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Temples

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 10 février 2014

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En 2013, James Bagshaw, leader glam jusqu’au bout de ses épaisses frisettes parfaitement agencées, Thomas Warmsley, Sam Toms et Adam Smith, devenus Temples, avaient suscité l’intérêt avec les sorties des singles Shelter Song et Keep In The Dark.

Signés sur le label en vue, Heavenly Records, l’année 2013 verra les concerts et les louanges s’accumuler à leur endroit. De Johnny Marr à Noel Gallagher, les Temples excitent le landernau rock anglais avec leur son sixties pop et psyché péché du coté de Beatles sous LSD ou de Byrds sous speed. Fans du grand Scott Walker, ces quatre anglais ne font décidemment pas leur jeune âge.

Apprêtés comme Led Zeppelin avant un concert au Madison Square Garden et maquillés comme Marc Bolan avant de monter dans sa Mini 1275 GT, James Bagshaw et Thomas Warmsley engagent une journée de promo marathon à Paris et semblent déjà bien armés et préparés pour le succès et ses affres que leur prédisent, déjà, nombre de médias, d’artistes et une audience toujours plus admirative de ce son révolutionnairement vintage.

Votre musique, aux sonorités sixties assumées est souvent qualifiée de « rétro ». Est-ce un compliment pour vous ou est-ce que cela vous enferme dans une boite ?

James : Les deux, je pense... Notre musique a toujours été influencée par – et j'éviterai le terme « rétro » - des styles de musique plus anciens. Mais pas que. Ce sont également l'équipement et les procédés d'enregistrement que nous empruntons à ces styles plus anciens. Sans pour autant tomber dans le pastiche ou le plagiat des groupes des années passées. L'intention est là, bien évidemment, mais avec une touche de fraîcheur et un esprit plus moderne.

Cela vient-il de votre environnement musical plus jeune ou est-ce que ce sont des musiques que vous avez découvertes plus tard ?

James : Dans les familles dans lesquelles nous avons grandi, la musique revêtait une importance particulière. Mais nos entourages étaient eux-mêmes trop jeunes pour connaître les styles des sixties ou le psychédélisme, par exemple. Ils ont, par contre, vécu la période seventies et le son R&B et surtout celui de la Motown qui était très présent chez moi. Cela a dû influencer le style de notre section rythmique, je pense...

Que ce soit sur scène ou en studio, un groupe met du temps à mûrir et à trouver son équilibre.

Votre premier single, Shelter Song, sorti fin 2012, avait reçu un très bon accueil des médias et du public. Néanmoins, il a fallu plus d'une année pour voir arriver votre premier album, Sun Structures. Était-ce un choix délibéré ?

James : Non, bien sûr. Durant toute cette année 2013, nous étions occupés par l'écriture de l'album. Fin 2012, nous n'avions que quatre titres à nous dont deux à peine était totalement aboutis.
Thomas : Cela fait peur de grandir sous les yeux de tous... Que ce soit sur scène ou en studio, un groupe met du temps à mûrir et à trouver son équilibre. Il nous fallait du temps pour nous étoffer, mais il nous fallait également du temps pour écrire et enregistrer car, depuis 2012, nous avons beaucoup joué et tourné. Et pour sortir cet album début 2014, notre label nous a beaucoup aidés et a énormément cru en nous ; ce dont nous le remercions aujourd'hui. Cela aurait tout aussi bien pu prendre une année de plus ! Au final, je trouve le timing très bon. Il apporte au groupe la maturité et la qualité qu'il entend défendre.

Au tout début, vous étiez deux (ndlr : James et Thomas) et, par la suite, vous avez rencontré Adam Smith et Sam Toms. Pourtant, on vous demandait déjà de jouer des concerts sans même avoir votre line-up finalisé. Comment avez-vous géré cela ?

