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Interview publiée par Amandine le 2 juillet 2012

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C'est à l'occasion de la sortie de leur deuxième album que BEAK>, side-project, antre autres, de Geoff Barrow (Portishead), étaient de retour à Paris pour un concert intime à la Mécanique Ondulatoire. L'occasion pour nous de discuter avec Billy Fuller de leur vision de la musique, du concept de rock régressif et d'un amour immodéré pour la musique improvisée.

Vous êtes tous issus d'Invada Records (ndlr : maison de disques de Geoff Barrow), vous êtes-vous rencontrés là-bas ou vous connaissiez-vous avant ?

Nous nous connaissions déjà tous plus ou moins avant de monter BEAK> mais pas tant que ça. Geoff a créé Invada Records, comme tu le sais. Moi, je faisais partie d'un groupe appelé Fuzz Against Junk, qui n'existe plus mais qui était aussi signé sur Invada et Matt jouait en solo sous le pseudo de Team Brick qui n'existe plus non plus aujourd'hui. Donc oui, nous nous croisions sans vraiment nous connaître plus que ça. Chaque année, à la période de Noël, Invada fait une petite sauterie où tous les artistes du label se retrouvent ; c'est l'Acid Test. Nous avons fait un jam ensemble, quelque chose qui n'était pas du tout prévu, du style « Hey ! Si on essayait de jouer un truc nouveau tous les trois ?! » et nous avons vraiment aimé jouer ensemble mais nous n'avions pas dans l'idée de démarrer un nouveau projet pour autant. Nous avons tellement aimé qu'au bout d'un moment, nous avons pensé que c'était un peu bête de ne pas tenter de monter un groupe.

Vous avez tous des emplois du temps très remplis car tous trois travaillez sur différents projets. Comment réussissez-vous à trouver du temps pour composer et jouer ensemble, notamment avec Geoff qui, à côté de Portishead, semble ne jamais vouloir s'arrêter de travailler ?

Ça fait maintenant trois ans que nous travaillons sur BEAK>. Je suis père depuis quelque temps et ça a rendu les choses encore plus difficiles. J'ai aussi une partie de ma vie qui me permet d'avoir un revenu fixe, notamment pour payer les factures et permettre de faire vivre ma famille donc à côté je travaille, je fais des sessions et nous avons BEAK> qui nous prend pas mal de temps. C'est beaucoup mais j'aime ça et, pour le moment, on réussit tous à gérer. De toute façon, la vie d'un musicien est souvent impossible mais tout est une histoire d'organisation et il faut tout noter dans l'agenda. J'ai l'impression que ma vie est fait d'une multitude de petits morceaux de papier.

Penses-tu que vos projets antérieurs apportent quelque chose de particulier à BEAK> ?

Je pense qu'inévitablement, que nous le voulions ou non, ce que nous avons déjà pu faire influence ce que nous faisons aujourd'hui. Je ne parlerai pas au nom des autres mais, pour ma part, c'est certain.

Matt a dit en interview à propos de BEAK> que votre musique est du rock régressif. Pourrais-tu m'expliquer un peu ce concept ?

Maintenant, quand tu écoutes de la musique ou que tu l'entends à la radio, que ce soit du rock, de l'indie ou du reggae, c'est toujours très travaillé, il y a beaucoup de post-production, de grosses basses et, surtout, il n'y a plus de place pour les erreurs, ce qui a toujours fait la chaleur de la musique. La technologie et les ordinateurs sont là pour corriger ce qui ne va pas et le résultat est, à notre goût, très lisse et trop consensuel. Tout doit être à sa place, rien ne doit trop bouger et tout suffoque et meurt au moment même où ça naît, c'est très triste. Donc oui, nous, nous sommes dans la démarche inverse : être dans une seule pièce pour enregistrer et ne pas isoler les instruments, faire de la composition instantanée qui relève presque de l'improvisation. Nous n'arrivons pas en studio en disant « Allez les mecs, faisons ce qu'on a prévu ! ».

Est-ce aussi le cas pour ce deuxième album ou avez plus travaillé ?

Oui, nous avons enregistré exactement de la même manière : live dans une même pièce, nous trois, à l'ancienne. Nous procédons toujours sur le principe du jam, nous n'avons jamais de morceaux déjà écrits avant l'enregistrement d'un album. La grande différence entre nos deux disques, c'est le temps que ça nous a pris pour enregistrer. Le premier a été bouclé en douze jours tandis que celui-là a pris bien plus de temps. Ceci est probablement du au fait que nous nous connaissons bien mieux maintenant. Et puis nous avons beaucoup été en tournée dans des lieux prestigieux et ça a été compliqué de revenir en studio après tout ça.

Le fait que, désormais, vous vous connaissez bien, a-il changé votre façon de travailler ?

