L'île d'Obudai est au centre de la ville, séparant Buda de Pest. Pour quelques Forints, le Citypass, titre de transport spécialement conçu pour les festivaliers, mis en place depuis 2011, permet d'aller explorer la ville et/ou profiter de l'eau chaude et ressourçante des nombreux thermes. Cela vaut bien d'y consacrer une matinée.
De retour vers 16h45 pour se délecter de
Jain sur l'A38. La jeune Française déploie ses richesses d'inspirations de ses voyages, pleine de fraicheur et d'une créativité sans bornes. Elle n'a que vingt-trois ans, et déjà toute une existence nomade derrière elle, la menant de Dubaï au Congo, la nourrissant de percussions afro-beat et rythmes terriens métissés. Seule avec ses machines et son décor aux motifs tribaux, elle assemble les nombreuses sonorités de sa pop transgenre teintée de soul et de reggae, et y dépose les textes universels avec une aisance impressionnante. Non contente de l'espace scénique, elle agrandit son aire de jeux en s'élançant sur la foule dans une bulle transparente et se laissant transporter par quelques centaines de mains bienveillantes.
À l'heure de mettre un cadran de la taille de Big Ben comme visuel de fond de scène, c'est la montagne de charisme british
John Newman qui déboule sur la Main Stage. L'English playboy fait redécouvrir ses chansons pop, ficelées pour être d'une efficacité aussi redoutable en live que sur les ondes où elles ont largement fait leurs preuves ces dernières années (
Blame, Love Me Again). Les refrains sont effectivement repris généreusement par l'assemblée qui prend un plaisir fou à accompagner ses puissantes poussées vocales chargées d'émotions et se laisser contaminer par sa débauche d'énergie. S'il est loin d'être avare en pas de danse, sa choriste lui vole presque la vedette dans le domaine du déhanché. Après avoir transformé la scène et la fosse en dancefloor festif, John attrape la guitare acoustique pour dédier une nouvelle chanson écrite trois jours plus tôt (apparemment intitulée
Save The Last Dance), à Dan Panaitescu, booking manager du Sziget, ayant succombé à un accident de voiture durant l'été (alors que lui-même vient de révéler affronter son deuxième cancer du cerveau à vingt-six ans). En parfait hommage, les paroles sont fortes et justes, et transforment un concert simplement jouissif en un instant d'émotions à graver dans le marbre.
Pour leur venue sur la Main Stage (d'ailleurs renommée, cette année, Dan Panaitescu),
Bastille ont sorti leur plus imposant décor vu jusqu'à présent. Deux statues de personnages assis dominent la scène et la foule, en écho au visuel de
Wild World, leur tout nouvel album. On est clairement loin de leurs débuts dans la petite salle de la Flèche d'Or, ou quand ils bidouillaient des boites à rythmes en look hipster et pull à tête de cerf, en première partie du groupe Keane, au Casino de Paris, quatre ans plus tôt.
Pour la sortie de leur deuxième opus, succédant à l'encensé
Bad Blood, Bastille semblent voir grand, et il était temps ! Si dans l'ensemble les chansons se suivent et se ressemblent, l'énergie n'en est pas linéaire. Les Londoniens maîtrisent le rythme soutenu du show de bout en bout et se délectent visiblement du moment. Leur chanteur, Dan Smith, qui a beau s'excuser de ne pas savoir danser, se laisse aller généreusement à sa gestuelle contagieuse lui étant propre et bondit comme si la gravité n'avait pas de prise sur lui, portant à lui seul le charisme du groupe dans sa voix rocailleuse dont il dévoile progressivement l'amplitude. Il profite d'un intermède pour adresser solennellement un « fuck » à cette période socio-politique sombre et ses détracteurs puis enchaine sur
The Currents, un des inédits, avec notamment
Send Them Off !, Fake It ou
Good Grief, accueillis avec fracas d'enthousiasmes. La nuit est tombée comme il vient poser ses tambours sur l'avancée pour frapper la délicieuse reprise Of the Night et voir s'illuminer un océan de flashligts durant
Oblivion en version particulièrement émotionnelle (et j'ai un paquet de comparaisons à mon actif !). Si l'on connaissait de Bastille des prestations live assez inégales, ce soir ils bousculent le pus grand festival européen avec leurs hymnes (comme
Pompeï ou
Weight Of Living, Pt. II) armés d'assurance et d'une authenticité qu'ils n'ont jamais perdues.
22h, je fais l'impasse sur Manu Chao qui libère sa Ventura sur la scène principale, pour
Editors sur l'A38. Sous le chapiteau à l'atmosphère embuée, la voix profonde du leader Tom Smith (encore un Smith) a un effet envoutant immédiat. La formation attaque de front avec quelques succès majeurs, tels que
Smokers Outside The Hospital Doors ou
The Racing Rats, et traverse sa discographie, laissant la part belle aux guitares, textes crus et lignes de basse oppressantes. Le piano, au centre, offre à Tom une pause dans son agitation frénétique d'un bout à l'autre de la scène, ainsi qu'une très belle introduction au célèbre
Papillon et son envolée mélodique. Avec cette chaleur qui règne, chaque titre est comme une course qui se termine à bout de souffle et nous laisse trempés de sueur, ruisselants dans les lumières saturées.
On est à peine à mi-course du festival que l'épuisement se fait sentir. Tout est si éloigné d'un rythme de vie tranquille et pourtant je souhaite déjà que ce soit le seul qui existe. C'est le genre de réflexion que j'imagine ne pas être la seule à faire, en marchant entre les arbres illuminés de guirlandes sur le chemin du camping. Sous une boule disco accrochée au milieu de tentes, je croise une licorne en masque de plongée qui a perdu son chemin. La nuit sera encore une fois bien courte, et c'est tant mieux !