logo SOV

Diagrams

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 28 janvier 2012

Bookmark and Share
18 novembre 2011 : ce soir, l’ancien membre de Tunng, Sam Genders, présente son nouveau projet au public Parisien, Diagrams. Pour cette première partie de Fujiya & Miyagi, à ses cotés, pas moins de huit musiciens sur scène interprétant un électro-folk généreux de grande qualité, avec orchestrations teintées de trombone, trompette et autres violons.

Convoqué pendant les balances de Diagrams, j’attrape Sam au vol et nous nous installons à une table de l’étage, devant un planteur bien assaisonné. C’est un garçon avenant à la sensibilité à fleur de peau que je découvre, une sensibilité que l’on retrouve dans sa musique et ses réponses, très réfléchies et étayées comme un titre des Pink Floyd. Tout le charme du musicien passionné et mesuré.

As-tu mis Tunng entre parenthèses pour de bon ou penses-tu revenir vers Tunng un jour ?

J’ai quitté Tunng il y a quelques temps déjà. C’était une formidable expérience mais il fallait que je tente quelque chose de nouveau. Je me suis donc mis en retrait à un tel point que je me suis retrouvé à travailler dans une école primaire, cela pendant presque trois ans. Ça peut paraître étrange mais j’avais vraiment besoin de naviguer dans un domaine totalement différent de la musique et j’ai appris beaucoup de choses au contact des enfants. J'étais un peu comme un poisson hors de l’eau au départ, cela m’a, sans aucun doute, redonné confiance dans la musique et en moi. J’ai donc recommencé à écrire et à réfléchir à ce projet.

J'ai lu qu’à la fin de votre collaboration, tu te sentais assez malheureux et en insécurité artistique avec Tunng. Sais-tu ce qui vous a mené à ce constat ?

Oui, c’est vrai. Pour différentes raisons, j’avais peur de mes faiblesses au sein du groupe et j’avais une idée de moi pas très reluisante. Je me sentais incapable. D’une certaine manière, Tunng était un refuge et une manière assez lâche pour moi de ne pas avoir à me mettre des coups de pied au cul ! C’était devenu trop facile en quelque sorte. Travailler dans cette école primaire a eu l’effet opposé sur moi. Pas une minute sans devoir prendre le dessus sur des situations pas toujours faciles. Il faut retrouver une confiance en soi sinon la vie devient vite ingérable. Bien sûr, je parle de mon expérience et de mon ressenti. Peut-être que d’autres personnes dans les mêmes situations trouveraient tout cela positif et d’autres encore plus négatif... Ce retrait de la musique pour faire totalement autre chose a sûrement sauvé ma carrière artistique, j’encourage les artistes qui seraient dans ma situation à essayer de faire tout à fait autre chose !

Tu dis que, parfois, les expériences les plus difficiles peuvent mener aux meilleures expériences dans une vie. Est-ce qu’un artiste à effectivement besoin d’être en dépression pour produire le meilleur de lui-même ?

Je n’en suis pas sûr mais le cas peut se présenter. Cela peut apporter de l’inspiration…comme toute expérience qui te permet de faire l’état de lieux de ton subconscient, cela peut déboucher sur de la créativité artistique. Sans être présomptueux, c’est vrai que toutes mes compositions sont nées d’un état de tristesse, de confusion ou de joie. Ce sont des états sentimentaux qui t’aident à trouver des métaphores ou des pistes originales pour parler de ce que tout un chacun ressent. Cependant, je doute qu’un grand artiste ait besoin de tel ou tel état d’esprit ou de sentiment pour écrire quelque chose de bon. C’est en lui...

Justement, comment l'idée de créer Diagrams est-elle née ?

L’idée de repartir en solo était en moi depuis longtemps. Full Time Hobby, le label de Tunng, m’a mis en contact avec un producteur, Mark Brydon, pour avancer sur le projet et des amis sont venus me rejoindre, petit à petit, pour jouer avec moi. Finalement, nous sommes neuf à jouer sur le disque et sur scène ; ce n’est donc plus vraiment un projet solo ! J’avais besoin d’un nouveau projet où je puisse expérimenter et me sentir libre de jouer ce que je veux. J’aime composer et écrire pour les autres mais Diagrams me permet d’aller bien au delà.

Tu as dit que la musique de Diagrams est moins lo-fi que celle de Tunng. Comment décrirais-tu le style de Diagrams ?

C’est ma vision des choses. Cela vient du fait que nous avons pu obtenir un son très précis à l’enregistrement. Chaque son est placé là où il doit l’être et notre ingénieur et notre producteur ont ce talent particulier pour faire une musique très carrée. Avec Tunng, les portes étaient un peu plus ouvertes et nous nous permettions une certaine improvisation. Nous n’étions pas contre un son volontairement sali. A contrario, dans cet album, on entend rapidement que tout est très carré et même anguleux, comme un diagramme. Le style et le travail de Mark Brydon, notre producteur, sont vraiment clairs et propres. En ce sens, le nom Diagrams colle parfaitement avec la musique que nous jouons.

Ton premier single, Night & Night, est offert sur Internet. Penses-tu que les téléchargements et Internet en général sont une menace pour les petites formations ou, au contraire, une chance de se faire connaître ?

