logo SOV

The Rakes

Interview publiée par Fab le 22 mars 2009

Bookmark and Share
Jamais remise en cause depuis la parution de Capture/Release en 2005, la popularité en France de The Rakes devrait encore une fois se vérifier durant les mois à venir suite à la sortie en ce mois de mars de leur nouvel album, Klang. De passage dans la capitale récemment, Matthew Svinnerton, guitariste du quatuor, nous en disait un peu plus sur la génèse de ce troisième opus...

Votre troisième album s'appelle Klang et sort le 23 mars chez Cooperative Music, est-ce que tu peux m'en dire sur la manière dont le processus créatif s'est déroulé ?

Après avoir enregistré nos deux premiers albums en un seul bloc, nous avons souhaité travailler d'une manière différente pour celui-ci. Jusque là tout était scripté : enregistrer le premier album, partir en tournée, écrire de nouvelles chansons, enregistrer le second album... je pense que d'une certaine manière nous avions besoin d'un peu plus d'espace pour vivre. Cette fois-ci nous avons donc cherché dans un premier temps à définir la voie que nous souhaitions suivre car nous ne pouvions pas être sûrs d'avoir encore des choses à dire sans y réfléchir sérieusement. Il ne suffit pas d'aller dans un studio pour que les chansons apparaissent comme par magie, il faut qu'un consensus existe entre les différents membres du groupe.

La décision de changer votre mode de fonctionnement a donc été prise conjointement ?

Exactement. Il a été décidé de prendre un peu de repos pour commencer et de ne plus donner de concerts pour pouvoir se ressourcer. C'est durant cette période que nous avons défini les bases de l'album et énoncé notre volonté de reproduire en studio ce qui fait notre force en live : notre énergie. Cela peut paraître surprenant, mais nous n'avions jamais clairement exprimé cette volonté pour nos deux premiers albums. De son côté, Alan souhaitait également avoir plus de temps pour travailler les textes des chansons.

Au final, le disque ressemble-t-il à la vision que vous en aviez au départ ?

Je pense qu'il est impossible d'obtenir un résultat conforme à 100% à ses espérances, et c'est pour moi une très bonne chose ! Personne ne peut penser à tous les aspects d'un disque avant d'avoir commencé à travailler dessus en studio, il y a nécessairement des points à améliorer ou des choses à changer. Des imprévus se produisent, des idées apparaissent alors que d'autres disparaissent... cela me semble très sain de faire évoluer l'album progressivement. Un disque doit vivre au jour le jour, mais au final l'essentiel est d'être arrivé à produire un album homogène et non une simple collection de chansons. Notre disque a une personnalité et c'est aussi ce que nous voulions.

Pour la première fois depuis vos débuts vous avez arrêté de donner des concerts avant de préparer ce disque, comment l'avez-vous vécu ?

Notre fonctionnement ne nous permettra jamais d'écrire l'intégralité d'un album tout en voyageant car ce processus nécessite une certaine concentration mais aussi beaucoup d'application. Bien entendu cela ne nous a pas empêché de composer certaines chansons pendant nos tournées, ce qui est encore le cas pour cet album, mais ce sont uniquement des ébauches. Le fait de prendre du recul par rapport aux tournées pendant près d'un an nous a été bénéfique car nous avons appréhendé notre retour d'une autre manière. Après ce break nous avons commencé par jouer dans des pays différents de ceux que l'on visite généralement, comme l'Australie ou la Russie, et cela nous a permis de rencontrer de nouvelles personnes mais aussi de tester la qualité des nouvelles chansons. Comment aurions-nous pu enregistrer un disque censé rendre hommage à notre son live sans vérifier que les chansons plaisent au public ? C'est ce genre d'expérience qui permet par la suite d'apporter quelques retouches et de comprendre quels sont les éléments manquants.

Crois-tu que le disque aurait réellement été différent sans cette phase de test face au public ?

