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Fujiya & Miyagi

Interview publiée par Chloé Thomas le 20 septembre 2008

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David Best, la voix étrangement calme de Fujiya & Miyagi, répond à nos questions à l'occasion de la sortie du troisième album du groupe, Lightbulbs.

Lightbulbs est votre troisième album. Comment a-t-il été produit?

Nous avons commencé à écrire les chansons dès notre deuxième album fini; donc certaines chansons, comme Uh ou Pussyfooting sont assez anciennes. Mais nous n'avons pas commencé à produire vraiment l'album avant Janvier, car nous avons fait beaucoup de concerts l'an dernier. Il a été enregistré un peu comme le précédent, dans un studio à Brighton, et certaines choses un peu difficiles à enregistrer, comme la basse, dans un autre studio de la ville. C'est principalement Steve [Lewis] qui l'a produit. On l'a fait en six mois, ce qui est assez rapide pour nous: le dernier nous a pris cinq ans. Mais c'est aussi la première fois que nous faisons de la musique à plein temps, sans devoir continuer un autre boulot à côté.

Cet album semble assez similaire aux deux précédents. Est-ce que pour vous il représente tout de même une évolution?

Les deux premières chansons de Lightbulbs auraient tout à fait pu être sur Transparent Things. C'est pour ça qu'au début je ne voulais pas qu'elles soient les deux premières, car je me disais qu'on allait réagir comme ça: c'est la même chose. Mais au-delà de ces deux chansons-là, l'album est assez différent: plus lent, plus équilibré, délibérément différent. Certains groupes aiment changer complètement de style d'un album à l'autre, c'est très bien tant que l'on sait où l'on va. Mais nous avions l'impression qu'il y avait encore des choses à explorer dans ce son qui est le nôtre sur Transparent Things. Je pense que le prochain album en revanche sera beaucoup plus différent.

Vous pensez déjà au prochain album?

On y pense toujours forcément. J'ai trouvé le titre de "Lightbulbs" il y a deux ans alors qu'aucune chanson n'était encore écrite!

Vous avez beaucoup d'influences allemandes. Pourquoi avoir choisi un nom japonais?

A l'époque où nous avons débuté Steve et moi, la culture japonaise était très à la mode en Angleterre, peut-être à cause des Beastie Boys, qui vantaient toujours le Japon. Et au début on ne faisait vraiment que de l'électro, on n'imaginait pas mettre du chant dessus, du coup on se voyait plus comme des producteurs de techno, et le nom japonais avait peut-être plus de sens que maintenant.

L'album démarre pourtant avec quelque chose de très anglais: une Knickerbocker Glory. Cette chose est totalement inconnue en France.

Oui, c'est une espèce de glace géante, dans un grand verre, avec des cerises et du chocolat. J'en avais souvent pour mes anniversaires, pour moi ça représente mon enfance.

Vous aimez les mots compliqués: pterodactyl, encyclopedia... Et vous jouez souvent sur, avec les mots. On a parfois l'impression que pour vous le son est plus important que le sens.

Je pense que c'est quand on allie le son et le sens que les paroles fonctionnent le mieux. Honnêtement, pour moi tout ça est très sensé, même si on nous dit souvent que nos paroles n'ont aucun sens. Je crois qu'avec des mots plus simples et plus courts, notre musique deviendrait beaucoup plus monotone. J'aime beaucoup voir les mots écrits sur une feuille et les faire rimer entre eux, c'est comme un puzzle pour moi.

Vous parlez plutôt de choses très concrètes, d'objets, et pas de concepts abstraits ou de catégories universelles. Il y a une matérialité dans vos chansons.

Quand j'écoute la radio et que je tombe sur des stations très mainstream, j'ai l'impression que les paroles sont partout les mêmes, que c'est des banalités de cartes de voeux; chez Coldplay par exemple. J'essaie d'écrire des choses qui n'ont pas encore été écrites. Les personnes dont j'admire les textes, Captain Beefheart, Serge Gainsbourg, parlent de sujets intéressants, pas de choses banales et universelles. Quand je parle de machine à laver ou de bricolage, j'essaie d'être dans la même démarche.

