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Bloc Party

Interview publiée par Fab le 25 octobre 2008

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Moins de deux ans après A Weekend In The City, Bloc Party s'apprêtent à frapper un grand coup avec leur nouvel album, Intimacy, annonciateur d'une nouvelle orientation musicale. Gordon Moakes et Matt Tong, respectivement bassiste et batteur du groupe, s'entretenaient avec nous lors de leur récent passage à Paris...

Vous vous êtes faits très discrets depuis le début de l'année 2008, était-ce pour vous consacrer à votre nouvel album ?

Gordon : Je dirais que la majeure partie de notre nouvel album a été enregistrée depuis le début de l'année 2008. Nous avons réellement commencé à travailler dessus à la fin du mois de janvier. Nous avons vraiment pris notre temps car il n'y avait aucune raison de précipiter les choses. Nous lui avons donc consacré quatre à cinq mois puis le résultat a été envoyé à notre management et notre label qui ont tous les deux beaucoup aimé le disque. L'idée initiale était de sortir cet album avant la fin de l'année et je pense que cette partie du contrat a été remplie parfaitement.

La surprise est donc venue de l'annonce de sa sortie au mois d'août dernier, avec sa mise à disposition en téléchargement payant quelques jours plus tard...

Gordon : Nous avions décidé de disparaître complètement pour enregistrer ce disque : ne plus donner de concerts, ne plus faire d'annonces par rapport à notre avancement et n'accorder aucune interview. Nous ne voulions pas travailler comme le font beaucoup d'autres groupes avec des blogs journaliers ou des choses de ce genre. Nous avons donc refait surface quand nous l'avons décidé, et puisque toutes les personnes concernées semblaient d'accord, l'album est sorti dans la foulée...

Je crois me souvenir que votre précédent album, A Weekend In The City, avait été leaké sur Internet quelques mois avant sa sortie. Cette précipitation n'avait-elle pas aussi pour but d'éviter le même phénomène pour Intimacy ?

Matt : Ce n'était pas la raison principale mais je mentirais si j'affirmais que nous n'y avons jamais pensé. Le but de cette manœuvre était aussi de conserver le contrôle sur ce disque et d'éviter toute mauvaise surprise par la suite. Nous voulions vraiment décider du moment précis où nos fans pourraient écouter nos nouvelles chansons. Je n'attache pas une importance démesurée au fait que notre album puisse être téléchargé gratuitement sur Internet car même si ce n'est pas le cas avant sa sortie officielle, ça le sera quelques jours après. Je n'encourage pas les gens à le faire bien entendu mais c'est une chose qui ne peut être évitée. Nous avons donc créé une sorte d'excitation en annonçant cette sortie de manière assez inattendue, tout en sachant que le disque serait disponible aux formats habituels quelques mois plus tard pour les personnes souhaitant posséder l'objet avec son artwork. Ce n'est pas une question de business pour nous mais plutôt d'avoir l'esprit tranquille par rapport au déroulement des événements.

Cette sortie prématurée vous a donné l'occasion d'effectuer une promotion en amont mais aussi de nombreuses chroniques anticipées. Êtes-vous satisfaits de ces premiers retours ?

Matt : Le résultat est exactement le même que pour nos précédents albums. Les personnes qui n'aiment pas notre musique ne se sont pas gênées pour écrire des articles très négatifs alors que ceux qui nous supportent ont fait l'inverse. Beaucoup de personnes avaient été déçues par A Weekend In The City, non pas parce que le disque était raté, mais plutôt car il ne correspondait pas à ce qu'elles attendaient de nous. Cette fois-ci le contexte est différent, nous avons évolué et je crois que notre public a mieux cerné ce qu'il peut espérer de nous après trois albums.

La version disponible depuis le mois d'août n'était pas totalement achevée, qu'avez-vous changé depuis ?

Gordon : Notre nouveau single, Talons, y a été ajouté tout comme deux chansons bonus à la fin du disque. D'un point de vue extérieur je comprends que l'album soit perçu comme un produit non achevé, mais si cela avait vraiment été le cas on ne l'aurait pas sorti immédiatement. Quand Mercury est sorti en single, tout le groupe s'accordait sur le fait que la majorité du disque était prête et qu'il était possible de le sortir immédiatement. Cette chanson a fait office de test et de surprise... si bien qu'on a décidé de surprendre les gens une seconde fois avec l'album dans la foulée !
Matt : Sortir ce disque si rapidement était aussi une manière de remercier ceux qui nous suivent fidèlement depuis des années. Mercury est sorti, l'excitation est montée et nous avons décidé de ne pas la laisser retomber. Les plus impatients ont donc téléchargé l'album quelques jours plus tard et lors de la sortie physique ils pourront découvrir quelques chansons supplémentaires. Tout le monde y gagne.