James : C'était à la fois une période compliquée et très excitante par le challenge que cela représentait. Avec deux ou trois titres en poche, nous avons eu l'appel d'un gars qui nous a dit : "Je suis manager et j'aimerais vous proposer quelques concerts". Nous lui avons répondu que nous n'avions pas encore de groupe, à proprement parler et que ces titres n'étaient que des compositions enregistrées en DIY à la maison. Nous n'avions que rarement joué live à cette époque et, comme tu le sais, c'est très différent d'enregistrer ou de jouer sur scène les mêmes titres. Il nous a fallu apprendre la scène. Nous n'avions ni batteur, ni guitariste supplémentaire, ni même l'assurance de pouvoir jouer avec d'autres musiciens. Cela a été un apprentissage lent et formateur. Si tu pouvais revoir nos premiers concerts, ils ne t'apparaîtraient sûrement pas très bons...
Thomas : Mais ils restent intéressants par la démarche, je trouve. Nous étions stressés et pas vraiment en confiance, mais je pense que c'est une étape primordiale dans un groupe.

On a lu ou entendu beaucoup de choses à votre propos, mais qu'est-ce qui définirait le mieux votre musique, au final ? Psychédélique ? Glam ? Pop ?

James : C'est toujours la question piège ! Nous sommes influencés par tant de styles différents... Un artiste comme Scott Walker et ses albums One, Two et Three ont largement imprégné nos esprits. Notre musique ne ressemble pas à celle de Scott, mais son intention et sa construction sont des références importantes chez nous.
Thomas : Toute musique pop, peu importe son origine ou son auteur, nous touche.
James : Je pourrais te citer David Bowie, bien sûr qui a laissé une empreinte magistrale dans la pop des années soixante-dix. Un album comme Hunky Dory contient des titres parfois durs en thèmes, mais avec des mélodies éternellement mémorables pour son public. Mais pas dans le sens mélodies faciles... Quand un titre de David Bowie envahit ta tête, tu es heureux qu'il le fasse. Ce n'est pas quelque chose qui s'immisce dans ton cerveau et dont tu cherches à te débarrasser à tout prix.

Vous avez dit vous sentir plus proches des Byrds que des Beatles. En quel sens ?

Thomas : Je pense que cela vient du contraste entre deux groupes très talentueux, mais dont l'un serait plus dans l'étrange et l'expérimentation que dans la recherche de la mélodie parfaite. Ceci dit, les Byrds doivent beaucoup aux Beatles, bien évidemment. Chez les Byrds, il y avait un mystère que les Beatles ont peut-être perdu du fait de leur succès planétaire et de leur côté ultra prolifique. Les Byrds avaient des problèmes de drogues, d'alcool, de line-up... Et tout cela a produit des morceaux étranges et une mystique autour d'eux. Tout cela a nourri notre groupe, mais nous aimons les deux groupes à part égale, sincèrement.
James : Les Byrds ont construit des harmonies qui nous touchent plus, mais je ne pourrais pas mettre les Beatles en-dessous ou au-dessus. Ils sont au même niveau pour moi. Les Beatles sont dans nos gènes et nos esprits à vie. Ils ont tellement marqué notre pays et nos concitoyens, nos mères et nos pères compris. Mais ils avaient une certaine convention, plus classique dans leurs mélodies et leurs harmonies. Chez les Byrds, les harmonies pouvaient parfois irriter ou déranger ; à cause, entre autres, de leur douze cordes qui sonnait souvent comme douze voies différentes...

À la première écoute de votre premier album, Sun Structures, on ne peut s'empêcher de penser aux productions de Phil Spector...

James : C'est un très beau compliment.

Vous êtes programmés à Coachella en avril prochain au milieu de groupes comme Queens Of The Stone Age ou Arcade Fire. Une vraie reconnaissance pour vous ?

Thomas : C'est très étrange pour nous. Nous avons tourné aux Etats-Unis pour la première fois il y a quelques mois à peine. Mais nous avons surtout parcouru des villes de la cote Est et du Midwest. Là, nous serons sur la cote Ouest où tant de talentueux groupes et songwriters ont vécu dans les années soixante et soixante-dix. C'est assez incroyable pour nous ! Ceci dit, nous avons bien l'intention de passer un bon week-end à voir les concerts des autres également (rires).

