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Maxïmo Park

Interview publiée par Emmanuel Stranadica le 30 mars 2014

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Maxïmo Park a déjà dix ans de carrière. Auteur d’un excellent nouvel album sorti en février dernier, le groupe de Newcastle est passé vers la fin de ce même mois par la Maroquinerie pour un unique concert en France. A cette occasion, nous avons rencontré Duncan Lloyd, guitariste du groupe, moins d’une heure avant sa montée sur scène. Retour sur une bien belle rencontre.

Vous venez de sortir un album plus électronique et synthétique, que vos disques précédents. Celui-ci semble davantage influencé par les eighties que vos précédents essais. Est-ce une période que vous aimez ?

Ça s'est un peu passé par accident. Nous avons fait un petit break après The National Health avant d'attaquer ce disque. Et lorsque nous nous sommes retrouvés pour Too Much Information, tout était très instinctif. Je me suis occupé de la partie guitare des chansons, Luke de celle des claviers. J'avais acheté un Moog et j'ai eu cette envie de l'essayer pour composer d'une manière un peu inhabituelle. Il y a donc eu davantage cette volonté d'explorer à l'aide de nouveaux instruments plutôt que de se focaliser sur un son en particulier, en l'occurrence celui des années quatre-vingt. Mais il est vrai que la plupart des chansons synthétiques que j'aime proviennent de cette période. Personnellement je préfère les sonorités minimalistes. Par exemple celles que l'on peut entendre chez Young Marble Giants où on trouve de nombreux espaces dans les chansons. C'est sur ce modèle que j'ai écrit Brain Cells, puis Leave This Island et j'étais très heureux de composer de la sorte. C'est aussi le cas sur Is It True?.

Is It True? est à la base une face b de Hips And lips. Comment se fait-il qu'elle se retrouve sur votre nouvel album ?

Ah, tu la connaissais donc déjà ? (rires) C'est une chanson que j'aimais beaucoup au moment de The National Health mais à mon avis, elle n'avait pas sa place sur ce disque. Du coupe elle s'est retrouvée en face d'un quarante-cinq tours. Elle colle beaucoup plus à Too Much Information. J'ai voulu l'ajouter sur le nouvel album, parce qu'elle mérite bien mieux qu'être une simple face b. Le mix est un peu différent de celui présent sur le single.

Nous avons tous pris beaucoup de plaisir à faire cet album. Nous n'avons plus vraiment grand-chose à prouver, à part le fait d'être capables de continuer à durer dans le temps.

Paul module beaucoup sa voix sur votre nouvel opus...

Oui, en effet, il chante assez différemment. Il prend parfois une voix de fausset, ce qui n'est pas une chose très commune chez lui. Je sais qu'il a beaucoup aimé le fait de devoir s'adapter à des compositions moins classiques que d'habitude. Nous avons tous pris beaucoup de plaisir à faire cet album. Nous n'avons plus vraiment grand-chose à prouver, à part le fait d'être capables de continuer à durer dans le temps. Alors on s'est autorisé à expérimenter, que ce soit musicalement ou vocalement. C'est important d'éviter la répétition musicale et d'avancer. Nous aimons beaucoup The Knife, Fever Ray, Aphex Twin, mais aussi Broadcast. Ces groupes ont des sonorités eighties mais constituent des artistes indépendants. Je pense que le fait d'avoir été pendant plusieurs années sur le label Warp a laissé des traces (rires).

Il règne une forme de mélancolie sur une bonne partie des chansons de Too Much Information. Quelle fut l'ambiance pendant l'enregistrement ?

C'est vrai qu'il y a une humeur assez différente de celle présente sur nos précédents disques. On retrouve cet esprit punk rock qui nous caractérise sur Her Name Was Audre par exemple, mais pas seulement. Nous voulions par-dessus tout que les personnes qui écoutent l'album trouvent un niveau mélodique voire lyrique assez inédit dans ce disque. Je pense que le fait que nous ayons enregistré cet album nous-mêmes a influencé l'ambiance que tu as perçu. Nous avons notre propre studio. Nous sommes donc libres de travailler quand nous le désirons. Nous avons beaucoup bossé pendant la nuit pour Too Much Information. De plus les lumières sont relativement basses dans le studio. Tout cela a dû constituer une forme d'influence sur le résultat final. D'autant que pour The National Health, nous avions travaillé à des horaires de journée. Il est possible que rester tard en studio et boire des martinis ait généré une humeur toute autre de celle qu'on retrouve habituellement sur nos albums (rires). C'est un disque très nocturne. Nous nous sommes sentis bien plus tranquilles de l'avoir enregistré nous-mêmes, d'autant que nous avons acquis une certaine confiance en nous au fil des années.

