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La Route du Rock

Saint-Malo, du 11 au 14 août 2016

Live-report rédigé par François Freundlich le 23 août 2016

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Cette deuxième journée de La Route du Rock au fort de Saint-Père se partage entre des valeurs sûres que l'on a déjà connues sur le festival et des nouveaux venus en forme de points d'interrogation. Si on hâte de revoir les fameux Battles, on a par contre un peu peur en voyant La Femme en tête d'affiche de la soirée. Le seul groupe français jouant sur le fort a pourtant permis de le remplir un peu plus en spectateurs, malgré notre scepticisme. Mais avant cela, nous terminons notre après-midi à la plage pour un petit concert iodé.

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Les parisiens de Requin Chagrin ont vu les choses en grand puisque un requin et un poisson clown gonflables s'amusent à surfer sur un public en maillot de bain en ce chaud week-end du 15 août malouin. Le quatuor propose un surf-rock aux échos synthétiques, porté par la voix raisonnante d'une chanteuse. Cette french pop rafraichissante enchaine les ritournelles dansantes en français, avec ce petit coté new-wave dans la lignée d'Aline. Le groupe ne révolutionne rien mais un bon groupe de pop français fait toujours plaisir à voir et à entendre.

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On attendait impatiemment la prestation des anglais de Ulrika Spacek pour ouvrir la petite scène du fort. Le quintet fait crisser trois guitares lourdes et lancinantes sur de longs instrumentaux psychédéliques divagants. Leurs allures de jeunes pignoufs en shorts a tout pour plaire, encore plus lorsqu'une voix lointaine rappelant parfois Stephen Malkmus tente de heurter les décibels dans une tension palpable et torride. L'ébullition est permanente dans le torrent de lave que déverse sans discontinuer Ulrika Spacek dans une lenteur assourdissante mais trépidante. Avec une nonchalance toute adolescence et un calme olympien, les cinq musiciens se penchent sur leur guitares, comme perdus et submergés par la propre vague qu'ils dispersent. Leurs compositions étirées n'ont pour seul but que de provoquer une transe jubilatoire chez l'auditeur, pour nous saisir et ne jamais relâcher. Ils termineront sur l'excellente I Don't Know et ses boucles de basses addictives : la première très bonne surprise du jour.

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Malheureusement la suite est bien moins glorieuse puisque le duo LUH. (Lost Under Heaven) s'installe sur la grande scène, formé de l'ancien chanteur de WU LYF et de la chanteuse Ebony Hoorn. Le problème principal vient de cette dernière puisque ses parties vocales gâchent systématiquement chaque morceau. Le groupe a peut-être voulu cacher ses faussetés et ses cris ringards en les masquant derrière un vocoder, mais cela n'a pas vraiment fonctionné. Elle aurait pu être une bonne choriste mais le lead vocal aurait été correct avec le seul Elery James Roberts. On aurait pu faire abstraction de la demoiselle mais les compositions ne sont pas franchement glorieuses avec des instrumentations sans âme et un peu cheap, rappelant plutôt un groupe local pour fête de la bière. Arrêtons là les jets de fleur mais nous étions bien en dessous du paradis avec LUH.

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Continuons ces débuts très british avec la pop classieuse de Tindersticks. Dix-sept ans après leur dernier passage, la voix grave et mélancolique de Stuart Staples envoûte à nouveau La Route du Rock. Tout en subtilité et en finesse, le charme de leur folk méticuleuse agit toujours, s'étendant dans le silence global d'un public attentif et conquis. Bien sûr, comparé aux groupes à décibels qui ont précédé, Tindersticks fait figure de havre de paix, même si le set est tout de même plus rock qu'à l'habitude avec quelques assauts de guitares et un batteur qui ne fait pas semblant. Stuart Staples place toute son âme de crooner dans chaque syllabe comme si sa vie en dépendait. Les mélanges de piano et de guitares nous ramènent à une ambiance très cinématographique, à l'image des extraits de leur dernier album The Waiting Room distribué accompagné d'un court métrage. Ce concert en festival ne parvient pas à recréer l'atmosphère particulière que peut procurer ce groupe de salle, mais ces mélodies aux orchestrations parfaites touchant au sublime sont parvenues à nous faire léviter.

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Après cet instant de plénitude, revenons aux saturations et autres déraillement de guitares fouettardes. La chanteuse Anika revient sur la Route du Rock avec son nouveau groupe Exploded View et un krautrock gelé porté par des assauts de basses et autres synthés bizarroïdes. La voix parlée de Anika s'y emmêle magnifiquement avec ce petit accent allemand qui ajoute ce charme à chaque composition. On ne peut quitter la chanteuse des yeux tant son charisme inonde la scène et nous hypnotise. Tout est fait pour nous prendre à rebrousse poil avec ces notes de claviers dissonants ou ces meutes de guitares assourdissantes. Malgré tout, on trouve de la cohérence dans l'incongru, les orchestrations faisant totalement sens à nos oreilles. Anika quittera finalement sa pose immobile pour tenter de se rapprocher du public, avant de finalement abandonner l'idée : cela aurait pu paraître chaleureux. La kraut-wave d'Exploded View est passée sur nous comme une tornade et nos yeux sont encore écarquillés par la prestance d'Anika.