Vous avez dit être fans de personnages comme Aldous Huxley ou Thimothy Leary et, en un sens, votre travail de groupe ramène aux écrits mystiques de ces deux personnages, mais également à l'œuvre d'artistes comme Electric Prunes, Count Five ou Eric Burdon. Quand et comment avez-vous atteint Les Portes De La Perception ?

James : (rires) Je ne suis pas, à titre personnel un fan d'Aldous Huxley ou Thimothy Leary...
Thomas : Je crois que nous tentons d'atteindre nos propres portes de la perception ! Mais, au-delà du but final, je crois que c'est le voyage vers cette perception qui est le plus intéressant en musique. Et peu importe les drogues que tu utilises, ou pas, dans ton voyage (rires)...

C'est là que le DIY à la maison trouve ses limites, dans le mixage. Tu as obligatoirement besoin de plus de matériel et les softwares ne suffisent plus à un moment donné.

Votre premier album, Sun Structures, sort le 10 février. Où l'avez-vous enregistré et qui a assuré ce travail de producteur et d'arrangeur, très talentueux, sur ce disque ?

James : Nous l'avons enregistré chez moi et avons assuré la production nous-mêmes. Exceptés Shelter Song et Fragment's Light, les dix autres titres ont été mixés par Claudius Mittendorfer, qui officie à New York. Il est également un bon producteur, mais nous voulions surtout qu'il mixe ces titres-là. Car c'est là que le DIY à la maison trouve ses limites, dans le mixage. Tu as obligatoirement besoin de plus de matériel et les softwares ne suffisent plus à un moment donné. Quand tu entres en analogique dans l'ordinateur, la sortie mixée sera toujours plus cheap que si utilises une vraie table de mixage avec des pré-amplis de qualité. Ce n'est pas pour rien, d'ailleurs que Shelter Song et Fragment's Light sont en ouverture et en clôture du disque.

Comment s'est passée la rencontre avec votre label, Heavenly Records ?

Thomas : Ils ont entendu Shelter Song quelques semaines après sa diffusion sur Internet. Jeff Barret nous a alors contactés pour nous dire qu'il voulait sortir ce single dans le commerce. Nous avons évidemment été ravis de cela. La culture et les visions de Heavenly Records nous ont plu, immédiatement.

Vous aviez donc un label avant même d'avoir un line-up complet ?

Thomas : Cela a dû se passer à peu près en même temps, mais Jeff Barett était surtout convaincu par notre musique. Il n'avait même pas vu une seule photo de nous deux avant de nous rencontrer.
James : Volontairement d'ailleurs, nous ne tenions pas à ce que des images ou des têtes puissent être associées à notre musique au départ. Pour ne pas perturber l'écoute.
Thomas : Nous étions donc certains qu'ils étaient séduits notre musique, seule.

Avant cela et même après cela, avez-vous eu d'autres propositions d'autres labels ?

Thomas : D'autres labels se sont manifestés, mais aucun n'avait les qualités, à nos yeux, de Heavenly Records.
James : D'autres labels avaient en tête les choses qu'il faudrait changer dans notre groupe avant même de parler de notre musique et de nous laisser faire notre boulot comme nous le voulions. D'autres parlaient trop d'argent et suivaient, en fait, la meute pour avoir une exclu sur un groupe qui paraissait pouvoir intéresser une audience. Heavenly Records a eu la bonne approche et la bonne vision de ce que nous voulions représenter à travers notre musique.

Parmi vos premiers fans, on compte Johnny Marr, Robert Wyatt, Suede ou Noel Gallagher qui est un assidu de vos concerts londoniens. Que du beau monde ! Tous ces célèbres musiciens ont-ils hanté vos esprits pendant l'écriture ou l'enregistrement de Sun Structures, étant donné la qualité de l'audience et l'attente suscitée par votre musique ?