Nous avons beaucoup appris au cours de ces années avec les anciens producteurs de nos précédents albums, que ce soit Gill Norton, Nick Launay ou Paul Epworth.

Ce fut donc pleinement votre volonté de ne pas prendre un producteur pour ce disque ?

Absolument. Après The National Health, j'ai enregistré des lignes de basse et de guitare chez moi. Field Music sont des amis et nous avons enregistrés avec eux des parties de batterie ainsi que les vocaux pour cinq chansons. Le label et certains de nos amis nous ont encouragé à cette époque à sortir d'autres chansons, alors qu'initialement nous voulions simplement sortir un EP. Nous avons alors pris la décision de continuer et de travailler à la sortie d'un album. J'ai appris à l'école comment devenir ingénieur du son. C'était un diplôme mais je n'ai pas vraiment travaillé en ce sens ensuite. Du coup c'était un véritable challenge pour moi, mais nous avons beaucoup appris au cours de ces années avec les anciens producteurs de nos précédents albums, que ce soit Gill Norton, Nick Launay ou Paul Epworth. En enregistrant nous-mêmes, nous avions moins de règles à suivre, mais cet avantage a également ses limites. Et il nous a fallu faire attention à ne pas prendre trop de risques.

Mogwai ont remixé Leave This Island. Comment cela s'est-il passé ?

En fait, certains membres de Mogwai ont un fort attachement avec Newcastle. Glasgow et notre ville de résidence sont assez similaires. Nous les croisons donc de temps à autres, et nous leur avons tout simplement demandé s'ils étaient d'accord pour remixer un de nos morceaux. Ils ont immédiatement accepté. C'est un groupe incroyable. La bande son qu'ils ont composé pour Les Revenants est fabuleuse! Il y a un respect mutuel entre nos deux groupes.

J'aurais aimé poser cette question à Paul, mais peut-être peux-tu tout de même me répondre ? De quoi est-il question dans Brain Cells?

C'est une chanson qui a un rapport avec la nuit. Ça parle de sorties récurrentes pour une personne et du fait qu'elle perde quelque chose à chaque fois. L'interrogation porte surtout sur le pourquoi continuer à se faire du mal en agissant de la sorte continuellement. Il y a cette phrase « I don't fit into this square anymore » qui évoque le désir de changer, de partir, de faire autre chose mais en définitive cette personne se laisse entrainer par la musique, comme tenu par une malédiction, et ne peut s'empêcher de continuer à faire uniquement ce qu'il sait faire. Même si en définitive, il ne fait que se détruire. Je pense qu'à un moment de notre vie, nous avons probablement tous connu cette forme de sentiment. Paul chante cette chanson magnifiquement en prenant sur certains passages cette voix de fausset, un peu comme si il était sous la douche (Rires).

L'édition limitée de l'album contient un EP de reprises. Vous avez fait pas mal de covers depuis le début de votre carrière. Comment se décident les reprises que vous faites ?

C'est vrai que nous avons fait un paquet de reprises tout au long de notre carrière. Initialement, on nous demandait de faire des reprises, pour des émissions sur Radio One par exemple. Dans ce cas, nous avions une liste de chansons et il nous fallait piocher dans celle-ci. Il nous arrivait de demander si il y avait une liste de secours, parce qu'on ne s'y retrouvait pas toujours (rires). Pour cet EP, nous voulions par contre jouer des chansons que nous aimons vraiment. Paul adore Leonard Cohen en tant que parolier. Mais il était assez difficile pour nous de reprendre des chansons très lentes, c'est pourquoi nous avons choisi Lover, lover, lover. C'est une chanson magnifique et superbement chantée par Leonard Cohen. Je l'ai suggérée au groupe. Nous l'avons interprétée à notre manière en lui apportant un côté un peu plus funky. Nous avions d'ailleurs essayé d'autres variations sur cette chanson, mais ça ne fonctionnait pas comme nous le désirions. Ce fut la première des reprises de l'EP que nous avons enregistré. Je crois qu'elle est importante parce que Paul a pu véritablement ressentir les paroles de la chanson pour notre version. Cela nous a permis de jouer les autres reprises plus facilement. Pour celle de Mazzy Star, c'est moi qui suis au chant. C'est une chanson que j'aime depuis toujours. Il y a eu une énorme prise de risque avec cette reprise car l'originale est tellement incroyable. Pendant la précédente tournée, je l'avais jouée tout seul lors d'une journée de repos, sans prétention aucune. Je l'avais enregistrée sur dictaphone. Je l'ai fait écouter au groupe un an plus tard et ils l'ont beaucoup aimée. De ce fait, nous l'avons enregistrée pour l'EP qui est joint à l'édition limitée de l'album. Ce qui a été vraiment génial pour moi c'est de la chanter, car normalement je ne fais que les chœurs dans Maxïmo Park. Cet EP a beaucoup d'importance pour nous, car il représente nos influences.