Je crois que c’est un peu des deux en même temps. On ne peut aller contre Internet et ses méthodes, mais on peut, peut-être, éduquer les gens. D’un autre coté, quand tu es un petit groupe encore méconnu et que tu ne vends pas encore beaucoup de disques, comme nous, ça peut être un danger. Mais, je préfère tout de même que les gens écoutent et pourquoi pas téléchargent notre musique sur Internet afin de les faire venir aux concerts et, au final, leur donner envie d’acheter le disque dont la qualité est encore bien supérieure au téléchargement, sans parler du livret et autres artwork, plutôt qu’interdire le téléchargement. Tu peux échanger avec le monde entier, faire découvrir une musique et, finalement, assurer une promotion que tu n’aurais jamais pu te payer. De nos jours, on se plaint que la musique ne fait plus gagner des millions de livres sterling aux artistes mais cela n’a jamais été mon but !

Justement, je crois savoir que tu as organisé un concours sur Internet pour le scénario du premier clip de Diagrams. Les gagnants, Mathy & Fran qui ont réalisé la vidéo, très eco-friendly, de Night & Night sont-ils des professionnels ?

Ils sont en passe de le devenir. Night & Night est le premier vidéo clip qu’ils réalisaient. Ils sont enthousiastes, motivés et ont vite compris l’esprit que nous voulions retranscrire dans ce titre. Ils vont même réaliser notre prochain clip !

Dans le titre Antelope, tu parles d’une jeune fille avec des fourmis sous la peau qui envoient des messages à son esprit. Te sens-tu proche de la nature et de l’environnement ou était-ce une métaphore ?

Proche de la nature ? Cela va sans dire ! J’aime aussi la métaphore du texte qui reprend l’idée que, parfois, quand tu croises quelqu’un, tu ressens des choses qui agitent ton cerveau et qui semblent envoyées par une armée d’insectes sous ta peau ! J’aime utiliser des images, parfois surréalistes, pour parler des sentiments et des choses de la vie.

À Paris, le magasin Colette a décrit ta musique comme de la « Pop Chorale ». Que penses-tu de cette définition ?

J’aime beaucoup ce terme et je pense que c’est bien trouvé ! J’adore la chorale et l’Opéra ; le Gloria de Vivaldi et le Requiem de Faure, par exemple, sont deux de mes opéras favoris. Je pense que mon amour pour les harmonies vocales vient de là. Tu en retrouves d’ailleurs sur notre album.

En parlant d'art, qui est en charge de tes artworks ?

Chrissie Abbott. J’ai pu voir certains de ses travaux il y a quelques années mais je n’avais pas pu trouver ses coordonnées pour lui proposer de travailler sur Tunng. Ce qui est marrant, c’est que quand j’ai signé avec Full Time Hobby, ils m’ont proposé une artiste pour la pochette du disque et il s’avère que c’était Chrissie Abbott ! J’étais donc très heureux de la retrouver pour Diagrams.

Comment as-tu rencontré le label Full Time Hobby ?

Ils ont été à l’origine des disques de Tunng et The Accidental, mon groupe précédent. Ils ont tout de suite donné leur accord pour étudier le nouveau projet que je portais après mon break de quelques années. Je les remercie vivement de la confiance qu’ils me portent depuis tout ce temps.

Que ce soit avec Tunng ou Diagrams, l’orchestration et la production sont toujours des éléments très importants pour toi. Comment construis-tu tes compositions ? Penses-tu d’abord au texte ou à la musique ?

Je pense qu’il n’y a pas de constructions idéales. Cela dépend d’un tas de facteurs mais il est vrai que depuis longtemps j’ai un petit rituel qui se compose de la sorte : Je pose quelques accords à la guitare, je les joue et les rejoue et les améliore en chantonnant par-dessus. Ensuite, je place quelques mots et phrases sur les mélodies jusqu’à ce qu’un sens se dégage et que je trouve les bonnes paroles suivant la direction du titre. Je les écris noir sur blanc puis, il me vient des idées d’harmonies et d’instrumentations. Je rentre donc le plus rapidement possible en studio pour écrire tout ça et jouer avec les différentes couches d’instruments et les machines qui me permettent cela.

Tu as invité Hannah Peel sur cet album. Comment as-tu rencontré celle qui a transformé les éternels Blue Monday de New Order ou Tainted Love d’Ed Cobb en folk ultra minimalistes à l’aide de sa seule music box ?

Je l’ai rencontrée quand elle est venue jouer avec Tunng au Forum, à Londres l’année dernière. Je les avais rejoints exceptionnellement pour jouer Bullets et Jenny Again, et elle était elle aussi invitée. C’est une artiste multi-facettes et multi-instrumentaliste vraiment brillante. Je lui ai alors demandé si elle accepterait de jouer du violon et du trombone et de faire quelques vocalises sur l'EP que nous étions en train de réaliser. Et elle a accepté !

A l'image par exemple de Metronomy, Hot Chip, Tunng ou même... Diagrams, de plus en plus d'artistes vers une pop un peu intello, pourquoi d’après toi ?

Je ne suis pas sûr. Peut-être que notre époque nous offre la possibilité, pour quelques centaines de livres sterling, d’acheter un portable et quelques bons logiciels de musique qui permettent d’obtenir des sons intéressants. Ensuite, c’est une autre affaire que de les mettre ensemble et d’écrire des chansons. C’est une époque géniale car elle te permet de t’inspirer de décennies de musiques passées et d’en faire des titres synthétiques réinterprétés et donc ré-intellectualisés par leurs auteurs. Ce qui m’étonne le plus, c’est qu’il n’y ait pas plus de groupes Anglais qui évoluent dans la pop intello !