James : Je ne voudrais pas paraître immodeste ou trop en confiance, mais la seule chose qui nous hante ou nous angoisse, c'est la qualité de nos titres et leur interprétation sur scène. Une fois que le public a répondu présent et semble content, peu importe qu'ils soient maçons, boulangers ou artistes reconnus ! Même si, bien sûr, nous étions fiers de lire et entendre ces grands musiciens dire autant de bonnes choses à notre sujet.
Thomas : C'est étrange à dire, mais tu es assez détaché de tout ça quand tu démarres car tu es tellement concentré sur ton premier album et tes premiers titres. Quand Johnny Marr dit aimer un de tes titres alors que tu viens de démarrer, tu es certain que ce n'est pas pour toi ou tes collègues mais bien pour ce que tu proposes qu'il dit ceci, et en cela, c'est assez extraordinaire à entendre, effectivement.

En parlant de cela, Noel Gallagher s'en est pris à la BBC Radio 1 à votre propos. Il leur a passé un savon car vous n'étiez pas programmés sur leur radio. Est-ce que cela vous a touché d'être oubliés ou ignorés de la sorte par la principale radio d'Angleterre ?

Thomas : Cela démontre ce qu'il se passe actuellement dans l'industrie de la musique en général. Ce n'était pas une décision contre nous particulièrement, mais des obligations et des considérations marketing qui nous échappent un peu. Beaucoup d'autres groupes qui méritent tout autant d'être programmés ne le sont pas actuellement sur la BBC Radio 1. Ils programment ce qu'ils pensent que les gens attendent sur leur antenne, je suppose... En même temps, il existe un tas d'autres bonnes stations radio et il n'y a pas de raison de s'en prendre à Radio 1 puisque le choix est là et bien là de nos jours.

C'est vrai qu'il manque, à notre époque, cette sorte de mystère qui entourait les groupes de par le passé.

Vous êtes les preuves vivantes que l'on peut faire d'excellents disques en DIY : vous êtes vos propres producteurs, vous avez utilisé Internet pour vous faire remarquer... Tout ceci, c'est le cheminement rock de notre époque ? N'y a-t-il pas un danger pour la spontanéité de ce style de musique ?

Thomas : C'est un peu tout ça... Mais c'est vrai qu'il manque, à notre époque, cette sorte de mystère qui entourait les groupes de par le passé. À une époque, tu pouvais trouver un album d'un groupe inconnu et dont tu pouvais ne jamais trouver aucune information à leur sujet. Leur musique en devenait encore plus envoûtante et mystérieuse. De nos jours, tu tapes un nom sur Internet et tu as tout le pedigree et le parcours de chacun des membres du groupe ! Nous avons tenté de garder un peu de ce mystère et de cette magie, malgré Internet.
James : Certains groupes sont accrocs aux réseaux sociaux et postent des photos de filles en backstage ou d'eux en train de se changer ou de boire dans leur loge... David Bowie n'a pas eu besoin de tout ça. Il montait sur scène et il explosait tous les codes d'une part mais également la foule présente qui ne pouvait s'attendre à rien ni envisager quel costume ou quelle attitude il allait adopter. Tous ces réseaux sociaux tuent un petit peu le mystère et exposent beaucoup trop la vie privée en prenant parfois le pas sur l'œuvre elle-même. Comme souvent, il y a du positif et du négatif dans tout cela...

Si vous aviez la faculté de remonter le temps, quand et où aimeriez-vous aller ?

Thomas : Moi, j'aurais aimé aller dans le futur !
James : Je pense que je choisirais Paris à l'époque de Django Reinhardt pour un de ses magnifiques concerts dans les cabarets...
Thomas : Le Paris des années vingt me va très bien. Gravir Montmartre, traîner avec Francis Scott Fitzgerald, voir travailler Picasso...

J'aurais parié sur la Californie des sixties, mais j'aurais perdu !

Thomas : Nous ne sommes pas de grands fans des pays très ensoleillés... (rires). Paris possède, dans chaque rue, tout le mystère dont nous avons besoin. Je te propose un truc : prendre le tout Paris artistique des années vingt et le transporter dans la Californie des années soixante !