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Wallis Bird

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 5 avril 2012

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Wallis Bird pourrait évoquer le nom d’un oiseau rare vivant dans une forêt sauvage et primaire. Depuis 2006, cette musicienne dont l’album éponyme est sorti il y a peu fait bien figure d’oiseau rare du folk rock Anglais, ou plutôt Irlandais.
Tombée dans la marmite à peine venue au monde et élevée à la graine d’anarchiste et au-dessus du bar à gogo danseuses de son DJ de père, Wallis Bird est une synthèse des racines où le blues chanté par un peuple opprimé s’appelait le folk. Humaniste dans l’âme, le cœur sur la main et n’imaginant pas une seule seconde un concert durant lequel la communion ne serait pas totale avec son public, Wallis Bird joue sa musique comme si c’était son dernier souffle. Sans jamais tricher, ni dans ses paroles, ni dans ses compositions.

Wallis Bird, est-ce ton vrai nom ou un nom de scène ?

Je suis née Wallis Bird ! Curieux et fortuné pour une fille qui a choisi de devenir artiste, non ?

Ton dernier album, éponyme, a été enregistré dans trois villes et trois studios. Comment et pourquoi ces choix de lieux différents pour un seul album ?

Je voulais obtenir le plus de diversités sonores possibles. Je voulais sortir de mon confort et des endroits où je me sentais en confiance pour aller vers des contrées géographiques et sonores nouvelles. Ce disque est une revue de différents points de vue de la société d’aujourd’hui et il me fallait donc enregistrer dans plusieurs lieux pour m’inspirer plusieurs humeurs. J’ai d’abord expérimenté le silence total en Irlande, au milieu de nulle part où je méditais presque tous les jours et où j’ai appris à écouter le silence et l’espace. Après cela, je suis allé à Brixton, là où je vis. Je suis passé du silence complet au bruit de la ville le plus angoissant ; les sirènes de la police qui atteignent un tel niveau sonore que tu penses que tu vas devenir sourd ; des émeutes, des bagarres... je suis tombée en pleines émeutes anglaises de l’année dernière ! C'était très angoissant. Deux expériences d’introspection très intéressantes pour la partie musicale. Pour les paroles, j’ai voulu mettre en exergue l’état actuel de l’Angleterre, de l’Europe, du monde, mais aussi de la politique, de l’environnement, ce, notamment, lors d’une rencontre avec un prêtre en Irlande ou pendant un voyage à Berlin avec des politiciens issus de l’ancien bloc communiste.

Tu vis à Brixton, dans la banlieue de Londres. Un quartier connu pour le titre des Clash, les émeutes des années 80s et, plus récemment, pour d’autres émeutes, en 2011. Est-ce vraiment une banlieue difficile à vivre ?

Moi je la trouve très plaisante à vivre. Bien sûr, ce n’est pas un quartier résidentiel propret mais je déteste vivre dans les quartiers riches, c’est ennuyeux à mourir ! La vie n’est pas facile car même là-bas les loyers sont élevés et, si tu squattes, tu es considéré comme un criminel ou presque en Angleterre. Il y a un mélange de cultures très intéressant : il y a des riches qui viennent y vivre parce que c’est moins cher qu’ailleurs mais qui ne se mélangent pas à la population historique de ce quartier, des artistes vraiment maudits qui galèrent pour survivre... Paradoxalement, il a fallu que je déménage dans l’est de Londres il n’y a pas longtemps pour me faire agresser pour la première fois alors qu’à Brixton, il m’est arrivé de rentrer parfois complètement saoule, en pleine nuit et il ne m’est jamais rien arrivé !

Tu es une talentueuse guitariste, gauchère et qui joue d’une manière unique. D’où vient cette particularité ?

