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Paul Thomas Saunders

Interview publiée par Cyril Open Up le 12 avril 2014

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En 2011, seul avec sa guitare et un camarade au clavier, Paul Thomas Saunders donne des frissons au monde entier avec sa chanson Appointment In Samarra. Un titre déchirant marqué par une voix troublante, une structure assez simple mais diaboliquement efficace.
Plusieurs années se sont écoulées, mais nous retrouvons le jeune homme, quelques instants avant ses balances au Café de la Danse où il s'apprête à jouer en solo avant les américains The Head And The Heart, dans un bruyant café du quartier de la Bastille. Ce samedi après-midi très ensoleillé s'avérait également être la journée de la femme. Il nous parle de son parcours, de ses influences, de son disque et donc des femmes avec une bonne humeur assez communicative.

Qu'envisageais-tu de faire lorsque tu serais grand quand tu étais enfant ?

Je crois que la toute première chose que je voulais faire quand j'étais enfant c'était d'être Jet Harris du groupe The Shadows. C'était mon premier héros. J'étais obsédé par ce groupe, mon père possédait pas mal de vidéos où on les voyait jouer. Je me mettais devant la télé et j'imitais leurs pas de danse. Vers l'âge de huit ans, je voulais faire de la publicité mais j'avais de très mauvaises idées. Puis à l'âge de treize ou quatorze ans, je me suis aperçu que je n'étais bon à rien mais que je savais jouer du piano et de la clarinette. Il est donc devenu assez vite évident que c'est ce que je devais faire comme j'étais assez mauvais pour le reste (rires).

Aurais-tu par hasard fait partie d'une chorale dans ton enfance ?

Oui, j'ai intégré une chorale à l'âge de neuf ans. Une grande partie de moi a méprisé cela à l'époque. Je pense que je remettais en question les croyances religieuses que l'on m'inculquait. Mais j'adorais la musique et ce que je fais désormais ne m'a jamais permis d'éprouver les sensations que je pouvais ressentir dans une chorale. C'est vraiment très fort quand dans un chœur les harmonies s'accordent entre elles. C'est quelque chose que je ne peux pas reproduire dans ce que je fais. Sauf sur un point peut-être, dans mon album, il y a pas mal de réverb, c'est un peu en écho aux expériences que j'ai pu vivre dans des cathédrales.

Ça a bien fonctionné, je pense, de débuter avec The Beatles, The Shadows, Elvis puis ensuite les disques d'Echo And The Bunnymen.

Ton environnement était-il très musical chez toi ? Tes parents écoutaient-ils souvent de la musique ?

Oui, mon père s'intéressait beaucoup à Elvis, aux Shadows, au blues, aux classiques du rock'n'roll mais aussi à la musique classique. Il avait une belle collection de disques. Ça a bien fonctionné, je pense, de débuter avec The Beatles, The Shadows, Elvis puis ensuite les disques d'Echo And The Bunnymen, il y avait toujours de nouveaux groupes à découvrir. Toute mon éducation musicale je la dois à mon père.

Quels ont été les albums qui t'ont le plus marqué ?

Histoire de Melody Nelson de Serge Gainsbourg est incroyable. Jean-Claude Vannier a orchestré et arrangé une grande partie du disque. Je ne crois pas que l'on puisse trouver d'album pop de cette envergure. Il est extrêmement audacieux et brillant pour un album pop. Ce sont des arrangements très beaux mais qui restent très simples. Dès les trente premières secondes de chaque chanson, on est plongé dans une atmosphère, c'est bien évidemment un album conceptuel mais il n'est en aucun cas prétentieux, enfin je ne crois pas. J'avais déjà entendu des albums avec une direction, un thème récurrent, qui racontent une histoire mais aucun qui soit aussi délirant. C'est un album que j'ai toujours aimé.

Tu viens de Leeds...

(m'interrompant) Je n'y suis plus en fait. J'ai enregistré le disque à Leeds et j'y ai vécu quatre ans mais j'ai pas mal bougé dernièrement.

Pas mal de groupes viennent de cette ville comme Hood...

