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The Kooks

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 31 août 2011

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Direction l’Hôtel Costes, rue du Faubourg-Saint-Honoré dans le 1er arrondissement de Paris où m’attend Luke Pritchard dans un de ces salons privés qui ont fait la réputation du lieu le plus hype de la capitale. Le thermomètre atteint 25°C par ce début d’été et le frais patio du lieu, coupé de l’extérieur et surtout du bruit de la rumeur Parisienne, me fait l’effet d’un Riad marocain.

Entre deux journées de promotion et avec une crève carabinée dûe à un très récent retour de Los Angeles, trop climatisé, retardé et enchaîné sur un festival anglais, Luke me reçoit seul dans ce précieux salon, sous une climatisation tout en douceur, cerné, grippé mais imposant, tel un nabab du rock à vingt-six ans à peine, une prestance rare dans la britpop. Le succès, pourtant là depuis ses seize ans, ne lui est pas trop monté à la tête : on peut être la proie de milliers de fans hystériques partout dans le monde ou mettre un coup de pied à Alex Turner, leader des Arctic Monkeys, pendant un festival rock et rester très simple et très avenant !

Aux Etats-Unis, pendant la période des 60s, on parlait de British Invasion en rapport aux nombreux groupes britanniques (The Beatles, The Rolling Stones, The Who, The Animals...) ayant envahi les charts américains. Il se trouve que vous êtes, vous aussi, qualifiés de groupe faisant partie de la nouvelle British Invasion. Toi qui dis être fan de cette période, es-tu d’accord avec ce terme et l’influence de vos aînés ?

Je ne pense pas que ce soit exactement la même chose que dans les 60s. Mais je suis plutôt flatté de ce retour de la British Invasion, j’aime beaucoup ce terme (rires) ! Quant aux groupes que tu cites, j’ai été bercé toute mon enfance par cette musique, beaucoup moins par celle des années 70s ou 80s. C’est sûrement pour cela que tu as fait cette connexion. Même si, avec ce nouvel album, Junk Of The Heart, on a justement essayé de s’éloigner de ces entraves. Nous avions besoin que le public ne regarde plus dans le passé en nous écoutant, mais qu'il soit plutôt transporté dans l’avenir.

Dirais-tu que la scène britannique actuelle s’inspire des groupes de cette époque ou de l’esprit de la période elle-même ?

C’est une bonne remarque, mais ça revient à demander « qui de la poule ou de l’œuf est arrivé en premier ? ». Ce qui est sûr, c’est que l’époque est vraiment différente. La musique des 60s avait une espérance de vie bien supérieure à celle d’aujourd’hui. Elle était le message et la revendication de toute une génération, tout autour du monde.

Es-tu nostalgique de cette période, même si tu ne l’as pas connue ?

J’aime vivre à notre époque. Nous avons beaucoup plus de choix, notamment dans le processus de création musicale. Mais oui, je suis du genre nostalgique de ces années-là ; même si, toutes les générations te diront qu’ils sont nostalgiques des générations précédentes. Je pense que c’est la liberté qu’inspirait cette musique qui me plaît.

J’ai lu, dans un média plutôt sérieux, que votre premier manager vous aurait choisi pour votre premier concert parce qu’il aimait bien vos chapeaux. C’est vrai ?

Ce sont vraiment des conneries (rires) ! Tu peux rayer cette question. Si je comprends bien, il pensait que notre musique était nulle mais comme il aimait bien nos chapeaux... Je la garde celle-là, je la ressortirais !

« Kooks », c'est une chanson de David Bowie sur Hunky Dory. L'avez-vous déjà rencontré ?

Non, j’attends toujours. Tout le monde veut rencontrer David Bowie !

Tu as écrit ton premier hit, Naive, à seize ans. Comment vit-on si jeune avec un tel succès ?

Je me sens assez fier de cela et en même temps, même si j’adore cette chanson, je sais qu’en tant que songwriter, ce n’est pas le titre qu’on aime entendre comme son plus gros succès. J’aurais préféré que le groupe se structure plus d’abord, mais tu ne peux pas contrôler cela une fois que le titre est devenu très connu ! Ensuite, il faut suivre le rythme. Et pour revenir à ce qu’on disait sur les 60s, une autre différence avec des groupes comme les Stones ou les Beatles, c’est qu’ils avaient un long futur devant eux pour encaisser leurs succès. Par exemple, pour les Stones qui ont débuté avec quelques albums qui n’ont pas été de très gros succès. Du coup, leur vrai succès est arrivé quand il le fallait, quand ils avaient presque vingt-cinq ans. Ils avaient la maturité pour apprécier cela. Au final, je ne suis pas certain d’avoir eu la meilleure attitude après Naive !

Signe des temps mais aussi culture de toute une génération, le téléchargement illégal est de plus en plus fréquent pour la musique. Les lois sont également de plus en plus dures pour gérer ce phénomène, quelle est ta position à ce sujet ?