Quand j’étais bébé, je suis tombée sur une tondeuse à gazon et j’ai eu cinq doigts de coupés. Quatre ont pu être recousus et, depuis, j’ai appris à jouer sur une guitare de droitier mais je la prends à l’envers ! Pour moi c’est une bonne méthode qui me permet d’avoir les cordes les plus aiguës en premier pour descendre jusqu’aux plus graves, contrairement à la majorité des guitaristes. J’ai l’impression d’avoir plus de liberté sur les cordes et de pouvoir jouer plus de tonalités. Mes doigts, depuis mon accident, ont besoin de bouger sans cesse. J’ai le syndrome du joueur de Flamenco ! C’est ce que je fais sur ma guitare et c’est pour cela que je tape dessus aussi si facilement. J’écris toutes mes chansons sur ma guitare qui prend la place de tous les autres instruments, y compris le rythme que je tape avec un doigt sur le bois.

Tu n’as pas encore trente ans et tu es encore une jeune artiste. Penses-tu que les années influent le style et les paroles d’un musicien ?

C’est obligatoire ! Le contraire serait anormal. Tu deviens plus sage ou moins sage, suivant ta vie passée... Tu veux plus ou moins de confort. Ce que je sais maintenant, c’est ce que je ne veux surtout pas. Je ne sais toujours pas ce que je veux par contre ! Toutes les relations, les amis ou la famille que tu gagnes ou tu perds pendant ta vie à cause des décès ou des départs, voire des désaccords, tout cela influe sur ma musique au cours des années.

Quand as-tu commencé la musique ?

Pour être honnête, j’ai toujours joué de la musique. On m’a donné une guitare à ma naissance ! Mon grand père était musicien, il était assez connu dans sa petite ville pour ses écrits et ses chansons anarchistes. Il ne m’a pas influencée dans ce sens, mais m’a donné le goût de la musique et de l’écriture. Mon père était un DJ, avec go go dancers et tout ce qui va avec ! Nous avions un bar où il passait sa musique et où de grosses fêtes se déroulaient. Une famille très spéciale mais des souvenirs très agréables.

Comment perçois-tu la vie d'artiste à l'ère du numérique, avec les polémiques sur le téléchargement illégal ?

Il y a trop de pub faite pour Youtube ou Megaupload. Certains artistes peuvent tout mettre, tout investir dans un titre ou un album et, grâce à Internet, ces musiques peuvent être écoutées ou téléchargées des millions de fois... mais les artistes ne vont recevoir que des miettes en échange ! Je connais un artiste qui a vu son titre écouté plus de quatre millions de fois sur Youtube et qui a reçu 1,60£ en redevances ! Bien sûr, Internet a changé le monde et la manière de se faire connaître pour les artistes mais il faut penser en amont à comment rémunérer ces personnes plutôt que de pousser toujours plus loin les lois contre ceux qui téléchargeront toujours de toute façon. Il faut plus de plate-formes pour échanger quelque chose de plus concret qu’un simple bouton Play. L’année dernière, nous avons essayé de mettre en route un site Internet qui proposait un mini-site par titre pour proposer plus que l’écoute sur une plate-forme générale mais personne n’a voulu suivre car c’était trop compliqué en termes de multiplicité de plate-forme pour les maisons de disque. Le principal problème, c’est que les petits labels n’arrivent pas à survivre en ce moment. Mais l’argent est toujours là, sauf qu’il est dans Internet maintenant. Il faudrait donc que les plates-formes comme Deezer, Spotify ou Youtube se mettent à rencontrer les artistes pour leur demander leurs avis et conseils avant de mettre en route de nouveaux services de téléchargement.

Depuis que tu es connue, tu es apparue avec les cheveux blonds ou bruns, différentes coupe de cheveux ou styles vestimentaires, très sages ou sauvages...Pour toi, l’habit fait le moine ?

Absolument ! Je crois que nous jouons tous à ce jeu-là et j’adore ça parce que, parfois, tu peux tellement être trompé par un look ou un style... Je joue avec les identités et c’est ce qui fait mon identité. Je suis une artiste donc un peu comédienne sur scène et sur mes pochettes de disque. Sur ce troisième album, j’ai mis ma tête en gros plan et je n’aurais jamais cru cela possible à cause de l’égo qui ne m’habite pas, ou rarement... Mais, pour moi, je ne suis ni une femme, ni un homme, ni blanche, ni noire. Je veux juste être entendue ou connue pour ma musique. C’est peut-être pour cela que je joue si facilement avec les identités au cours des années.