J'en suis certain car nous avions beaucoup de doutes sur certains titres avant de les jouer. Lorsque tu te rends en studio avec la moitié des chansons terminées, il est tout à fait possible de parvenir à écrire le reste sur place sans perdre en qualité, mais ce n'est pas le cas lorsque tu démarres de zéro. Dans cette configuration le but n'était pas d'expérimenter les possibilités offertes par le studio ou les différents instruments à notre disposition mais plutôt d'obtenir un vrai son live. Pas d'effets superflus, uniquement ce que les instruments classiques comme la basse ou la batterie peuvent produire.

La plupart des groupes choisissent de partir aux Etats-Unis ou à Londres lors de leurs sessions d'enregistrement... comment en êtes-vous donc venus à préférer Berlin ?

Contrairement à ce que beaucoup de personnes pensent, la ville de Berlin possède une certaine importance dans le domaine de la musique. Des groupes comme David Bowie, Depeche Mode ou U2 ont enregistré certains de leurs disques là-bas et je pense que cela leur a plutôt bien réussi ! Dans un premier temps nous avons envisagé de partir à New York, nous pensions que la ville en général et certains quartiers comme Manhattan nous inspireraient... mais Berlin semblait avoir quelque chose de plus comme un passé ou une histoire. Avec du recul, je crois que cette ville était indéniablement un meilleur choix que New York ou Los Angeles pour nous.

Le nom de l'album, Klang, a une consonance très germanique...

C'est un nom sans véritable signification, nous n'avons pas cherché à y trouver une quelconque symbolique. Malgré tout, c'est un mot allemand dont la signification est un son brutal, une sorte d'explosion subite... c'est un terme qui m'évoque quelque chose de surprenant et d'inattendu, de très spontané, tout comme je perçois le disque. De plus, le fait de l'avoir enregistré dans une ville allemande apporte une certaine logique à ce choix. Il ne faut pas oublier non plus notre chanson Strasbourg qui nous rapprochait déjà de ce pays il y a quelques années.

Le second album est très souvent décrit comme le plus difficile à enregistrer pour un groupe. Qu'en a-t-il été du troisième pour vous ?

Beaucoup plus facile pour plusieurs raisons. Lorsqu'un groupe sort des singles puis son premier album, c'est en général car il sait écrire de bonnes chansons mais aussi car il est au bon endroit au bon moment. A partir de cet instant il faut que les musiciens parviennent à développer leur style sur la durée et à poursuivre leur chemin ensemble. Lorsque vient le temps du second album, dans l'esprit de chacun, il faut vivre et penser comme un groupe. Nous ne sommes plus The Rakes comme un hobbie après une dure journée de travail mais comme une véritable occupation à temps complet. Le groupe devient un véritable job ! C'est à cet instant que de nouvelles idées commencent à prendre plus de place dans ton esprit. Il n'est plus seulement question de chansons mais aussi de ventes de disques, de l'avis de la presse... tous ces paramètres que tu ne maîtrises pas entrent en compte et il faut apprendre à vivre avec. Je ne crois pas avoir assez de recul pour pouvoir juger Ten New Messages mais le disque me semble avoir été trop poli et travaillé. Sur le moment nous ne doutions pas de nos choix et de la direction suivie, mais certaines choses auraient pu être différentes. Pour cet album nous avons su mettre de côté tous les paramètres commerciaux pour revenir à quelque chose de plus basique et moins réfléchi. Certains groupes n'arrivent jamais à passer cette phase, c’est le début de la fin.

Depuis vos débuts on parle beaucoup de vous comme un groupe capable d'écrire de bons singles, pourtant cet album semble être beaucoup plus homogène que ses deux prédécesseurs...

