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Bastille

Interview publiée par Maxime Canneva le 29 avril 2013

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Encore peu connus du grand public il y a encore trois mois, Bastille ont littéralement explosé sur le devant de la scène anglo-saxonne après la sortie de leur premier effort Bad Blood en mars dernier. Un succès retentissant dont l’écho s’est fait ressentir à travers toute l’Europe notamment grâce à une tournée à guichets fermés entre la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suisse et la France. C’est donc dans la bonne humeur et dans une ambiance détendue que nous retrouvons les quatre comparses de Bastille, toujours très modestes face à leur réussite, au lendemain de leur concert sold-out à la Flèche d’Or. L’occasion pour nous de faire le point sur cette tournée qui s’achève, l’enregistrement de leur album et les réjouissances à venir.

Depuis que votre album est sorti vous caracolez en tête des charts. Le clip de votre single Pompeii a été vu quinze millions de fois sur le net. Comment gérez-vous ce succès assez soudain ?

Dan : Je pense qu’on fait en sorte de l’ignorer ! (rires) C’est marrant de s’entendre dire des choses de ce type.
Chris : Ca nous semble irréel.
Dan : On s’est contentés de faire des tournées, jouer plusieurs concerts, voyager et passer du temps ensemble. On n’a pas vraiment eu le temps de prendre du recul et d’apprécier les réactions des gens.
Chris : Ce qui est bon pour nous je pense : être occupés nous permet de rester concentrés.
Dan : On se projette dans l’année à venir et on voit que notre emploi du temps est rempli, à faire des concerts et voyager, ce qui est vraiment très stimulant. Mais, au final, je crois que oui, on se contente d’ignorer le succès ! (rires) Et même d’être dans le déni !

Vous allez aussi jouer en première partie de Muse dans les stades le mois prochain. A quand votre propre tournée des stades ?

Tous : Jamais !
Chris : Moi j’aime les stades. Je suis l’ambitieux du groupe !
Dan : Je crois qu’on aime tous pouvoir voir le public, on vient juste de faire nos plus gros concerts à Londres au Shepherd's Bush Empire avec environ deux mille personnes. J’aime voir les personnes dans le public, je pense que ça fait une énorme différence concernant le concert. Pour autant, je ne pense pas qu’on sera un jour aussi énormes, ou même qu’on veuille être aussi énormes que Muse. Néanmoins jouer avec eux va être une expérience incroyable, très intéressante à vivre de l’intérieur. On a fait une tournée avec les Two Door Cinema Club en janvier dernier, c’était la plus grosse tournée qu’on n’ait jamais faite et on a déjà apprécié de faire de plus grosses salles, mais avec Muse, ça va juste être énorme.
Chris : J’espère également qu’on pourra apprendre quelques trucs en les observant évoluer sur scène, car jusqu’à présent on n’a pas fait tant de grosses scènes que ça.

Et justement, par rapport à des gros évènements que vous avez pu faire comme Glastonbury ou Reading, préférez-vous faire des concerts à taille plus humaine comme celui d’hier ?

Kyle : Cela dépend du concert. Tu peux jouer sur de grosses scènes tout en restant dans une ambiance assez intime, comme ça a été le cas par exemple à la O2 Academy de Bristol, ça dépend principalement du public je pense.
Chris : Ce sont deux choses complètement différentes. Je ne préfère pas spécialement l’une ou l’autre, c’est bien d’arriver à faire un mélange des deux comme nous le faisons actuellement, entre de plus petites scènes en Europe et de gros festivals en Angleterre. Tant que nous ne sommes pas encore trop connus c’est bien de pouvoir faire un peu des deux.

A propos du concert d’hier, il était complet depuis maintenant plusieurs semaines, et c’était votre première fois en tant que tête d’affiche en France. D’un point de vue assez personnel j’ai trouvé que vous étiez à la fois ravis d’être là mais en même temps très concentrés, voire un peu stressés. Quel a été votre propre ressenti par rapport à ce concert ?