Passé le premier album, la confirmation est souvent difficile en raison de l’existence d’un public et donc d’attentes. As-tu ressenti cela pour Wallis Bird, ton troisième disque ?

Enregistrer un premier disque a été comme un rêve pour moi. Je n’ai pas vraiment réfléchi à ce que je faisais et, un jour, je me suis retrouvée avec un album de prêt ! Le deuxième a été bien plus difficile pour moi. La pression de la maison de disques que je n’avais pas au départ et qui imposait d’écrire un « tube » et tout le business qui peut influencer ta construction de l’album. Pour Wallis Bird, je me suis dit que j’allais faire ce que je ressentais, sans pression et que si la vie s’arrêtait pour moi demain, j’aurais fait le disque dont j’ai toujours rêvé. C’est le genre d’album qui me rend heureuse de partir pendant des mois en tournée pour jouer ses chansons. Et le plus agréable, c’est qu’il a été assez facile pour moi à écrire et composer.

Le troisième album est donc l’album de la maturité pour un artiste ?

Oui, je le crois. C’est bien de penser qu’avec l’âge je prends plus plaisir à faire les choses. On fait tous des erreurs dont on apprend mais, parfois, il est positif de laisser ces erreurs en place pour proposer une œuvre artistique plus vraie !

Sur ce disque, un titre comme Polarise nous fait faire un voyage dans la nature et révèle à la fois douceur et folie dans sa construction. Ce serait une bonne définition à tes yeux pour décrire ta musique ?

Douceur et folie ? C’est charmant. Ma vie est douceur et folie. Je suis assez contradictoire en fait. J’aime l’amour, mais j’aime la folie également. C’est une très bonne définition.

Le style qu’on te connaît est très présent dans Wallis Bird, excepté peut-être sur un titre comme Encore qui sonne bien plus électro pop que le reste du disque. Vas-tu utiliser plus de machines en live maintenant ?

À propos d’Encore, j’avais cette idée de rythme très hypnotique et répétitif (elle tape sur la table avec ses doigts) car c’est quelque chose qui me donne envie de danser. J’adore l’électronique à titre personnel et je l’aime encore plus jouée avec de vrais instruments. J’ai toujours écouté Kraftwerk ou Devo. Nous vivons maintenant dans un environnement informatisé. Mais je doute que les ordinateurs sachent chanter, c’est pour cela que je n’en utilise pas.

Tu as déclaré que Paul Simon et Tom Waits étaient deux grandes influences pour toi. Ressens-tu des affinités musicales avec des groupes plus récents ?

Je crois que je me sens plus proche des artistes d’aujourd’hui que de ceux d’hier. A un moment donné, vers vingt-cinq ans, je me suis aperçue que j’avais vraiment été influencée par des artistes bien plus anciens comme Tom Waits par exemple. Mais, comme pour les Beatles, ce sont des personnes qui sont constamment là, qui font partie de la vie de tous et on ne s’aperçoit même plus qu’elles sont des influences pour nous. Ce nouveau disque a vraiment été marqué par des artistes récents comme ce génial Villagers ou Anaïs Mitchell. Tous ces nouveaux artistes, les voyages et les rencontres culturelles... tout cela est une influence pour moi.

L’Irlande a toujours produit des artistes très engagés, des artistes qui essaient de rester loin du business, au moins à leurs débuts. Penses-tu que cela a à voir avec le passé de l’Irlande, ses relations avec l’Angleterre et sa politique ?

En grande partie, oui. Nous avons eu beaucoup de tristesse dans notre histoire récente. L’oppression Anglaise nous a poussés à nous évader, que ce soit par l’alcool ou par la créativité... ou par les deux conjugués ! Notre éducation a été quasiment éliminée et notre langue presque perdue quand, au XIXème siècle, nous avons été obligés d’apprendre l’Anglais sous peine de prison ou pire. Pour sortir la tête de l’eau, les Irlandais ont dû faire preuve de plus de créativité que les autres. L’Irlande étant un tout petit pays, les groupes comme U2, Rory Gallagher ou Thin Lizzy et l’industrie musicale d’Irlande n’étaient pas très bien connus internationalement au départ. Ils ont débuté comme des artistes locaux et ont continué un bout de temps de la sorte, gardant toute liberté créative et jouant plus pour leur pays d’origine que pour plaire au monde entier.