Notre but a toujours été d'écrire un album et non une collection de chansons. Lors des débuts d'un groupe il est difficile d'appliquer un tel raisonnement car il faut avant tout proposer des chansons suffisamment bonnes pour se faire remarquer et pouvoir donner des concerts, mais lorsqu'il est question d'album il faut savoir faire une sélection de titres qui rentrent dans le moule que tu as défini. A Berlin nous avons donc décidé de consacrer une journée à chaque chanson, pas plus, pas moins. Nous arrivions le matin, nous branchions les instruments et l'enregistrement commençait. Le soir, après quelques bu quelques bières, l'atmosphère était plus sombre et nous pouvions alors nous consacrer au chant. Cette nouvelle méthode de travail a certainement influencé l'atmosphère du disque, notamment parce que nous savions précisément dès le départ ce que nous cherchions à créer.

Le son post-punk de vos débuts semble lui aussi avoir évolué vers quelque chose de différent sur ce disque...

Il est important d'être capable de choisir une nouvelle direction et de pouvoir la suivre jusqu'au bout. C'est aussi une question d'aptitudes et d'expérience car un groupe ne peut pas durer des années s'il écrit sans cesse les mêmes chansons, le songwriting doit lui aussi s'améliorer. Je ne dis pas qu'il faut intellectualiser la musique, mais la structure des chansons peut et doit gagner en profondeur. Les principales caractéristiques des chansons des Rakes il y a quelques années ne sont plus nécessairement les mêmes que celles de maintenant, c'est parfaitement logique.
Pour revenir au sujet initial, je pense que c'est un signe lorsqu'un groupe cherche à favoriser l'album plutôt que les chansons indépendamment les unes des autres non ? Cela prouve que les musiciens cherchent à créer une dynamique globale. En résumé, notre choix était de faire sonner ce disque comme s'il avait été enregistré à Berlin en 2008 mais d'une manière très classique.

Certaines des chansons de Klang sont plus basées sur le piano que la guitare, ce qui est assez nouveau pour The Rakes. Comment vous est venue cette envie ?

Le piano est un instrument auquel Alan s'est beaucoup intéressé ces deux dernières années. Lorsque j'écris une nouvelle chanson, la base du titre est bien évidemment la guitare... tandis qu'Alan semble prendre de plus en plus de plaisir à composer au piano. Notre volonté est de toujours proposer un son très organique, mais à partir du moment où l'énergie est bien là, peut importe si l'écriture s'est faite dans un premier temps avec une guitare ou un autre instrument. Il n'était toutefois pas question de donner une tonalité électronique au disque, c'est pour cela que nous avons utilisé un véritable piano et non des claviers durant l'enregistrement.

Vous n'avez donc eu besoin d'aucun temps d'adaptation pour apprendre à intégrer cet instrument ?

Il n'y avait aucune contrainte ou obligation, cela s'est fait naturellement. Il me semble toutefois compliqué pour un groupe comme le nôtre d'assimiler correctement l'utilisation de cet instrument sans tomber dans le piège de vouloir ressembler à Coldplay ou d'autres groupes identiques. Le piano doit toujours apporter quelque chose de bénéfique et ne surtout pas diminuer l'énergie que dégage une chanson.

D'un point de vue global, ce disque semble malgré tout plus proche de Capture/Release que de Ten New Messages : beaucoup d'énergie, une production moins lisse...

Oui, c'était notre choix dès le départ. Je ne dis pas que nous voulions enregistrer un disque à l'image de Capture/Release mais la manière dont il avait été enregistré avec Paul Epworth nous avait vraiment marquée. Tout comme l’époque nos débuts nous manquait. Nous jouions alors dans des petits bars à moitié vides, parfois un peu glauques avec beaucoup de fumée, mais nous aimions vraiment ça. Ce sont ces moments qui nous avaient amené à écrire des chansons un peu punk à l'époque. Nous avons en quelque sorte retrouvé cette ambiance à Berlin à travers les bars, les ruelles cachées ou d'autres lieux de la ville.

Tu me parles beaucoup de la ville de Berlin depuis le début de l'interview, aviez-vous anticipé que son influence sur le disque serait aussi importante ?