Dan : On a surtout eu chaud et bien transpiré ! (rires) (Ndlr : La climatisation de la Flèche d’Or avait effectivement du tomber en panne lors du concert, l’atmosphère étant rapidement devenue étouffante). C’était de loin le concert durant lequel on a eu le plus chaud de toute notre vie ! On a joué des centaines de concert ensemble et je n’ai jamais vu Kyle autant suer ! Mais nous étions vraiment très contents d’être là, on a vraiment pris plaisir à jouer ici, on était super proches du public et leur réaction a été incroyable. C’était également la dernière date de notre tournée et ça nous semble fou que Londres et Paris soient si proches alors même que nous n’avions jamais été en tête d’affiche ici. Donc oui, c’était plutôt une expérience intéressante de jouer à guichets fermés !

Le public français a d’ailleurs eu l’air plutôt réceptif, vous avez même reçu un soutien-gorge sur scène à la fin du concert ! C’était la première fois que ça arrivait ?

Will : C’est la deuxième fois que ça nous arrive, mais c’était le premier européen !

Seriez-vous entrain de vous transformer en Boysband ?

Tous : Non ! (rires)
Dan : Du moins on n’en a pas l’impression !

Par ailleurs, vous avez passé pas mal de temps à Paris ces derniers temps, cela vous a-t-il plu ?

Dan : C’est vraiment une ville géniale ! Nous avons joué au Petit Palais qui est superbe, nous avons visité pas mal d’endroits qui était également très sympa. En même temps on a beaucoup travaillé, donc pas eu le temps de tout voir ! Ces deux-là (ndlr : montrant Will et Kyle) sont entre autres allés voir la Tour Eiffel, de vrais touristes !

Venons-en plus spécifiquement à Bastille. D’ailleurs, comment le prononcez-vous ?

Kyle : En Angleterre, on prononce [Ba.Sti.Le] mais en Europe plutôt [Ba.Sti.Ye].
Will : La faute à notre affreux accent anglais !

Dan, au départ Bastille était plutôt ton projet solo, maintenant vous apparaissez vraiment comme un groupe…

Dan : En fait Bastille a toujours été un groupe. J’ai écrit quelques titres, avant tout ça et quand je jouais en mon propre nom, mais quand on a démarré ce projet, ça a toujours été nous quatre. Les gens pensent cela très souvent, c’est intéressant car ça a toujours été un ensemble composé de nous quatre. Je pense que cette idée reçue vient de la manière dont les chansons étaient écrites : j’écrivais et enregistrais les titres dans ma chambre. Mais c’est d’ailleurs bien mieux qu’on fonctionne en tant que groupe, je n’ai aucune envie que ce soit différent.

J’ai effectivement eu l’impression que vous vous affichiez très proches hier sur des titres comme Overjoyed où vous vous retrouviez tous les quatre sur le devant de la scène…

Dan : C’était sympa de faire ça ? C’est vrai que quand on joue sur de plus grandes scènes on se sent très éloignés les uns des autres (rires)… ça en devient impossible de communiquer.

A propos de l’enregistrement de l’album, j’ai vu qu’il y avait deux producteurs dont toi Dan, qui était le second ?

Dan : Il s’appelle Mark Crew, c’est un producteur extrêmement talentueux qui travaille avec nous depuis le début. Je me suis essayé à la production mais je n’étais pas aussi bon que lui. On a aussi visité différents studios, rencontré différentes personnes et c’était celui qui avait les meilleures compétences techniques tout en étant très attentif et sachant nous faire de bonnes suggestions.

Et dans quelles conditions avez-vous procédé à cet enregistrement ?

Dan : On a enregistré tout au long de l’année dernière entre les tournées. Le studio était dans un espace sous-terrain au sud de Londres, au final assez intime. On a aussi passé un jour à enregistrer à Abbey Road, ce qui était carrément différent. C’est un endroit incroyable, superbe, chargé d’histoire. C’était assez amusant de voir le contraste ! Malheureusement on n’y est restés qu’un seul jour alors que l’enregistrement complet nous a pris un an ! (rires) C’était également sympa de voir comment un groupe peut se permettre d’avoir son propre studio.

On trouve assez peu de groupes ayant des sonorités proches des vôtres ces temps-ci, vous avez des influences particulières ?