Complètement. Pour notre premier album, nous ne nous connaissions pratiquement pas donc nous étions toujours très polis et nos rapports étaient courtois. A contrario, là, tu sais comment c'est quand tu es à l'aise avec quelqu'un, si un truc ne te plait pas, tu n'as aucun mal à le dire (rires) ! Tout ça a donc ralenti le processus de travail mais c'était très intéressant.

Peux-tu nous parler un peu de la genèse de cet album ? Aviez-vous déjà quelques idée en entrant en studio ?

Non. Encore une fois, tout est de l'improvisation. Nous nous sommes rendu compte que ça avait bien fonctionné pour le premier album donc nous avons réitéré l'aventure.

Et avez-vous procédé à beaucoup de travail de post-production ou avez-vous préféré garder le naturel de vos enregistrements en ne les retouchant pas trop ?

Ce serait mentir que de dire que nous n'avons pas utilisé d'ordinateurs mais nous aimons nous brancher et voir ce qui se passe.

Vu cette façon de procéder, le live est-il plus important pour vous qu'il ne peut l'être pour d'autres groupes ?/

Je ne sais pas. L'expérience du live est quelque chose de très introspectif. Personnellement, je n'aime pas beaucoup aller voir des groupes en live, même si, de temps en temps, j'apprécie de le faire.

Lorsque vous êtes sur scène, recréez-vous cette musique d'improvisation que vous avez enregistré en studio ?

Je dirais plutôt qu'on la développe. Quand on enregistre un album, les morceaux sont très frais donc nous ne sommes pas aussi à l'aise avec eux que nous ne pourrions l'être en fin de tournée par exemple. Là, c'est seulement notre troisième concert où nous jouons ces nouveaux morceaux et c'est une sorte de découverte pour nous. Beaucoup de titres sont encore très proches des versions studio mais avec le temps, on va de plus en plus s'en éloigner et ce travail est très intéressant.

Néanmoins, on peut penser que cette tournée sera différente de la précédente puisque vous avez tout de même beaucoup joué ensemble ?

Oui, même sur les nouveaux morceaux, ces trois dernières années passées ensemble changent beaucoup de choses sur nos prestations live.

Qu'en est-il du songwriting ? J'avais lu que pour votre premier album, il n'était pas perçu comme quelque chose d'important. C'était la même chose cette fois-ci ?

Oui... En fait, je ne parlerais même pas de songwriting. Ce sont juste des morceaux de musique. Mais c'était la même chose pour cet album. Beaucoup de personnes pensent que les parties vocales sont plus structurées mais c'est peut-être juste que le chant de Geoff est plus mis en avant que précédemment.

Je trouve votre démarche artistique très proche de celle des surréalistes : vous voulez garder la spontanéité de la créativité et de l'inspiration sans la retravailler...

C'est tout à fait vrai pour les albums mais on ne peut pas véritablement dire que ce le soit pour les concerts car une fois cette créativité posée sur un disque, nous l'emmenons sur la route et nous jouons donc des compositions déjà écrites, c'est un peu différent, même si ça reste un travail de créativité.

J'ai vu Om jouer en live il y a quelques semaines...

Comment vont tes oreilles ? Parce qu'ils jouent super fort, c'est incroyable !

J'avais prévu tout ça donc pas de problème. Je trouve qu'il y a beaucoup de similitudes entre vos deux musiques, notamment cet aspect très spirituel qui émane de tout ce que vous faîtes...

C'est un très grand compliment que tu me fais là car j'adore Om, notamment les deux premiers albums. C'est un groupe formidable. Je crois que ce qui nous rapproche, c'est que nous n'avons rien de prémédité dans notre façon de faire de la musique. Notre approche est innocente et passionnée et, surtout, nous essayons de ne pas faire du blues car c'est tout de même devenu une musique très ennuyeuse, il suffit d'écouter Eric Clapton par exemple. J'ai du mal à comprendre cet engouement à refaire toujours et encore la même chose. J'aime beaucoup de groupes qui se développent en ce moment mais ce n'est pas pour autant que j'essaie de les singer. Nous tentons au contraire de chercher la nouveauté et de retrouver la quintessence du blues, le vrai. Même si j'ai toujours adoré ce que faisaient At The Drive-In, je n'essaie pas de le reproduire, ce serait stupide ! Et pourtant, j'ai l'impression que de nos jours, tout le monde reproduit ses modèles.

Et comment décrirais-tu ce nouvel album ? Je le trouve personnellement très différent du précédent...

C'est difficile pour moi de décrire notre musique. C'est juste très représentatif de l'état d'esprit dans lequel nous étions quand nous étions enregistré et je trouve qu'il sonne très bien.

Vous aviez commercialisé une superbe box collector pour le premier album. Avez-vous l'intention de refaire quelque chose du même acabit ?

Pas exactement. Nous avons enregistré beaucoup de chansons pour cet album : dix sont présentes sur le disque mais nous en avons dix autres de côté. En conséquence, nous allons probablement faire un double disque mais en CD cette fois-ci et il y aura également un vinyle avec deux chansons bonus.