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Anna Calvi

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 8 octobre 2013

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A tout juste trente-trois ans, Anna Calvi sort son second album, One Breath, disque incontestablement moins rock que son précèdent effort. Une rencontre avec elle constitue un moment hors du commun. Il faut progressivement gagner sa confiance au terme des échanges pour que celle-ci accepte de se livrer et nous ouvre la porte de son univers. Attachante, mystérieuse et troublante, l’anglaise se dévoile pour nous.

Je me suis dit qu'avec ta version en français de Jezebel, tu serais d'accord pour faire cette interview en français…

(Elle rit) C'est le seul français que je peux parler ! (Elle rit de nouveau)

Plus sérieusement, tu as beaucoup tourné au moment de ton premier album. Est-ce que tu as enchainé la suite immédiatement ou as-tu un peu soufflé avant de commencer à composer pour ce nouveau disque?

Je me suis posée environ un mois et puis je me suis remise au travail...

Est-ce que pour One Breath tu as changé ta manière de composer?

Ma manière d'écrire a été assez similaire pour les deux disques. Je me suis beaucoup promenée dans les bois d'une manière très solitaire, cela m'inspire pour l'écriture. Et pour ces deux albums j'ai procédé de la sorte.

Est-ce que tu préfères écrire des chansons pendant la journée ou plutôt la nuit?

J'aime assez les deux. J'essaye de composer à des heures plutôt raisonnables, mais j'ai remarqué que j'étais assez productive en plein milieu de la nuit. Je fais toutefois attention à bien m'organiser afin de pouvoir travailler quotidiennement.

Il y a une chose qui m'importait vraiment, c'était de donner une nouvelle tournure à ma musique.

L'énergie sur ton nouveau disque est très différente de celle qu'on pouvait trouver sur le premier opus. Le premier formait un véritable bloc et était très rock. Celui-ci est beaucoup plus varié, plus compliqué aussi. Étais-tu dans un état d'esprit particulier lorsque tu as composé les chansons de One breath ?

Il y a une chose qui m'importait vraiment, c'était de donner une nouvelle tournure à ma musique et surtout de la colorer d'une manière très différente de ce que j'avais sorti auparavant. Je tenais à donner une nouvelle texture à mes compositions.

C'est la seconde fois que tu enregistres un album en France, à Angers très précisément. Pourquoi ce choix ?

C'est un studio où j'aime vraiment beaucoup enregistrer. Il est situé au milieu de la campagne. Il y a des champs tout autour, et j'aime vraiment les gens qui y travaillent. Le son du studio est également vraiment fantastique. Il est très ancien mais magnifiquement entretenu. C'est un endroit que j'adore. Après ces sessions en France j'ai terminé d'enregistrer le disque au Texas à Dallas dans le studio de mon producteur.

Sur ton nouveau disque, il y a des chansons qui ont pris une tournure davantage électronique. C'est le cas de Piece By Piece. Est-ce que c'est une direction vers laquelle tu pourrais t'orienter un plus dans la suite de ta carrière ?

(Elle sourit) Qui sait ? Ce n'est pas impossible. C'est toujours très important pour moi de poser des paroles qui racontent des histoires dans mes chansons. Pour ce qui est des arrangements, c'est différent. Alors me lancer dans cette voie, ce n'est pas impossible. Cette chanson évoque des souvenirs qui disparaissent avec le temps. Je voulais qu'elle soit découpée en morceaux. Des morceaux de mémoire qui sont déconstruits. C'est pourquoi musicalement la chanson a pris cette forme. Ce fut une progression tout à fait naturelle. Je n'ai pas essayé d'avancer ainsi, puis de revenir pour changer cela. Tout s'est enchainé d'une manière très évidente sans que rien ne soit véritablement établi au départ dans sa conception. A mon sens, c'est vraiment mieux si une chanson suit son chemin progressivement pour naitre.

Tu as un peu délaissé la guitare sur l'album. A la place on trouve beaucoup de cordes, ce qui apporte une toute autre dimension à ta musique. Est-ce quelque chose que tu tenais vraiment à faire?

Je voulais que les guitares soient utilisées d'un point de vue émotionnel culminant et non pas d'une manière sauvage. Je tenais à ce que ce soit quelque chose de surprenant. Je voulais que mon disque ait une texture particulière, c'est pour cela que j'ai notamment utilisé des orgues et des cordes.

Tu utilises ta voix également comme un instrument. Est-ce que tu as été rapidement consciente de cela?

Oui, je voulais vraiment que ma voix sur le disque soit modulable comme un instrument. Qu'il soit possible de l'utiliser d'une manière très douce ou d'une manière très puissante. J'ai pas mal travaillé cette expérimentation sur ma voix.

Certaines chansons auraient pu être associées à une bande originale de film. Je pense notamment à Sing To Me ou One Breath. Ces chansons ont un côté assez cinématographique. Est-ce que le cinéma est une source d'inspiration pour toi ?

Oui, j'aime beaucoup le cinéma. Je puise mon inspiration dans certains films. Quand je compose des chansons, j'ai une vision de ce que j'écris, et cela s'apparente un peu à des petits films. C'est très important de pouvoir exprimer visuellement ce que je compose dans ma musique.

Quels sont tes films préférés ?

J'ai beaucoup aimé I Am love avec Tilda Swinton qui est sorti il y a quelques années. Sinon j'aime beaucoup le cinéma de Gus Van Sant, de David Lynch. Into The wild de Sean Penn est également un film que j'apprécie tout particulièrement. Je pense que le cinéma est un art très important.

J'aime assez cette idée de se livrer à une rivière et de s'imprégner littéralement de sa force, de sa beauté.