Je n’ai pas de griefs particuliers contre ceux qui téléchargent, mais j’avoue que c’est facile pour moi de dire cela alors que nous avons eu la chance de vendre beaucoup d’albums. Si nous n’avions vendu que quelques milliers de disques, je serais peut-être un peu moins tolérant. Honnêtement, les gens font ce qu’ils veulent, de toute façon il sera difficile de les arrêter. Mais ce qui me met un peu hors de moi et que peu de personnes comprennent à ce sujet, c’est que certains groupes n’arrivent pas à se développer ou à survivre à cause du téléchargement illégal. Quand nous avons démarré, tous les artistes signaient pour un album et nous, par exemple, sommes partis en tournée pendant une année. En plus, le label nous payait pour cela ! Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, avec le web, on t’offre une vitrine, une exposition immatérielle pour tes titres et on attend de voir si tu as assez de clics pour te proposer d’enregistrer un disque ! Je crois que les autorités ont trop tardé et n’ont pas imposé ces lois quand il était encore temps. Il y a trop de compétitions entre les Majors et on nous met dans une situation où, plutôt que de contrôler les gens, les Majors ont laissé des adolescents s'emparer de la chose... ce qui est cool dans un sens car il n’y a jamais eu autant de fans qui écoutent de la musique, même comparé aux années de la British Invasion ! Mais maintenant ils voudraient pouvoir à nouveau tout maîtriser...

Vous êtes de Brigthon, comme beaucoup d’autres talents britanniques, comment expliques-tu que cette ville ait toujours vu naître autant de groupes si talentueux ?

Je ne sais pas... C’est une ville étudiante très sympa à vivre. C’est proche de Londres. As-tu déjà été à Brigthon ?

Oui, avec l’école pour des classes de découvertes ou un truc comme ça...

C’est exactement ça ! Il y a également beaucoup d’échanges entre étudiants de différents pays. Il y a pas mal d’écoles d’art dont deux collèges de musique. Et puis, c’est assez petit comme ville, vingt mille habitants je crois. Tu es obligé de connaître tout le monde. Quand on vivait là bas, on fréquentait déjà les Bat For Lashes, Johnny Flynn et autres groupes qui démarraient, comme nous.

C’est une ville qui mise beaucoup sur la culture pour ses concitoyens ?

Oui. Et puis c’est un peu une ville de hippie (rires) ! Très psychédélique comme ambiance. L’avantage et l’inconvénient des petites villes comparées aux trop grandes villes comme Londres ; dans l’une tu côtoies et connais presque tout le monde et dans l’autre tu peux avoir un peu d’anonymat... Mais pour moi, Londres c’est trop grand.

Un troisième album veut souvent dire quelque chose de différent pour un groupe. Et on a effectivement ressenti pas mal de pression sur nos épaules.

Un troisième album est toujours un tournant dans une carrière ; avez-vous ressenti plus de pression sur vos épaules pour Junk Of Heart ?

C’est une question intéressante parce que, comme tu le dis, un troisième album veut souvent dire quelque chose de différent pour un groupe. Et on a effectivement ressenti pas mal de pression sur nos épaules. C’est une des raisons pour lesquelles il nous a fallu trois ans pour sortir ce disque. Nous avions enregistré la moitié de l’album à New York, mais le résultat n’était pas à la hauteur. Cela nous a finalement ouvert les yeux et nous nous sommes dit que nous voulions faire quelque chose d’autre. C’est là que Tony Hoffer est à nouveau apparu ; il m’a dit « Dans quelle direction voulez-vous aller avec ce disque ? ». C'est là que j’ai réalisé que je voulais faire quelque chose de plus frais et moderne que les autres albums. Une fois que la ligne est tracée et que la création est en route, la pression retombe. Au final, nous n’avons peut-être pas ressenti tant de pression que ça.

Tony Hoffer, qui a produit vos disques jusqu'à maintenant, mais aussi Beck, Air ou Phoenix, est un des plus talentueux producteurs à l'heure actuelle. Je sais que tu as une relation spéciale avec lui et que tu l’appelles ton « George Martin » ! Comment vous êtes vous rencontrés ?

Nous nous sommes rencontrés suite à nos premières parties de The Thrills, à nos débuts. Je dois avouer que je n’étais pas très chaud à l’idée de travailler avec un producteur qui vivait à Los Angeles et qui, selon moi, était sûrement à des années lumières de notre musique, issue de Brighton en Angleterre. Pourtant, il m’a suffi d’un seul coup de fil pour que le déclic se fasse, instantanément ! Il est tellement talentueux et il sait si bien tirer le meilleur de chacun d’entre nous. Son intuition est également très grande. D’ailleurs, cette fois-ci, il est quasiment devenu le cinquième membre du groupe en s’impliquant personnellement dans le processus de création du disque. Il a créé des boucles de mes notes et de mes premières mesures, il m’a proposé des sons sur son ordinateur qui ne le quitte jamais... Je crois qu’il travaille de la sorte avec Beck. On a passé beaucoup de temps à parler de Beck justement et Tony m’a encouragé à aller chercher les racines, l’étymologie de ma musique, puis l’a mise en boucle dans son ordinateur pour en sortir quelque chose que vraiment nouveau. Il nous a ouvert un tout nouveau monde.