Dans Pterodactyl il y a ce leitmotiv; inch by inch by inch. Ça m'évoque la phrase de Gertrude Stein: a rose is a rose is a rose.

Merci, ça nous fais passer pour plus intelligents qu'on l'est!

En tous les cas, votre musique est basée – comme toute musique électro – sur la répétition, de mots, de motifs. Pour vous quelle est la valeur esthétique de la répétition?

Je pense que ça vient des groupes allemands que nous aimons, comme Kraftwerk, qui est assez répétitif, peut-être aussi de la dance. J'aime bien répéter les mêmes mots, je trouve que ça sonne bien.

Le mot Krautrock avait été créé par des journalistes anglais dans un sens très péjoratif au départ. Vous êtes parmi les premiers groupes britanniques à être associés au Krautrock.

J'essaie de ne pas utiliser cette expression, parce qu'effectivement elle était employée au départ par des journalistes britanniques qui écoutaient des choses affreuses, Yes et tous les trucs prog, alors qu'au même moment des choses superbes se faisaient en Allemagne. Et puis, le mot recouvre des groupes très différents, Can, Amon Düul... Ils avaient en commun seulement un certain minimalisme, et le temps et le lieu.

Au premier abord votre musique semble assez gaie, mais sur certains titres, comme Uh, on a aussi l'impression d'un dégoût, voire d'un mépris. Pterodactyls semble également assez pessimiste sur l'humanité.

On a dit de nous que nous étions jovials, moi j'ai toujours pensé que nous étions mélancoliques, peut-être pessimistes. Je ne veux pas faire dans le pathétique, je veux juste être honnête. C'est vrai que certaines paroles sont, sinon méchantes, du moins assez caustiques. Je pense que le prochain album sera définitivement méchant. De toute façon, si les gens nous mettent une étiquette je veux qu'on soit l'inverse.

Vous considérez-vous comme un songwriter?

Nous avons plusieurs façons d'écrire nos chansons, parfois on part d'un rythme, parfois, de façon plus classique, on part d'un texte, comme pour Lightbulbs. Nous sommes sans doute des songwriters, même si ce n'est pas au sens le plus traditionnel. Si James Blunt est un songwriter, je ne tiens pas à en être un, mais après tout on ne fait pas de la peinture, on écrit des chansons!

Tout l'album est presque murmuré, il n'y a jamais la moindre violence apparente. Cela donne une sensation assez bizarre, comme si par cette impossibilité à crier vous vouliez représenter comme une prison mentale...

Honnêtement, je crois que je ne pourrais pas parler plus fort que maintenant. Peut-être que c'est de l'auto-censure ou même une forme de conservatisme. Je pense aussi que quand on dit les choses doucement, cela attire plus l'attention sur les paroles que si on se met à les hurler. Dans cette douceur il y a un côté plus sinistre, aussi.

Vous êtes donc en tournée en ce moment?

Oui, on vient de commencer, on a fait trois concerts pour l'instant. Ça va nous emmener un peu partout en Europe, et on va retourner aux Etats-Unis. Curieusement, nous sommes plus populaires là-bas qu'en Angleterre. Je crois qu'en Angleterre en ce moment, si on n'a pas vingt-deux ans et un jean slim, c'est plus difficile de percer.

Vous avez aussi travaillé pour Nike (le Nike Running Mix).

Oui, c'est comme un autre album. On l'a fait juste après avoir terminé Lightbulbs, et de manière très différente: on l'a enregistré en six semaines. Ce n'était pas pour l'argent, pour nous c'était surtout une occasion de faire plus de musique. Ça ne me pose pas de problèmes de travailler pour une entreprise: avant je devais bosser dans une banque et je me plaignais de ne pas avoir de temps pour faire de la musique, alors maintenant si une compagnie me propose de pouvoir faire de la musique à plein temps, c'est vite vu!