En allant à Berlin nous étions à la recherche de quelque chose mais nous ne pouvions pas savoir quoi avant de l'avoir trouvée. En restant chez toi, tu tombes un jour ou l'autre dans une certaine routine. Tu as un certain confort mais tu n'avances pas de la même manière. A Berlin nous avons donc pris un nouveau départ et découvert une ville que nous ne connaissions pas. La mélancolie que le lieu dégage parfois nous a certainement touchés et marqués à un moment ou un autre. Même si tu ne t'en rends pas compte, ce que tu vis et ce qui t’entoures laisse forcément des traces à un moment ou un autre.
Ce disque n'est toutefois pas un hommage à cette ville, en aucun cas. Les thèmes que nous abordons dans nos nouvelles chansons ne sont pas liés à cet environnement, ce sont les mêmes que nous avons toujours traités. Ce sont des textes typiques de The Rakes, pas de Berlin.

Sur Ten New Messages vous aviez suivi une approche différente pour vos chansons en traitant des médias ou de la politique, qu'en est-il pour Klang ?

Je n'écris qu'une partie mineure des paroles des chansons en comparaison avec ce qu'Alan apporte, mais je pense pouvoir affirmer que cet album est plus introspectif et relevé. Il y a beaucoup de références à notre vie, par exemple au fait de sortir dans des bars ou au sexe, mais aussi des éléments plus contemplatifs. Personnellement je n'ai pas cherché à donner des leçons à quiconque avec cet album, je me suis contenté de parler de choses qui me tiennent à coeur et qui sont le plus souvent relatives à ma vie.

1989 est le premier single à être tiré de cet album, penses-tu qu'il en est représentatif ?

1989 est une chanson parmi d'autres mais son rôle est de montrer au public dans quelle direction nous nous engageons et ce qu'il peut attendre du disque. Je crois que c'est l'un des titres les plus immédiats du disque, il est très catchy et c'est cela qu'on attend généralement d'un premier single. La chanson n'a pas été écrite dans ce but mais son format et la manière dont elle sonne font qu'elle est très adaptée pour les diffusions à la radio ou la télévision, c'est sans doute pour cela qu'elle a été choisie.

Tu ne sembles pas très concerné par le choix du single, c'est le genre de choses que vous laissez à votre maison de disques ?

Je ne me sens pas extrêmement concerné mais je comprends parfaitement quels sont les mécanismes de l'industrie musicale et le besoin pour un groupe de sortir de bons singles. Nous avons discuté avec notre maison de disques qui a suggéré de sortir 1989. C'est une bonne chanson et rien ne s'opposait donc à sa sortie. L'avantage dans le fait de déléguer ce genre de choix est que les décideurs sont souvent plus détachés par rapport au disque que nous-mêmes, ce qui peut donc aboutir à un choix plus réfléchi que sentimental. Bien entendu nous conservons toujours un droit de véto pour ce type de décision, mais généralement le bon sens l'emporte.

Justement, quel a été le comportement de votre maison de disques durant l'enregistrement de Klang ? L'industrie musicale n'est pas au mieux et les ventes sont un critère prédominant...

Nous avons la chance d'avoir face à nous des personnes très sages et compréhensives, c'est du moins de cette manière que je l'ai ressenti durant l'enregistrement de l'album. Avec Internet et l'évolution des mentalités, nous sommes arrivés à une période de mouvement perpétuel ou chacun doit apprendre à s'adapter et à évoluer dans la bonne direction. Nous avons donc demandé à notre label de nous faire confiance durant l'enregistrement puis de venir écouter le disque une fois terminé, mais surtout de ne pas interférer durant le processus. Ils étaient impatients de pouvoir le découvrir mais nous souhaitions réellement ne pas être perturbés en studio pour rester concentrés sur l'essentiel, la musique. Et ça a marché ! The Rakes n'est pas un groupe capable de générer des millions d'euros de bénéfices, nous ne sommes pas U2 ! Ils nous font donc une certaine autonomie pour grandir à notre rythme et ne pas tout gâcher. Je pense qu'au final tout le monde est satisfait du résultat.