Finalement, ce sont vos différences, vos univers musicaux espacés d’un océan qui ont donné ce résultat ?

Il est venu de Los Angeles avec son portable. Je me suis assis à côté de lui et je lui ai fait écouter mes premières mesures, il les a entrées et échantillonnées et il nous a emmenés vers des expérimentations que nous n’aurions pas faites sans lui. Cela m’a entraîné sur de meilleures pistes et des chansons plus abouties.

Cet album n’est pas qu’une collection de titres les uns après les autres. Les textes sont tous connectés, littéralement.

Pour toi, quelle est la définition du titre, Junk Of The Heart ? Une sorte de voyage, de balade sentimentale ; bien plus que l’étaient les albums précédents ?

Oui. Cet album n’est pas qu’une collection de titres les uns après les autres. Les textes sont tous connectés, littéralement. J’aime bien ta définition de balade sentimentale, bien qu’il ne faille pas prendre cela trop sérieusement car c’est vraiment un disque qui s’est fait dans des conditions d’amusement et de plaisir. J’ai l’impression que certains groupes, aujourd’hui, ne jouent pas toute la mesure de leur talent et font des albums un peu bâclés dont seulement quelques bons titres surgissent. Nous voulions créer un album entier où chaque titre est aussi précieux que le précédent et possède une texture particulière. Ce sont toujours les Kooks, mais la progression est réelle et brille dans ce disque...

Ce disque semble inspiré par des sonorités plus américaines que les précédents, es-tu d’accord avec ça ?

C’est amusant parce que le journaliste qui t’a précédé pensait exactement... l’inverse !

Je devrais préciser : américain dans le sens musique des 60s, californienne de préférence...

Nous l’avons enregistré à Los Angeles avec Tony Hoffer donc, oui, notamment sur le premier titre, je suis plutôt d’accord avec ta remarque. Il y a un brin de nostalgie de l’american way of life de ces années-là, ou au moins de l’american way of playing music de ces années-là ! Et, encore une fois, cela vient en majorité de l’influence de Tony qui vit là-bas et côtoie les meilleurs musiciens californiens.

Le groupe a été remanié pour moitié depuis vos débuts, quel est ton ressenti sur le nouveau line-up ?

Tout se passe vraiment très bien avec cette nouvelle configuration du groupe. J’ai senti qu’il y avait beaucoup plus de cohésion dans ce nouvel album que pour les deux précédents. On était habitués à quelques tensions, quelques frictions entre nous et nous savions, au fond, que cela ne pourrait pas continuer ainsi. Mais il faut préciser que Paul, notre batteur originel, nous a rejoints pour l’enregistrement de cet album. Donc, il n’y a vraiment eu qu’un seul changement de musicien, avec Pete Denton. Il est génial comme bassiste et partenaire. Tout cela nous a mis en confiance et dans une ambiance décontractée. J’espère que nous ferons les autres albums de la même manière que celui-ci. Sans vouloir être désagréable avec qui que ce soit, c’est rafraîchissant pour un groupe d’avoir de nouveaux musiciens et d’autres qui partent faire un autre bout de chemin ailleurs. Cela ne nous empêche pas d’être de bons camarades, même après le départ d’anciens membres.

Dans vos chansons, vous avez expérimenté des styles comme le ska et le reggae, comme sur le titre Runaway. Ce sont des styles de musique que vous, ou que tu affectionnes personnellement ?

En fait, cela vient de l’influence du groupe Police que Paul adore. Son plus grand héros est sûrement Steward Copeland (ndlr : batteur du groupe Police) et, comme lui, il aime pêcher des sons et des rythmes inattendus qui vont du ska au reggae en passant par la bossa nova parfois. En ce qui me concerne, je suis fan de The Clash et de tout ce qu’ils ont amené à la musique en mélangeant le dub voire le rap – cette manière à eux de poser des paroles non chantées sur la musique – et le rock ; j’écoute également King Toby, j’ai pas mal de disques de dub aussi... le ska m’inspire un peu moins. J’admire Madness ou The Specials mais ce ne sont pas mes sources d’inspiration ou mes disques de chevet. Et, bien sûr, j’ai un respect immense pour Bob Marley, mais je me reconnais vraiment dans The Clash, Police et des trucs assez punky finalement.

Puisque tu parles de Paul Garred, votre batteur, comment va-t-il ? Est ce qu’il récupère de ses ennuis de santé ?

Il va mieux, probablement mieux que jamais. Il a eu de gros soucis avec un nerf du bras ; pour un batteur, c’est embêtant ! C’est terrible pour lui, ça lui a provoqué un blocage mental qui ressort à chaque fois que nous avons des concerts de prévu. Il ne veut plus assumer le fait de nous laisser tomber en route à cause de son bras. Mais je suis content pour lui car il a l’air de mieux le vivre et ce nouvel album auquel il a participé lui a vraiment redonné le goût de jouer.

Paul ne jouera donc plus avec vous sur les tournées ?

Non. Nous avons un nouveau batteur en tournée, Chris Prendergast.