Dan : On a écouté vraiment plein de trucs différents, donc quand on a commencé à enregistrer les titres de Bastille on avait pas mal de trucs en tête : certains avec lesquels on avait carrément grandis comme de la musique pop ou même hip-hop. C’est ce grand mix qui fait que l’on sonne comme ça aujourd’hui !

Sur le même sujet, quelques disques récents à recommander ?

Dan : Le nouvel album de James Blake, Overgrown, est vraiment incroyable. Le dernier Everything Everything également, comment s’appelle-t-il déjà ? Ha oui, Arc. Et puis aussi le nouvel album de To Kill a King (ndlr : dont Dan portait un t-shirt le jour de l’interview et dont l’un des membres était apparu en featuring sur l’un des titres de la première mixtape), Cannibals With Cutlery.
Will : Pour moi, Laura Mvula avec Sing To The Moon.
Dan : On aime aussi beaucoup un groupe qui s’appelle AlunaGeorge. Et puis je suis aussi vraiment impatient d’avoir entre les mains le nouveau Vampire Weekend. On n’a pas encore pu l’écouter mais on a en a parlé avec un journaliste qui en avait eu l’occasion, ce qui m’a rendu extrêmement jaloux !

Revenons-en à vos propres titres : Pompeii et Icarus, deux titres en rapport avec la Grèce Antique ; s’agissait-il d’une source d’inspiration particulière ?

Dan : Pas vraiment, on aime juste faire référence à des histoires célèbres ou des évènements historiques qui sont bien plus intéressants que nos propres vies ! Pour Icarus, on aimait beaucoup la métaphore présente dans l’histoire d’Icare et en ce qui concerne Pompeii il s’agissait d’imaginer la discussion entre deux personnes qui venaient de se faire tuer... Des choses joyeuses ! (rires) Mais je ne pense pas que le public veuille entendre des titres à notre sujet. Encore une fois, je pense que c’est plus intéressant de trouver des situations avec un contenu riche.

Plus précisément à propos de Pompeii, le titre parle de changement, et dans le vidéo clip on peut justement y voir des yeux qui deviennent noirs… Comment peut-on l’interpréter ?

Dan : Je voulais vraiment un clip qui reflète l’apocalypse. Dans le même sens où les gens présents à Pompéi ont vu un nuage de cendres brûlantes leur arriver dessus, ce devait être un peu l’apocalypse…
Will : Un peu… (rires)
Dan : Et donc je voulais que la vidéo résonne comme la fin du monde, d’où le fait de mettre en scène quelqu’un fuyant loin de tout. Je pense aussi que c’est intéressant de construire une histoire qui soit liée à la chanson initiale sans pour autant vouloir l’expliquer ou la représenter. C’est tout aussi bien de chercher à en donner une interprétation sans en raconter le contenu.

Hier, pendant le concert, vous avez encouragé au téléchargement de vos mixtapes (ndlr : en téléchargement libre) parues l’an dernier. J’aurais également voulu connaître votre avis concernant le téléchargement illégal…