Vous avez travaillé avec deux producteurs pour cet album, Paul Epworth et Jacknife Lee. Pourquoi avoir décidé de collaborer à nouveau avec les personnes qui avaient chacune produit l'un de vos deux précédents disques ?

Gordon : Je pense que ce disque était trop dense pour être confié à une seule personne. Je crois que nous avons fait cette erreur pour A Weekend In The City, et si le résultat n'est pas foncièrement mauvais, la tonalité du disque me semble trop linéaire. Je ne remets pas en cause la qualité des chansons, de la production ou du mixage, mais quelque chose n'a pas fonctionné sur ce disque. Pour Intimacy nous avons su dès le départ qu'il nous faudrait travailler avec différentes personnes car les chansons sont trop différentes pour qu'un seul producteur parvienne à les prendre en charge correctement. Les méthodes de travail de Paul Epworth et Jacknife Lee nous ont donc permis d'éviter les pièges.

Je suppose qu'il était plus facile de choisir deux personnes que vous connaissiez déjà plutôt que de prendre un risque avec de nouveaux producteurs ?

Gordon : Oui et non, il y autant d'avantages que d'inconvénients...
Matt : Ce n'est pas un point auquel nous avions particulièrement réfléchi à l'avance. Ce genre de question peut t'empêcher d'aller de l'avant et ce n'est pas bon pour le groupe. Nous avons uniquement porté notre réflexion sur l'identité du producteur mais nous avons réalisé qu'il n'existait aucune autre personne avec laquelle nous aimerions travailler, que ce soit une personne connue ou un débutant. J'aurais sans doute aimé en apprendre un peu plus sur James Ford (Simian Mobile Disco), mais comme il aime jouer de la batterie avec ses groupes notre collaboration se serait mal terminée ! [rires]
En choisissant de travailler à nouveau avec deux personnes qui nous connaissaient bien, nous avons tenté de recréer l'alchimie qui existait à une époque avec eux. Pas simultanément bien entendu, car avec Paul Epworth et Jacknife Lee derrière la console au même moment nous n'aurions obtenu que de le chaos !
Gordon : Nous aurions pourtant pu passer un bon moment à les regarder se battre ! Le survivant aurait gagné le droit de produire Intimacy ! [rires]
Matt : Ce sont deux producteurs tellement passionnés par leur travail et la musique qu'ils n'auraient jamais pu se résoudre à partager leur travail. Ils sont adorables mais aussi de vrais extrémistes dans ce qu'ils font. Un producteur est en quelque sorte un voleur, il occupe la place d'un membre supplémentaire mais c'est aussi un égo à gérer. Je reste méfiant vis à vis de ces personnes car il faut toujours garder les yeux bien ouverts pour comprendre quand elles font des choses pour t'aider ou pour s'aider elles-mêmes.

Aviez-vous décidé dès le départ qui produirait quelles chansons ?

Gordon : Kele avait dès le départ une idée très précise de comment devaient sonner les chansons, il avait même écrit une liste détaillée avec le producteur qu'il pensait être le meilleur pour chacune d'entre elles. Ce n'était pas un motif d'inquiétude lorsque nous étions en studio car nous savions à l'avance avec qui et comment ces chansons évolueraient, nous avons donc pu travailler très sereinement.

Comment êtes-vous parvenus à conserver une certaine homogénéité sur l'album tout en travaillant avec deux producteurs différents ?

Matt : Nous n'avons jamais craint que l'album puisse être incohérent car nous avons cherché à briser son homogénéité !
Gordon : Nous n'avions pas de réelle inquiétude sur ce point, nous savions quoi faire et comment le faire. Je comprends que certaines personnes se soient posées des question en apprenant que cet album avait été enregistré avec deux producteurs, mais il faut garder en tête que le mixage final a été réalisé par une seule personne, c'est à ce moment que la cohérence du disque se met en place.

Votre musique a pris une tournure très expérimentale et électronique sur ce disque, comment en êtes-vous arrivés à cela ?

Gordon : Vu de l'extérieur ce disque peut être très déstabilisant pour une personne qui ne connait de Bloc Party que les singles, mais en regardant de plus près la manière dont nos chansons ont toujours été structurées je ne crois pas que tout cela soit si surprenant. Nous avons conservé notre son sur cet album, mais aussi notre univers et nos racines tout en évoluant vers quelque chose de différent. Les sonorités rock et électroniques ne sont pas nécessairement très éloignées, il est possible de les faire cohabiter sans tout remettre en cause. Garbage l'ont très bien fait tout au long de leur carrière, pourquoi pas nous ?
Matt : Je ne suis pas certain de savoir jusqu'où nous seront capables de pousser nos idées. Pour le moment je pense que nous avons réellement fait le maximum mais dans quelques mois nous pourrons certainement utiliser cette expérience pour essayer de nouvelles choses encore une fois.