Je ne sais pas si tu es fan des Smiths comme Paul, mais jouerez-vous un jour une reprise d'un de leurs morceaux ? Si oui, laquelle ?

(rires) C'est difficile de répondre, parce qu'il y a énormément de leurs chansons que j'adore. Le jeu de guitare de Johnny Marr est tellement incroyable. Je viens juste de terminer de lire l'autobiographie de Morrissey, c'était vraiment très bien. This Charming Man ferait un excellent choix car c'est une chanson qui reste très pop et les paroles sont géniales. Personne n'écrit des textes comme Morrissey. Nous avons parlé des Smiths tous ensemble il n'y a pas si longtemps de cela. Nous adorons Meat Is Murder, et je pense que si on devait faire un reprise, ce serait probablement The Headmaster Ritual.

Votre album se conclut avec cette magnifique chanson, Where We're Going. Elle est très atypique en comparaison avec tout ce que vous avez sorti...

C'est une chanson que nous avons composée très simplement avec Paul au format guitare/voix. La démo est très proche de la version qui figure sur l'album. Nous avons décidé de conserver les éléments qui figurent dans la démo et nous l'avons enregistrée à l'ancienne avec simplement deux micros. Il y avait cette envie de sonner un peu Motown car Where We're Going sonne un peu fifties. Paul et moi l'avons fait découvrir au groupe une fois enregistrée et tous ensemble nous avons décidé de la garder sans ajouter d'instrumentation supplémentaire. Ici une fois encore, l'idée d'espace dans la chanson est très flagrante. Même si celle-ci peut paraitre très traditionnelle, tu peux entendre l'atmosphère, les voix. La version finale de ce morceau a juste nécessité deux prises.

L'idée derrière le titre de l'album, Too Much Information, c'est que les gens deviennent un peu dingues à force d'ingurgiter sans cesse des milliers d'informations.

Peux-tu nous en dire un peu plus sur la pochette ? C'est assez douloureux ce dessin !

(Rires) Oui, c'est vrai. C'est un artiste basé à Newcastle du nom de Matt Stokes qui l'a faite. Nous avons enregistré cet album chez nous, alors nous voulions également un artiste local pour la pochette. C'est un photographe qui s'est beaucoup intéressé à la fin des années 80 au mouvement acid et aux raves. Pour la pochette, nous voulions quelque chose qui marque les esprits. L'idée derrière le titre de l'album, Too Much Information, c'est que les gens deviennent un peu dingues à force d'ingurgiter sans cesse des milliers d'informations. On ne prend plus le temps pour rien, et à force on en arrive à faire des choses assez irrationnelles. C'est bien ce qui est illustré par ce dessin. De plus nous ne voulions surtout pas une jolie photo sur la pochette pour éviter aux personnes qui découvrent notre disque de s'imaginer que nous faisons de la pop.

Votre premier single est sorti il y a dix ans, et A Certain Trigger, votre premier album, aura à son tour dix ans l'année prochaine. Y a-t-il déjà des commémorations d'anniversaires planifiées ?

C'est drôle parce qu'on nous a déjà demandé si on allait jouer l'intégralité de l'album pour cet anniversaire. Nous n'avions pas réalisé que ça allait déjà faire dix ans. Mais en fait, nous n'avons encore rien décidé. Nous sommes pas mal occupés avec cette envie de continuer à écrire des chansons, car nous avons pas mal d'idées nouvelles. Ce sera peut-être une surprise pour les dix ans, possiblement acoustique.