Chris : En tant que groupe…
Dan : …On considère que le vol ou le téléchargement illégal de musique est un immense merdier. Mais c’est devenu tout à fait normal pour les nouvelles générations, et quand certaines personnes ont toujours écouté gratuitement de la musique, tu ne peux pas tout d’un coup leur demander de payer. C’est également pour cela qu’on a procédé comme on l’a fait avec les mixtapes. En fait, on a tout bonnement donné deux albums, et encouragé les gens à les télécharger et les partager, et je pense que c’est la raison pour laquelle lorsque notre album est sorti il a si bien marché, car on a énormément donné auparavant à notre public. Pour autant, donner les mixtapes n’a pas été spécialement un coup tactique de notre part, mais le fait d’offrir une vingtaine de titres a joué en notre faveur. Je pense que c’est à chaque groupe d’être assez intelligent et de savoir que si tu sors des trucs très chers sans jamais rien donner, les gens vont tout simplement les voler. Ce qui nous faisait peur était qu’une bonne partie des titres de notre album ou même des lives étaient déjà sortis et disponibles en ligne, et on craignait que par conséquent personne n’achète l’album à sa sortie. Heureusement notre public a joué le jeu.
Chris : C’est dommage que l’industrie n’ait pas réagi plus vite et n’ait pas proposé une alternative, peu importe laquelle. Car maintenant les nouvelles générations attendent gratuitement les choses et ne débourseront rien de toute façon. Mais je pense que c’est l’évolution naturelle des choses.
Kyle : Le problème est que tu peux vraiment tout voler en ligne actuellement.
Will : Je pense qu’il s’agit aussi d’une approche culturelle. Les gens achètent de plus en plus d’e-books…
Dan : C’est vrai mais je pense que la différence est que mettre des livres en ligne demande beaucoup de travail, scanner des centaines de pages va prendre des heures. Contrairement à la musique, dès que tu as le MP3, il se partage très rapidement.
Chris : C’est un phénomène culturel, les enfants qui ont grandi avec ça se disent maintenant : « pourquoi devrais-je payer pour ça ? ».
Will : Vaste question en tout cas…
Dan : Ce qui a été également fascinant pour nous, a été de recevoir énormément de messages, la plupart en provenance de jeunes nous disant que c’était la première fois qu’ils achetaient un album. Ce qui a tendance à prouver tout ce qu’on disait : on est assez chanceux, nos fans ont l’air vraiment investis et même s’ils téléchargeaient depuis toujours, ils ont pris la peine d’acheter l’album.
Kyle : Cela peut paraître étrange, mais je pense que l’achat en lui-même apparaît pour certains comme un droit de possession envers la musique. Et comme Dan le disait, je pense que c’est effectivement car on a beaucoup donné, notamment avec les mixtapes, que le public est prêt à acheter l’album.

Par ailleurs, il est peut-être trop tôt pour en parler, mais pensez-vous déjà à votre prochain album ?

Dan : Oui on y pense … (rires) Du moins on en parle plus qu’on ne compose ! On en fera un quoi qu’il arrive, mais on est encore incapables de dire qui par exemple sera en mesure de le produire. Dans l’immédiat on commence à mettre en commun nos idées…

Et vous avez déjà commencé à enregistrer certaines choses ?

Dan : En ce qui concerne l’enregistrement je considère que c’est un processus assez disparate, un patchwork. J’ai quelques idées en têtes et comme en ce moment nous sommes sur le pied de guerre, nous avons commencé à en enregistrer des bouts, mais les morceaux sont loin d’être terminés. On a encore besoin de temps pour couper des trucs, en rajouter d’autres, essayer de nouveaux instruments peut-être. Le plus important est que le titre sonne bien au final, peu importe les moyens pour y arriver.
Nous sommes plutôt chanceux d’avoir autant de liberté pour faire ce qui nous plait. Si on avait voulu faire un truc complètement indépendant, je pense qu’on aurait pu, tant que cela correspond à ce que nous sommes. De même si nous avions voulu faire des enregistrements à sonorité beaucoup plus électronique. Par ailleurs on a envie que le prochain album se rapproche également de l’esprit des mixtapes ! En même temps c’est assez ridicule d’en parler dans l’immédiat, on n’a quasiment rien fait pour l’instant…
Chris : Le contenu actuel est assez brut, il s’agit surtout d’idées. Mais cela sera assurément intéressant.

A propos de ta voix, Dan, en écoutant votre album je pensais qu’elle avait été retravaillée en studio, mais je me suis aperçu en live qu’en fait c’était tout à fait naturel ! Tu as beaucoup travaillé dessus ?

Dan : Quasiment pas…
Kyle : Tu devrais vraiment le faire ! (rires) En fait, il a juste ce genre de voix qui est naturellement impressionnante.
Dan : La seule chose dont je suis vraiment conscient avec ma voix, c’est que lorsque j’ai commencé à chanter, je ne voulais pas le faire avec un accent américain mais bien anglais, car ce sont mes origines. Certaines personnes pensent que c’est génial si tu chantes avec accent américain alors qu’en fait c’est tout bonnement ridicule. En tout cas je crois que j’ai juste acquis la pratique en chantant énormément.

Une dernière question tout à fait essentielle… Dan, quel est ton secret concernant tes cheveux ?

Dan : Juste de la cire !
Chris : Il dort la tête en bas ! (rires)
Dan : C’est promis, je ne mets pas mes doigts dans les prises électriques.