Hood ? Ils sont de Leeds ? Non, je ne vois pas, je ne connais pas ce groupe. J'essaierai de les écouter.

Wild Beasts, I Like Trains...

Je n'ai jamais été un grand fan de Wild Beasts, je n'ai pas acheté leurs disques mais il y a un festival là-bas qui s'appelle Live At Leeds et je les ai vus juste avant la sortie du précédent album dans une petite salle et c'était très bien. C'est un très bon groupe de scène.

As-tu le temps de voir d'autres groupes se produire ?

Je ne vois plus autant de concerts que ce que je souhaiterais désormais. J'avais l'habitude d'aller voir des concerts tout le temps auparavant. Quand je ne joue pas, ne compose pas ou n'enregistre pas, je prends beaucoup de plaisir à ne plus écouter de musique pendant quelques temps. J'essaie de m'enrichir avec d'autres formes d'art car si j'écoutais trop de nouvelles musiques cela me mettrait la pression, je pense, pour aller dans une direction ou une autre. A force de trop en écouter, je finirais par avoir un genre de black-out.

Tu as mis un peu plus de temps pour terminer ton album ...

Beaucoup plus de temps, tu veux dire (rires).

Que s'est-il donc passé ? As-tu eu des soucis pendant l'enregistrement ? Tu ne trouvais pas l'inspiration ?

J'ai eu des problèmes avec ma gorge. J'étais en tournée avec Julia Stone et à la fin, je n'avais plus de voix. Elle a mis six mois à revenir. Je n'avais pas encore enregistré le chant à ce moment-là. J'ai donc du attendre que cela s'arrange. Pendant ce temps-là, je me suis également rendu compte qu'il y avait quelques parties de l'album avec lesquelles je n'étais pas satisfait, j'ai donc composé quelques chansons supplémentaires comme Good Women et On Into The Night qui clôture le disque. On a également réenregistré quelques passages. Je n'étais pas content des EPs quand ils sont sortis. Je ne voulais donc pas faire un nouveau disque que je regretterai. Il a donc fallu plus de temps pour que tout soit au mieux. C'est la première fois que je fais un album, c'était plutôt un processus assez lent.

Je suis un grand fan de Jim Jarmusch. Il y a une certaine musicalité dans ses films.

Où trouves-tu ton inspiration ? Dans l'art ? Le cinéma ? La littérature ?

Oui. Oui, vraiment dans tout cela. Je suis un grand fan de Jim Jarmusch. Il y a une certaine musicalité dans ses films.

Il fait également de la musique...

Oui, c'est vrai. Je ne dirais pas que c'est ma plus grande influence car c'est un peu trop abstrait et intelligent par rapport à mes goûts musicaux (rires). Par contre, dans ses films, on trouve une beauté subtile non forcée. Les gens essaient de trouver le son qui va mieux pénétrer le cerveau mais aussi les bruits répétitifs et les refrains dans la musique, lui parvient à créer une beauté très honnête au cinéma. J'aimerais réussir à obtenir l'équivalent dans ce que je fais.

A tes débuts, tu as été comparé à Jeff Buckley ou Thom Yorke, cela ne t'a-t-il pas mis un peu trop de pression ?

Lorsque j'ai démarré, j'étais surtout obsédé par l'écriture de nouveaux morceaux. A partir du moment où j'ai lu deux mauvais papiers, je me suis dit que je ne souhaitais plus en lire un seul. Certains sont vraiment abusifs. Je me souviens d'une chronique de mon troisième ou quatrième concert : d'accord nous n'étions pas très bons (rires), mais tout ce que le mec a trouvé à dire c'est qu'il n'aimait pas mon collier, qu'il n'aimait pas la boucle d'oreille que je portais à l'époque, qu'il n'aimait pas que mon nom comporte un second prénom et que s'il avait été moi il l'aurait enlevé. J'ai bien lu ses critiques mais c'était vraiment exagéré. Être comparé à de grands artistes, cela ne peut pas mettre de pression, c'est juste que l'on te compare avec des personnes que les gens connaissent. Tu ne pourras pas trouver un article qui dise, cet artiste ressemble à Paul Thomas Saunders, car personne ne me connait (rires). Par contre, c'est plus évident de dire que cela sonne comme Thom Yorke, c'est une référence plus évidente.

