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Killing Joke

Interview publiée par Chloé Thomas le 5 août 2009

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Après un concert au festival de Dour, petite discussion avec Jaz Coleman, chanteur de Killing Joke, surexcité et en roue libre. Avant même que je puisse poser une question, Jaz Coleman me demande ce que je fais dans la vraie vie. « Etudiante ? A l'université, ce qu'ils ne t'apprendront jamais, je vais te le dire. Il faut que tu crées un marché pour ce que tu fais, avant même que tu aies fini tes études ». On part donc sur l'économie, l'état du monde et la téléologie de tout ça...

Tu crois donc à l'économie de marché ? Ton concert semblait ponctué de critiques à son encontre…

Oui, je suis complètement partisan de l'économie de marché. Je m'intéresse beaucoup à l'histoire de la monnaie, en particulier à l'histoire du papier-monnaie, ainsi qu'à la finance internationale. J'ai envie de comprendre la marche du monde. La plupart des gens n'ont pas conscience des pouvoirs véritables qui gouvernent le monde. Les hommes politiques, ce sont des marionnettes, tout le monde sait ça. Il existe d'autres pouvoirs derrière eux. Prend la Fed, par exemple : eh bien, c'est une banque privée, détenue à 50% par une seule famille. Donc un petit nombre de personnes, les grands actionnaires, détiennent un pouvoir gigantesque. Il est indispensable de démystifier ce pouvoir, de rappeler que ces gens ne sont que des êtres humains.
Le genre humain est constamment confronté à des questions morales et doit prendre des décisions. Prenons par exemple le problème de la surpopulation mondiale. Il est possible d'utiliser des moyens malthusiens pour la juguler, on peut aussi utiliser la guerre, la famine – mais alors nous perdons notre humanité. Il faut réduire la population, c'est un fait. Nous sommes à un tournant historique en ce moment, et devons choisir une direction. Nous provoquons des guerres pour réduire la population; mais si nous changeons notre façon de vivre, par l'harmonisation, et par harmonisation j'entends la mise en place de règles révolutionnaires, la terre pourrait produire assez de nourriture pour tout le monde. Il faut pour cela démanteler toutes les grandes compagnies. L'humanité est en train de se réveiller. Dans les écoles, les universités, on ne nous enseigne pas l'histoire véritable, les vraies causes des guerre; ou plutôt, il y a deux histoires, l'une pour l'élite, l'autre pour les classe populaires. En ce moment, nous sommes à la toute fin de la quatrième ère dans l'histoire de l'humanité. En 2012, une nouvelle ère commencera. J'étudie les calendriers, et 2012, c'est une date qui revient dans toutes les cultures. Quelque chose va se passer.

Et d'après toi, ce sera ?

Il pourrait y avoir une inversion des pôles magnétiques terrestres. Si c'est une inversion violente, l'humanité va avoir besoin d'une station spatiale pour survivre. Peut-être que cette station spatiale existe déjà sans que nous le sachions. Ce qui s'est passé dans l'espace en 1969 est resté très secret. C'est pour cela, pour éviter ce genre de politique du secret, que la technologie spatiale devrait être dans le secteur public.

Tu es visiblement très engagé politiquement. Quand Killing Joke a débuté, on vous a souvent accusés, comme beaucoup de groupes post-punk ou un peu métal, d'avoir des tendances fascistes. Qu'est-ce que ça t'inspire aujourd'hui ?

Je suis tellement à gauche que je suis à droite! Tu sais, ces histoires, c'était pour nous une façon de traiter avec les journalistes. On avait un mouchard dans toutes les rédactions, de telle sorte que quand on rencontrait un journaliste qui ne nous était pas favorable, on le savait à l'avance, et on gérait psychologiquement la situation.

Lors du concert de cet après-midi, vous avez dédié une chanson à Nirvana...

Oui. C'est moi qui ait fait l'orchestration de Come As You Are et ils nous l'ont volée.

Oui, vous aviez poursuivi Nirvana pour cela...

On a laissé tomber les poursuites quand Cobain est mort. Ce n'est pas important.

Cette chanson dédiée à Nirvana disait « We live in the eighties ». Considérez-vous encore Killing Joke comme un groupe des années quatre-vingt, avec un son années quatre-vingt ?

