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Gravenhurst

Interview publiée par Fab le 21 octobre 2007

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Quoi de neuf à l'Ouest ? Nick Talbot pourrait bien nous apporter la réponse à cette question : en publiant il y a quelques semaines le très convaincant The Western Lands, l'anglais plus connu sous le nom de Gravenhurst a une fois encore su conquérir un public de fidèle en mêlant folk et sonorités plus noisy...

Tu as été très prolifique ces derniers années en sortant plusieurs albums et EPs, comment l'expliques-tu ?

C'est tout le contraire, je ne le suis absolument pas ! J'ai commencé à composer de la musique il y a plus de dix ans et j'ai mis beaucoup de chansons de côté au fil du temps. Je ne peux pas me considérer comme une personne prolifique à la vue de mon rythme de travail. Contrairement à moi, Duncan Fleming (War Against Sleep) que je connais depuis longtemps est capable d'écrire un album par mois... alors que je ne dépasse pas la dizaine de nouvelles compositions par an ! Cela m'inquiète parfois. Pour donner un exemple, j'ai commencé à travailler sur She Dances, la seconde chanson de The Western Lands, en 1997 ! Il ne me faut pas des semaines pour finir une chanson mais des années, c'est un vrai problème pour moi. Le pire étant que j'ai été ralenti par les paroles de ce titre... qui ne comporte pas beaucoup plus que trois lignes de texte.

Ton stock s'épuise donc très rapidement ?

Lorsque j'ai choisi de signer chez Warp j'avais une petite trentaine de titres achevés... mais maintenant il ne me reste plus rien. Pas une seule idée de chanson à développer : rien ! Je n'ai pas composé quoique ce soit depuis plus de six mois et je me demande vraiment de quelle manière je vais pouvoir orienter ma musique pour le prochain album.

Te considères-tu comme la seule personne en charge de la création musicale au sein de Gravenhurst ou les autres musiciens qui t'ont récemment rejoints sont-ils également impliqués ?

C'est difficile à dire pour le moment. Robin Allender et Alex Wilkins ne m'ont rejoint que récemment mais je collabore avec Dave Collingwood depuis 1999. Il m'a parfois accompagné lors de l'enregistrement de mes premiers disques tout comme lors des concerts que je donnais. On partage beaucoup d'influences communes mais à mes débuts sa présence n'était pas toujours nécessaire car les chansons étaient le plus souvent dépouillées. Il n'y avait pas de basse et rarement quelques percussions. Gravenhurst est donc majoritairement mon groupe mais j'apprécie beaucoup de rencontrer d'autres artistes pour expérimenter. Le problème est qu'à Bristol les studios pour répéter sont rares et très chers... tu ne peux pas te permettre d'en louer pendant une semaine avec des amis juste pour t'amuser, tu ne le fais que lorsque tu veux enregistrer un disque ou des démos.

Cela t'a-t-il poussé d'une certaine manière à travailler seul ?

Cette contrainte a eu un impact sur mon mode de travail. J'écrivais les chansons à la guitare sèche puis j'enregistrais les percussions... la suite du processus se déroulait dans ma chambre. Comme je ne pouvais pas inviter trois ou quatre musiciens pour travailler dans des conditions live, les rencontres avec d'autres personnes pour mes disques étaient très rares.

On parle souvent de Gravenhurst comme l'un des rares groupes non électronique de Warp, comment gères tu cela ?

Je suggère aux personnes qui évoquent le sujet d'aller en parler avec Maxïmo Park ! [rires] Ce n'est vraiment pas un problème... Je pense que ça me dérangerait si j'étais sur le même label que Whitney Houston mais heureusement ce n'est pas le cas. En fait c'est même une chose que j'apprécie car la plupart des autres artistes comme Broadcast sont très bons.

Avec un peu de recul, penses-tu que tu as fait le bon choix il y a quelques années en décidant de travailler avec ce label ?