Ne pensez-vous pas que les bases de cet album sont apparues lors de la sortie de Flux ?

Gordon : En sortant Flux nous avions d'une certaine manière cherché à remettre en cause tout ce qui pouvait nous sembler acquis. Laisser derrière nous tout ce pour quoi le public nous avait aimé et repartir sur des bases nouvelles. Je me souviens qu'après avoir écouté Flux de nombreuses personnes nous avaient demandé si notre troisième album aurait la même teneur, ce qui au final n'est évidemment pas exactement le cas...
Matt : Je pense que notre public a attaché une trop grande importance à ce single. Nous avions terminé cette chanson et le label la trouvait bonne donc nous l'avions sorti sans raison particulière, pour nous en débarrasser en quelque sorte. Avec du recul, ce choix me semble plus sain que si nous avions foncé dans un studio pour enregistrer un album avec des samples électroniques à foison. Flux nous a donc permis de traverser cette phase pour arriver ensuite à celle qui a donné naissance à Intimacy.

Mercury est sans conteste l'une des chansons les plus atypiques de ce nouveau disque. Ne pensez-vous pas avoir pris un risque en le choisissant au titre de premier single de l'album ?

Gordon : C'est le genre de chose qui peut t'empêcher d'aller de l'avant et de progresser en tant qu'artiste si tu y attache trop d'importance... C'est une chanson plutôt originale mais nous n'avons pas cherché à savoir quel accueil le public pourrait lui réserver. Nous avons suivi cet instinct pour cette chanson : même si elle est dérangeante je pense que c'est l'une des plus riches du disque et à ce titre elle méritait vraiment de se voir donner une chance en tant que single. En terme d'impact, c'est un choix idéal, et comme notre but n'est pas de vivre sur nos acquis mais de faire avancer les choses le choix s'imposait de lui-même.

N'est-ce pas grâce à ce genre de chanson que votre image de groupe issu du mouvement post-punk pourra être amenée à changer un jour à l'autre ?

Matt : On nous a très souvent comparés à Gang Of Four à nos débuts mais ce n'est plus vraiment d'actualité. C'est un groupe qui nous a influencés au départ mais nous sommes passés à autre chose depuis. Silent Alarm est ce qu'il est et rien ne pourra le changer, mais Bloc Party est par la suite devenu un groupe différent avec de nouvelles aspirations. Quand je pense à des groupes comme les Talking Heads ou Siouxsie and the Banshees qui ont su se diversifier de manière constante, je me dis que nous sommes également sur la bonne voie et que notre évolution artistique est une bonne chose.
Gordon : Beaucoup de groupes se sont inspirés et s'inspirent encore des artistes d'il y a vingt ans pour leur section rythmique, c'est n'est pas une nouveauté et le fait que la musique post-punk soit revenue à la mode il y a quelques années n'a rien à voir là-dedans. A un moment donné nous avons cherché à renouveler nos idées et nous inspirer de choses différentes, c'est de cette manière que nous en sommes venus à enregistrer Intimacy. Et nous poursuivrons notre chemin pour le prochain album...

Votre nouvel état d'esprit semble également se refléter sur les bsides de vos derniers singles. Vous n'y proposez que peu de titres inédits mais de nombreux remixes...

Gordon : Nous avons commencé à explorer l'univers des remixes et ses mécanismes lors de la sortie de Flux. Ce n'est pas un processus que nous prenons à la légère, il faut bien comprendre dans un premier temps quelles sont les techniques à mettre en œuvre pour obtenir un résultat de qualité. C'est pour cette raison que nous avons souhaité écouter le travail d'autres artistes sur nos chansons, découvrir de quelle manière il était possible de les adapter pour les diffuser dans les clubs par exemple.
Matt : Le problème avec Flux est que la chanson était déjà trop rapide dès le départ ! [rires]
Gordon : Dans l'idéal nous cherchons toujours à ce que la chanson soit accélérée par rapport à sa version initiale. Idea For A Story, un nouveau titre qui ne figure par sur Intimacy, est un très bon candidat pour un remix. Elle possède un son lourd et électronique, je pense qu'il serait possible d'en faire quelque chose de différent si nous voulions la remixer.

Pour conclure, pouvez-vous m'en dire un peu plus sur la signification du titre Intimacy pour cet album ? D'un point de vue musical, le lien n'est pas forcément évident...

Matt : Instrumentalement, cela peut surprendre. Ce qu'il faut retenir, c'est que de nombreuses chansons de l'album traitent des relations entre les être humains, il était donc logique pour nous de choisir Intimacy au final.