D'abord, on a commencé dans les années soixante-dix ! Et de toute façon, quand on joue ensemble, on ne se pose pas de questions sur le fait d'avoir un son années quatre-vingt, ou quoique ce soit. On travaille ensemble jusqu'à atteindre un état d'hypnose. On descend ensemble dans des limbes qui nous immunisent, nous empêchent d'être violents. Les hommes sont primairement violents. Avec les biotechnologies, les nanotechnologies, nous sommes en train de perdre notre âme, parce que nous perdons la capacité de sentir. Ce qui nous rend humain, c'est notre capacité d'aimer et de sentir, ou de ressentir. Si on remplace le corps par des nanotechnologies, on perd cette capacité. Un cataclysme va arriver. Je crois que la terre, Gaïa, est réellement douée d'intelligence, et va détruire l'humanité.

On a entendu beaucoup de groupes métal à Dour. Tu les considères comme tes héritiers ?

Je les considère comme ma propre famille. Tiens, un jour, j'ai reçu une carte postale de Kurt Cobain; je sais que maintenant que Raven est mort [le bassiste de Killing Joke, décédé il y a deux ans], il peut aller lui botter les fesses. On était ados quand on a commencé Killing Joke, et d'un coup c'est devenu la chose qui comptait le plus pour nous. On continue de travailler ensemble. Notre meilleur album, c'est celui qui va venir.

Vous préparez donc un nouvel album?

Oui, nous devons enregistrer en octobre-novembre. Cette tournée, pour nous, c'est aussi l'occasion de recommencer à travailler et à penser ensemble.

Allez-vous expérimenter de nouvelles choses avec cet album?

Oui, absolument. J'ai envie de défendre de nouvelles idées, l'idée de développements durables, la possibilité de nourrir chaque être humain. Pour cela, nous avons besoin des compétences des paysans. Tous les mythes de l'âge d'or mettent l'accent sur l'agriculture, sur l'abondance agricole. C'est parce que, quand on a mangé, quand on est rassasié, on peut librement se concentrer sur l'art, sur la musique. Tout est lié!

Tu sembles beaucoup t'inspirer de Gandhi, avec cet idéal agraire !

Gandhi est ma source d'inspiration. Je suis anglo-indien. D'ailleurs c'est ma propre famille qui a pris les mauvaises décisions en Inde: je suis de la famille de Nehru, qui a opté pour l'industrialisation. C'est pour cela que j'ai évité l'Inde pendant très longtemps. J'y suis allé pour la première fois il y a seulement un mois. Je voulais faire une démarche concernant le corps de Raven, afin d'être sûr qu'il arrive tranquillement au paradis.

Tu te situes où, religieusement?

J'étudie les religions comparées, et je cherche le bien dans chaque religion. J'étudie aussi l'alchimie, et la contemplation, j'étudie les orchestres... Tu sais, Raven et moi, on n'est pas séparés, il m'accompagne partout où je vais. Le plus grand honneur dans ma vie, ce n'est pas d'avoir été fait chevalier en France, c'est d'être un membre de Killing Joke. Tous, dans ce groupe, sont incroyablement intelligents. Mais ne crois pas que je sois nostalgique à propos du passé: je sais que la meilleure période de Killing Joke, c'est la période présente.

Tu es aussi compositeur invité en résidence. Qu'est-ce que cela t'apporte ?

Oui, je suis en résidence à Berlin en ce moment. C'est super, parce que les orchestres coûtent très cher, et ça me donne l'opportunité de travailler avec eux malgré cela. Je peux ainsi essayer de nouvelles idées. J'ai fait un opéra pour la Royal Opera House, en italien, sur Marie-Madeleine. On ne l'a joué qu'une seule fois, ça n'a pas été enregistré. La seule raison d'être de cet opéra, c'était sa beauté. Il nous faut remplacer le consumérisme par un devoir de rendre le monde beau. Il faudrait que chacun est une liste de choses à accomplir, comme si l'on devait mourir dans trois ans.

Oui, tu l'as dit pendant le concert. Qu'y a-t-il sur ta liste à toi?

Eh bien par exemple, je me suis dit qu'un fan-club, c'était un groupe de gens qui, au lieu d'acheter des T-shirts, pourraient acheter des parcelles de forêt tropicale. C'est cela le pouvoir de la musique.