J'en suis certain. Les employés sont passionnés mais je crois que le fait d'avoir trouvé un manager m'a beaucoup simplifié les choses. Cette personne se concentre sur l'aspect financier du groupe et sur le respect des contrats tandis que moi je peux être un musicien à temps complet. J'ai besoin d'être entouré de personnes capables de jongler avec les choses qui me font perdre du temps. Ma relation personnelle et professionnelle avec Warp a très bien débuté et il n'y avait donc pas de raison particulière pour que cela ne continue pas par la suite... et pour être honnête aucune autre maison de disque ne semblait aussi impliquée dans Gravenhurst !

Le fait de côtoyer de nombreux artistes électroniques ne t'a jamais poussé à t'orienter plus dans cette voie musicale ?

Je touche beaucoup à l'électronique dans Bronnt Industries Kapital mais pas avec Gravenhurst. C'est mon projet le plus expérimental et j'apprécie d'avoir une certaine liberté dans ce que je fais. Je me laisse beaucoup inspirer par des groupes comme Tangerine Dream sans me fixer de barrière. On a terminé l'enregistrement d'un nouvel album il y a quelques semaines mais rien n'est encore décidé pour sa sortie. C'est un disque beaucoup plus accessible et dansant que le précédent.

Ces derniers mois tu as assuré plusieurs cinemix avec ce side-project, comment cette idée est-elle née ?

Tout a débuté il y a quatre années grâce à Duncan Flemming. Il vivait à Bristol tout comme mois et il tentait de monter un projet basé sur la musique et de vieux films. Il a trouvé le genre d'images qu'il recherchait mais il avait besoin de constituer un groupe pour composer des musiques spécifiques et ses diverses rencontrent l'ont amené à entendre parler du film Haxan qui a été filmé durant les années 20. Il l'a tout simplement trouvé parfait et il m'a alors proposé de le rejoindre.

Sur la majorité de tes albums je peux sentir une vraie volonté d'expérimenter et d'essayer de nouvelles choses. Te considères-tu d'une certaine manière comme une scientifique du son ?

Je ne sais pas si le terme est exact... je pense que mes chansons sont pour la plupart très conventionnelles, avec des paroles assez classiques et parfois des refrains plutôt évidents. Je m'accorde beaucoup plus de liberté dans les détails des chansons, comme par exemple lors de la production ou lorsqu'il s'agit d'apporter une touche noisy. J'aime les sons et le bruit... les manipuler, les sampler et les réutiliser différemment par la suite. Je cherche la différence. Lorsque je joue avec les pédales de distorsions sur des sons de guitare je sens que je peux créer et expérimenter, c'est sans doute pour cela que l'aspect noisy est beaucoup plus développés sur mes deux derniers albums que sur les précédents.

La transition entre tes premiers disques et Fires In Distant Buildings est plutôt brutale, par quoi a-t-elle été déclenchée ?

Mon premier album, Internal Travels, n'était pas à mon image. Je l'ai enregistré dans ma chambre avec une guitare acoustique car je n'avais pas les moyens de faire autrement. Je l'ai construit à partir de bouts de ficelle mais ce n'était pas un choix. Pour Flashlight Seasons je ressentais déjà le besoin de faire évoluer ma musique vers un son plus brutal, j'avais déjà un plan de marche dans un coin de ma tête mais je n'ai pas pu l'appliquer complètement. Lorsque j'ai commencé à jouer de la musique je l'ai fait au sein d'un groupe de quatre personnes, Assembly Communications, et déjà à l'époque notre musique correspondait d'une certaine manière à ce que je tente de créer avec Gravenhurst aujourd'hui. Notre bassiste est mort dans un accident de voiture puis le groupe s'est séparé... c'est de cette manière que j'ai été amené à jouer seul dans ma chambre et à débuter l'aventure Gravenhurst telle que tout le monde la connaît. J'ai toujours su qu'un jour ou l'autre je recruterais de nouveaux musiciens afin d'apporter une nouvelle dimension à Gravenhurst... mon EP Black Holes In The Sand a en quelque sorte été le déclencheur de cette évolution.

Penses-tu être parvenu à trouver un certain équilibre entre le bruit et la musique acoustique sur The Western Lands ?

