe continuait à jouer. A ce moment là, personne ne savait ce qui allait se passer, mais tout le monde a ri à gorge déployée. Le public de Ty Segall est certainement le plus fou de tous. Les moshpits ou autre stage divings se succèdent sans discontinuer. Le garage-punk acide de Ty Segall en bleu de travail et de son groupe composé de Mikal Cronin ou Cory Hanson de Wand, nous fait l’effet d’une balle rebondissant dans le crâne. Les pédaliers de guitare sont transpercés, l’énergie déployée est immense. Une performance des californiens est toujours un grand moment, explosif à souhait, car au final : ces gens sont fous.

Faisons un détour par les petites scènes pour danser au son de la synth-pop de l’allemand Marius Lauber, alias Roosevelt. Il s’est récemment fait remarquer avec quelques singles tous aussi bons les uns que les autres avant un premier album encore à paraître. Des synthés rêveurs, une basse chaloupée et funky et une voix nonchalante rappelant Phoenix sont les ingrédients de ses pop-songs entêtantes. Malgré l’heure avancée et l'enchaînement de concerts, on parvient à remuer sur ces compositions restant dans une certaine lenteur, même si parfois un peu trop lisses. On retrouvera néanmoins de bons moments comme les titres Montreal ou Sea, sur lesquels les échos vaporeux de la voix du multi-instrumentiste tranchent avec des saccades électroniques puissantes. Nous laissons Roosevelt quelques instants pour aller visiter le Beach Club, ce nouvel espace dédié à la musique électronique par-delà la passerelle géante qui surplombe la marina de Port Fòrum. On assiste à un bout du set du DJ hollandais I-F qui réunit les clubbers acharnés dans cet espace ou les écrans LED surplombent une multitude de baffles alignées.

La fête de clôture achève finalement le festival jusqu’au lever du soleil avec DJ COCO sur la scène Rayban qui rendra hommage à David Bowie en lançant un compte à rebours de décollage sur Space Oddity. Quelques remixes de New Order, Blur ou de la dance espagnole de Chimo Bayo se succèdent, même si nous n’avons pas eu droit au feu d’artifice géant cette année. Avouons qu’avec une telle programmation, on ne peut plus vraiment se plaindre pour trois pétards. DJ COCO termine son set par Heroes de David Bowie, nous laissant les membres en transe et des étoiles plein les yeux.

Cette édition 2016 du Primavera Sound fût certainement l’une des meilleures en termes de programmation puisque les présences de Radiohead, Brian Wilson, Sigur Rós, LCD Soundsystem, Air, Beach House, Daughter, Ty Segall ou encore Julien Baker ont ébloui l'événement. Certains parlent du meilleur festival du monde même s'il n’est plus vraiment à taille humaine. Il reste cependant notre moment fort de l’année.
artistes
    Invisible Harvey
    Bob Mould
    My Expansive Awareness
    Die Katapult
    Matthew Dear
    Pumuky
    Leon Vynehall
    A.R. Kane
    Alex G
    Robert Forster
    Old King Cole Younger
    Cass McCombs
    Trevor Jackson
    Baby Dee
    Faris Badwan (The Horrors)
    Boredoms
    Six Organs of Admittance
    Joana Serrat
    Bob Mould (solo electric)
    The Saurs
    Pájaro Jack
    Angel Witch
    The Chills
    Manel
    U.S. Girls
    Wild Nothing
    Die Katapult
    Dave P
    Suzanne Kraft
    DâM-FunK
    Mueran Humanos
    Autolux
    Cat's Eyes
    Jenny Hval
    Current 93
    Dj Richard
    Brian Wilson performing Pet Sounds
    PXXR GVNG
    Richard Hawley
    Drive Like Jehu
    Daniel Baughman
    Los Chichos
    Deerhunter
    PJ Harvey
    Orchestra Baobab
    Pusha T
    Venom
    Action Bronson
    Cleveland (live)
    Chairlift
    Sigur Rós
    Julia Holter
    Unsane
    Lena Willikens
    Ty Segall and The Muggers
    Dorisburg (live)
    Moderat
    Parquet Courts
    I-F
    Pantha du Prince
    Roosevelt
    Ho99o9
    Islam Chipsy & EEK
    Dj Coco
    Dj Richard