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La choses se gâtent avec l'arrivée sur scène de La Femme et leur boucles de boucles de synthé yéyé. Ils entament leur show sur leur nouveau single Sphynx, sorte de délire psychédélique un peu raté à la voix aigüe difficilement supportable. Il est difficile de comprendre ce qui fonctionne chez ce groupe, peut-être le fait qu'il se classe finalement davantage dans le divertissement et l'énergie que dans la composition musicale. Avec des morceaux parlant de leurs mycoses, on s'amuse un peu sur un concert de La Femme comme au mariage du cousin Bebert après quelques (beaucoup) de bières. Il ne manque que la chenille : ça tombe bien le groupe l'a lancée. La petite troupe n'oublie pas de demander si on est « rock » entre chaque morceau et de bien préciser qu'il va falloir bientôt passer à la caisse pour leur nouvel album. Bref, La Femme est au turbin avec ses formules et chansons toutes faites. On passe sur les longs instrumentaux d'un ennui profond, pour finalement apprécier le titre Si Un Jour, présent sur la BO de l'excellent film Baden Baden de Rachel Lang. Le sentiment global est pourtant plus que mitigé pour un groupe pas la hauteur du festival. Les titres yéyé nous feront finalement abandonner et espérer que la suite arrive très vite.

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Les Canadiens de Suuns sont bien là pour relever le niveau, faisant monter le tensiomètre d'environ dix-mille volts. Ils sont installés à l'avant d'énormes lettres lumineuses au nom du groupe. Pour leur quatrième passage, les chouchous du festival vont livrer un set à la hauteur de leur prestation de La Nouvelle Vague, qui aura marqué l'année 2011. Au premier abord, le groupe semble plus accessible qu'auparavant avec ces extraits du nouvel album, dont l'introduction sur la flottante Instrument. La voix est toujours aussi épineuse, avec cette crispation de mâchoire d'un Ben Shemie semblant possédé. Les boucles de guitares hypnotiques tournent autour de nous comme un pendule : Suuns nous a zombifié en quelques minutes et le seule échappatoire possible est de les suivre à corps perdu. La force de Suuns est de parvenir à posséder ce son éraillé unique tout en parvenant à rester dans une structure suffisamment pop pour faire danser tout un public, comme sur l'excellente Sunspot et sa basse malicieuse et interminable. Shemie répètera également sans fin le mot Resist sur Resistance, formule qui convient au final assez bien à l'esprit du festival. Le génial premier album Zeroes QC n'est pas oublié avec les claviers de Arena qu'on perçoit comme une réponse évidente à ceux de Minor Victories la veille. Les guitares torturées et stridentes prennent le dessus pour un groupe qui ne cesse jamais de s'élever. Après avoir déclamé leur amour du festival et de la Bretagne, Suuns nous quittent avec l'entêtante Pie IX et toujours ces répétitions, comme si on filmait un club électro en slow motion. On a repris notre dose de Suuns et c'est toujours aussi jouissif.

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Suite à l'annulation de The Field, nous patientons tant bien que mal dans la nuit malouine pour le clou du spectacle : le concert de Battles. Les New-Yorkais sont bien les seuls capables de ressusciter nos jambes fatiguées en une fraction de seconde à 2h20 du matin. Leur math-rock est tellement jouissif qu'il nécessite immédiatement de sauter sur place pour accompagner leurs guitares frénétiques. Dés le début du concert, le tube Ice Cream donne le ton : Battles est bien le groupe le plus dansant du monde. Les changements de rythmes sont perpétuels, le batteur fou semble augmenter sans cesse la cadence sans jamais oublier de tonner sur sa fameuse cymbale placée à plus de deux mètres de haut. Les guitares fourmillent de riffs jubilatoires entre power-pop et musique africaine électrisante. Les extraits de leur nouvel album s'intègrent parfaitement, remixés dans des versions sur-vitaminées effervescentes qui nous font pétiller les yeux à chaque reprise. On craint de sombrer dans une folie totale avec les samples vocaux de Atlas, son entêtant gimmick et ses échos robotiques. Quel trio magique !

Ce samedi soir en dents de scie a connu d'énormes creux de vague mais fût heureusement sauvé par les prestations dantesques de Battles, Suuns et Exploded View.
artistes
    Battles
    Exploded View
    La Femme
    LUH
    Requin Chagrin
    Suuns
    Tinderstricks
    Ulrika Spacek