Je l'espère car c'était mon but premier ! Je pense que l'électrique a fini par prendre le pas sur l'acoustique dans ma musique mais l'évolution entre Fires In Distant Buildings et ce disque est vraiment reconnaissable. Je voulais revenir à une production plus simpliste pour ne pas dénaturer l'esprit des chansons et mettre le son des guitares au service des mélodies.

De quelle manière envisages-tu de faire évoluer ta musique désormais ?

Je n'en ai pas la moindre idée ! Comme je te l'ai dit je n'ai pas écrit de nouvelle chanson depuis plus de six mois... la dernière fois que je suis allé en studio j'ai enregistré Under The Greenwood Tree qui a été utilisée pour mon single Hollow Men sur iTunes. C'est l'une de mes meilleures chansons mais je pense que peu de gens la connaissent. Plutôt que de travailler sur mon prochain album je pense préparer prochainement la sortie d'une compilation de raretés et bsides... mais pour la suite je ne sais pas. Je n'y pense pas pour le moment.

Venons-en à la relation privilégiée que tu entretiens avec la France depuis quelques années, comment la perçois-tu ?

C'est vrai qu'en France mais aussi en Allemagne le public nous apprécie beaucoup mais depuis la sortie de The Western Lands je sens une forme de reconnaissance de la part de la presse au Royaume-Uni, je crois que les choses sont en train de changer. C'est un paramètre sur lequel je n'ai aucun contrôle et je ne peux que subir la réaction des gens... d'autant plus que la manière dont les journalistes parlent de notre musique ne m'intéresse pas. Je ne veux rien avoir à faire avec ces personnes. Quand je lis leurs articles j'ai l'impression que l'aspect artistique de la musique est secondaire et que tous les groupes sont engagés dans une guerre gigantesque où il faut vendre le plus de disques et être le plus cool possible. Ce n'est pas le cas avec tous mais la majeure partie des journaux anglais jouent ce jeu et je trouve cela vraiment épuisant et inutile. Je préfère ne pas lire ces chroniques.

Tu sembles être assez réfractaire à tout ce business ?

Je n'aime pas le comportement de la presse mais cela ne m'empêche pas d'aimer donner des interviews par exemple. Je suis aussi incapable de prendre la pose lors d'une session photo ou de vouloir me donner un genre qui ne me correspond pas... et pourtant je donne des concerts devant des centaines de personnes sans ressentir la moindre gène. Prends Paul Smith de Maxïmo Park par exemple, c'est un frontman formidable ! Il dégage un charisme incroyable, presque à la demande, et ça je n'en suis absolument pas capable.

Comment expliques tu le fait que le succès de Gravenhurst soit plus important en France ou en Allemagne que dans ton propre pays ? Ta musique serait-elle plus européenne que britannique ?

J'imagine que oui ! Je pense aussi que la différence se fait aussi au niveau de la nature de la presse musicale dans ces pays. Chez nous il y a toujours une certaine hype qui va de paire avec le culte que les journalistes vouent aux jeunes groupes... ce n'est pas la musique qui compte mais l'attitude et la mode ! Un groupe est génial une semaine et quelques jours plus tard on passe déjà à autre chose, c'est comme cela que ça fonctionne. C'est un phénomène local que je n'ai jamais ressenti en France et c'est sans doute pour cela que je suis apprécié un peu plus. Peut-être aussi que mon public ici aime la musique déprimante, il faudrait faire une enquête ! [rires]

J'ai vu que tu tenais un blog à jour sur le site officiel de Gravenhurst, est-ce que cela peut selon toi aider le public à te comprendre mieux en tant que musicien ?

Je ne pense pas car ce sont deux choses distinctes. Je ne parle pas de musique sur ce blog, juste de ma vie et de réflexion sur les sujets d'actualité. Si une personne qui ne connaît pas Gravenhurst le lit elle ne pourra pas deviner quel genre d'artiste je suis ni à quoi ressemble ma musique. Ecrire ces articles est un besoin très différent de celui que je ressens lorsque j'écris de la musique.