Tu es une musicienne très enthousiaste, très communicatrice sur scène. Il semble que tu aimes partager bien plus que ta musique avec ton public. Qu’essaies-tu de partager précisément ?

Tout ! Je ne veux pas être un simple concert. Je veux être une plate-forme pour une communauté d’idées, d’expressions, de colère, de vérité, d’amour. Quand je joue, il n’y a pas de murs entre le public et moi. Pas de toit, non plus. Récemment, je suis descendu de scène pour aller chanter quelques titres dans le public, avec eux. C’était très beau et tellement intime. Je vais aux concerts des autres très souvent et, quand j’y suis, j’aime faire partie d’un groupe global et que l'artiste sur scène soit aussi heureux de nous avoir dans la salle que nous de les avoir devant lui. C’est à double sens.

Tu viens de jouer à Dublin avec Rodrigo Y Gabriela. Comment les as-tu rencontrés ?

Ça a démarré en octobre 2009. Depuis, nous avons joué quarante-trois concerts ensemble. Nous avons tourné dans toute l’Europe entre 2010 et 2011. Mon dernier concert avec eux était dimanche dernier et nous rejouons ensemble vendredi prochain. J’ai donc passé les dernières années entre mes tournées et celles avec Rodrigo Y Gabriela. Être un groupe de joueurs de guitares – et ils sont des virtuoses – m’a beaucoup appris et je ne veux surtout pas m’arrêter de tourner avec eux.

Tu as joué à Rock en Seine en 2010, Le Monde avait d’ailleurs fait un éloge sur ton concert, as-tu déjà des dates de prévues pour les festivals de cet été ?

Normalement, les booking viennent en avril ou mai et nous avons généralement une vingtaine de demandes pour l’été. Je vais également jouer pour la fête de la musique à Clermont-Ferrand. Pour être honnête, la France est plutôt une nouvelle contrée pour moi, je n’y ai joué que cinq ou six fois. L’année dernière, nous avons plutôt privilégié les petits festivals. Dans les gros, tu joues à 17h, sur une petite scène et pour trente minutes maximum. Beaucoup de mes amis qui ont fait Glastonbury ou d’autres gros évènements de l’été ont parfois été déçus de leur courte prestation. Trop d’artistes connus, trop de business. Dans les festivals indépendants, tu as le temps de communier avec le public et d’installer une intimité avec eux. J’ai joué devant des dizaines de milliers de personnes et c’est quelque chose d’excitant mais quand tu es invité dans des festivals indépendants, tu as l’occasion de rencontrer les organisateurs, de voir toute l’énergie qu’ils mettent dans leur travail et d’avoir le sentiment de faire partie d’une famille pour quelques heures. C’est souvent l’occasion de faire vivre des petits labels en plus. Les grosses machines sponsorisées par la bière chose ou le soda truc, ce n’est pas mon truc !

Quand tu pars en tournée, emmènes-tu des porte-bonheur avec toi ?

Oui... Je prends des photos avec moi. J’emmène le moins de vêtements possible pour que j’en collectionne tout au long de ma tournée. Je les emprunte généralement (rires). J’avais l’habitude de prendre des cuillères avec moi, c’est pour cela que j’ai appelé mon premier album Spoons d’ailleurs ! Quand je voyage, si je m’arrête dans un café que j’ai aimé, je vole une cuillère qui me rappellera ce joli moment passé dans une ville qui n’est pas la mienne. Pour cette tournée, j’aimerais collectionner les livres que les gens que je vais rencontrer me donneront ou prêteront.

Y a-t-il un rêve de musicienne que tu n’as pas encore réalisé ? Si oui, lequel ?

Bonne question... Je crois que j’ai été très chanceuse, j’ai réalisé déjà des choses qui me rendent très heureuse. Je me sentirais très égoïste de demander encore plus. Je crois que tout ce que je veux c’est voyager plus pour jouer plus, dans différents pays avec différentes cultures dans le public.