Bleed Into Me est une chanson très sensuelle. Peux-tu nous en dire davantage sur elle ?

C'est un peu comme tomber amoureux d'une rivière, de la même manière qu'on peut tomber amoureux d'un être humain. C'est une idée assez romantique. J'aime assez cette idée de se livrer à une rivière et de s'imprégner littéralement de sa force, de sa beauté.

Est-ce qu'il y a une connexion avec la pochette de l'album où l'on voit une partie de ton visage entièrement mouillé ? Tu sortais de cette fameuse rivière?

(Rires) En fait, j'étais à Mexico et il y a eu un jour une très forte tempête. Ça m'a donné l'idée de faire des photos à l'extérieur. La pochette résulte donc de cette session photo. Je trouvais le résultat plutôt réussi. Et puis ce qui était finalement très plaisant, c'est de saisir le moment dans cette opportunité de prendre des photos et de concevoir la pochette dans une situation pour le moins inattendue. Un peu comme dans la vie où surgissent des évènements que tu ne peux contrôler et qui en définitive comptent beaucoup. C'est important de pouvoir exploiter ces moments de transition qui traversent ton existence.

Love Of My Life est la chanson la plus puissante du disque. Est-ce qu'elle te reflète assez bien lorsque tu es amoureuse de quelqu'un ?

(Elle rit) C'est une chanson qui parle plutôt de la perte d'un amour que de l'amour pour quelqu'un. Elle évoque les moments de volonté d'arriver à ce qui n'est en définitive plus possible d'obtenir. Ces moments peuvent être vraiment affreux. Et cela se traduit par cette énergie extrêmement sauvage que l'on retrouve dans la chanson. C'est pourquoi elle est si puissante car elle reflète ce sentiment tellement ravageur.

Il y a cette chanson, The Bridge, qui termine ton disque, un peu comme un requiem, et qui est très différente de ce que tout ce qu'on a pu entendre de toi, y compris dans les dix premières compositions de cet album. Comment cette chanson t-est-elle venue ?

J'écoutais beaucoup de musique de chorales lorsque je composais pour cet album. Cette idée de faire juste des petits morceaux de musique avec uniquement des voix me plaisait beaucoup. The Bridge est une chanson très puissante où je n'utilise que ma voix. Je l'ai écrite toute seule, enregistrant les voix les unes après les autres. Tout s'est enchainé très rapidement. Cela m'a peut-être pris une demi-heure en tout et pour tout. Et j'ai voulu la conserver intacte, parce que je trouvais que ça fonctionnait très bien de la sorte du début à la fin. Je trouvais que c'était une manière assez simple de conclure l'album.

La couleur rouge était omniprésente sur ton premier album. Selon toi quelle est la couleur qui reflète le mieux One Breath ?

C'est vrai que mon premier disque était très coloré par le rouge. One Breath a plusieurs couleurs. Je trouve qu'il y a du bleu et du vert dans ce disque, mais il y a toujours du rouge mais bien moins que dans le premier.

Je peux aisément m'entendre me débattre avant de finalement m'abandonner, dans les chansons de ce disque.

Comment décrirais-tu ton disque ? Le considères-tu comme une tragédie ou plutôt comme rempli d'espoir ?

Je trouve que c'est un disque d'espoir. Lorsque je travaillais dessus je traversais un moment assez particulier de mon existence. J'ai trouvé la force, l'énergie, de m'ajuster par rapport à ce moment et de savoir faire face à cette situation. Tout cela s'est traduit à travers mes chansons, et j'ai pris à un moment la décision de ne plus lutter contre cela. Je peux aisément m'entendre me débattre avant de finalement m'abandonner, dans les chansons de ce disque. J'ai fini par me retrouver dans ce jeu qu'est la vie. C'est pour cela que je dirai que cet album est rempli d'espoir. The Bridge, par exemple, en est un parfait exemple. Tu traverses un pont instable mais tu sais que tu vas réussir à le traverser et qu'une fois que ce sera fait tu pourras reposer tes pieds sur le sol et tout sera de nouveau plus simple, plus sûr. Il y a bien sûr un risque lorsque tu traverses ce pont, mais si tu ne prends pas ce risque tu ne pourras pas être heureux. Car oui, la seule manière de devenir heureux c'est de prendre ce risque.

J'ai entendu dire que tu avais composé trente chansons pour ce disque. Tu n'as jamais envisagé de sortir un double album ?

(Elle rit) Ce sont davantage des idées que de réelles chansons. Et celles dont la texture me plaisait vraiment, je les ai développées pour en faire des chansons. Par contre, ce ne serait pas possible que je sorte un double album. Je ne suis pas encore en fin de carrière avec ce syndrome de réaliser un double album en forme d'épitaphe (rires).

L'esthétique de tes pochettes semble être très importante pour toi. Est-ce que l'on peut s'attendre à une nouvelle collection de 45 tours avec un fil conducteur comme celui que tu as commencé avec Eliza ?

Oui, la pochette d'Eliza est issue de photos que j'ai prises à Mexico. J'ai voulu démarrer cette série avec un masque parce que le visuel des pochettes est très important pour moi. Je me suis rendue à Mexico car il y a beaucoup de couleurs, de textures et de passion que j'associe à cette ville. Elles seront reproduites sur mes prochaines sorties.

Ton premier album était éponyme. Celui-ci s'intitule One Breath. Est-ce un peu comme prendre une grande inspiration avant de sauter dans l'eau glacée ?

(Elle sourit) C'est surtout prendre une profonde inspiration avant toute chose qui va survenir. La vie est une collection de profondes respirations. Et pour ce disque, j'ai respiré de la sorte avant de le sortir.