Comme c'est aujourd'hui la journée de la femme, peux-tu nous parler un peu plus de Good Women ? De quoi parle donc cette chanson ?

C'est une chanson assez simple qui parle d'un garçon qui est avec une fille formidable. Cela parle de gens que j'ai connus et qui se demandaient pourquoi des filles formidables pouvaient perdre leur temps avec eux (rires). Il y a tant de mecs infects, odieux (rires). Je me le suis également dit moi-même par moments. C'est un peu une reconnaissance de ces personnes et également un constat sur le mystère qui plane sur ce que les femmes peuvent bien donc trouver à certains hommes. C'est un grand sujet (rires).

Tu parles d'ailleurs beaucoup des femmes dans ton album...

Oui, je suppose. Je n'ai jamais vraiment réfléchi en ces termes. C'est une grande part de ma vie alors cela ressurgit. Je me suis abstenu d'écrire des chansons d'amour sur des relations amoureuses mais cela fait partie de ma vie. La famille, l'amitié, l'amour se sont des thèmes forts auxquels tout le monde peut se rattacher. Ce sont des émotions qui peuvent occuper l'esprit pour la journée et être sources d'inspiration.

Comme c'est la journée de la femme, si tu avais pu en être une, qui aurais-tu choisi d'être ?

C'est une question très difficile que tu me poses là ! Hum... Kate Bush, elle est tellement extraordinaire dans tout ce qu'elle fait. Oui, sans hésiter Kate Bush. Elle a eu une vie passionnante en plus.

Avant de débuter, j'ai toujours pensé qu'il y avait une issue à la plupart des problèmes que l'on pouvait rencontrer.

Tes chansons ont souvent des titres assez mystérieux, quel est le sujet de In High Heels Burn It Down, par exemple ?

Cela parle de personnes qui ont des soucis, des pulsions suicidaires. J'ai été samaritain pendant un moment. Avant de débuter, j'ai toujours pensé qu'il y avait une issue à la plupart des problèmes que l'on pouvait rencontrer. Avec cette expérience, je me suis rendu compte que face à certaines situations, il existait des personnes qui veulent cesser de vivre et qui ne voient pas d'autre issue. Cette chanson parle de cela, de gens qui sont dans une impasse.

La pochette de ton disque est dans la mouvance des couvertures des albums de Tame Impala ou Splashh, est-elle également l'oeuvre de Leif Podhajsky ?

C'est lui qui a aussi fait la pochette de l'album de Splashh ? A cause de la piscine, j'ai toujours cru que c'était David Hockney ! Non, la mienne a été réalisée par un photographe américain, Neil Krug. Il s'est rendu dans la Vallée de la Mort et a pris cette photo pour nous. Cela représente un paysage lunaire d'où est tiré le titre de l'album.

Justement, as-tu nommé ton disque Beautiful Desolution parce que tu trouves une certaine beauté dans la noirceur des choses ?

Oui, c'est bien pour cela. Je ne suis pas masochiste ou sadomasochiste...

Et tu n'es pas vraiment gothique non plus !

Non (rires). Il y a une certaine beauté dans les émotions. Ce sont les moments compliqués qui créent ta personne. Les moments où tu réalises qui tu es, souvent quand tu te retrouves seul parce quelque chose de terrible est arrivé comme la mort de quelqu'un par exemple, ces instants te forgent. Je pense que les moments les plus importants de ma vie ont été cathartiques et ont agi sur mon cerveau.

Tu dois bientôt partir faire les balances de ton concert, je dois déjà te poser la dernière question. Si tu avais eu le choix, qu'aurais-tu aimé faire au lieu de répondre à des questions ?

(rires) Je veux vraiment aller aux catacombes. J'ai déjà tenté deux fois et c'était fermé. C'est donc ce que j'aurais préféré faire. Je veux vraiment y aller, cela a l'air fantastique.