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We Have Band

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 28 avril 2014

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Si le rock et la promiscuité des artistes ont souvent abouti à la formation de couples, plus ou moins légitimes, ils sont plus rares celles et ceux qui en ont fait un héritier, qui plus est, en pleine tournée et écriture d'un troisième opus. Démarré avant la mise en route du quatrième membre non officiel de We Have Band, Movements est le disque de la maturité pour ce trio électro pop. Plus recherché au niveau des sonorités, mais toujours destiné à faire danser les foules, Movements a bénéficié d'un vrai studio où le temps n'était pas constamment compté ; celui du groupe, construit dans le sous sol d'un quartier de l'east London, sur Kingston Road. Onze titres produits par Thomas Wegg-Prosser et arrangés par Tim Goldsworthy, disponibles le 28 avril en France, chez tous les bons disquaires.

Le fils de Dede et Thomas partage la chambre de ses parents en promotion aujourd'hui à Paris. S'il est fréquent d'interviewer des musicien d'un âge canonique revenus à la vie après des années de disettes ou des artistes juvéniles entendant tenir la dragée haute aux premiers, l'interview en présence d'un bébé de six mois, a fortiori sage et rieur, est une première...

Lors de notre dernière rencontre, nous nous étions quittés dans la chambre sur le palier opposé, juste avant la sortie de Ternion en 2012. Vous avez parcouru de nombreux pays et scènes depuis...

Thomas : Comme tu le vois, nous avons un très beau projet qui vient de voir le jour ; pour l'instant, il dort dans la salle de bains à coté (rires) ! Dede a donc eu un enfant, avec moi, je précise (rires). Nous sommes effectivement partis assez longtemps en tournée pour l'album Ternion et nous avons trouvé le temps, au milieu de tout cela, d'écrire et d'enregistrer un troisième album. Nous avons fait ce que font les groupes de musique généralement : nous avons joué, écrit et vécu nos vies, quand nous en avions le temps... Mais, il est vrai qu'écrire un troisième album n'est pas une mince affaire. Même si, cette fois, nous avons vraiment eu des moyens et du temps à notre disposition ; les nôtres, entre parenthèses, puisque nous avons maintenant notre propre studio. Pour le premier album, par exemple, nous avions du nous débrouiller seuls et enregistrer une fois chez moi, une fois dans le sous sol de chez mes grands parent...
Dede : N'oublie pas d'écrire que c'était chez moi également (rires) !
Darren : Nous ne nous sommes pas vraiment arrêtés de travailler depuis trois ans, en fait... Dede était encore sur scène, enceinte. Jusqu'à sept mois et demi je crois ! Écrire et enregistrer un disque est un long parcours, comme tu le sais. Il y a toute la partie artwork, les vidéos, la promo...
Thomas : Et Darren a travaillé sur son side-project, également.
Darren : C'est vrai que je me suis attelé à d'autres projets musicaux. Pas parce que j'en avais l'impérieux besoin – ce n'est pas comme pour remplir un vide que j'aurais ressenti – mais pendant que Dede et Thomas avaient leur bébé, j'en ai profité pour voir d'autres choses...
Dede : A la fin, je me suis quand même arrêtée, notamment pour la scène, mais nous n'avons jamais réellement ralenti la cadence. Et Darren et Thomas ont pu expérimenter le live entre garçons ; avec un batteur. Et ils ont été très bons, même sans moi (rires).

Et qui danse quand tu n'es pas sur scène ?

Darren : Il n'y a plus de danseur quand Dede n'est plus là ; ça devient un groupe de garçons, plus rock.
Thomas : C'est vrai que l'énergie est différente quand Dede n'est pas sur scène. C'était assez étrange pour nous les premières fois, d'ailleurs...

Vous semblez avoir une précision métronomique dans vos sorties de disques ; un album tous les deux ans. C'est une volonté ?

Thomas : C'est vrai que le premier est sorti en 2010... Je te promets que nous ferons tout pour que le prochain sorte en 2016 (rires). Quoiqu'il serait bon que nous cassions le cycle ; faisons le prochain album en 2015 ! Tu en penses quoi toi d'un album tous les deux ans ? C'est trop court ou trop long ?

Deux ans, c'est le minimum pour un album si tu veux être précis dans le son, les arrangements et le mix.

C'est aussi précis que l'est votre musique. Donc c'est une bonne chose, je pense...

Thomas : Bonne réponse. Il est vrai que deux ans, c'est le minimum pour un album si tu veux être précis dans le son, les arrangements et le mix. Les titres, tous différents, renferment quinze instrumentations différentes qu'il faut arranger. Les textes ne viennent pas comme ça non plus, ils prennent beaucoup de temps... On va garder l'écart de deux ans entre chaque album, finalement.

Movements est donc votre troisième album studio. Pourquoi ce titre ?

Darren : Je crois que c'est un album qui nous élève d'un niveau. Quand nous étions en studio, tous ensemble, c'est quelque chose que nous avons ressenti dès les premières prises. Il me semble que nous sommes allés chercher d'autres univers, dans d'autres strates que Ternion. Nous nous sommes sentis très bien dès le départ et nous avons ressenti ce besoin d'aller plus haut et de mélanger le meilleur du passé et le meilleur de notre présent. Thomas avait pas mal de nouveaux instruments et nouvelles sonorités à nous faire écouter et, en un sens, cela nous a ramenés à nos premiers instants quand nous étions à la maison et que nous avions la liberté de prendre tel ou tel instrument pour essayer de nouvelles choses.
Dede : Nous avons, par exemple, beaucoup plus utilisé le Moog que pour les albums précédents. Ou le Juno et le piano droit...
Thomas : C'est peut-être de là que vient le titre, Movements. Nous voulions que cet album soit l'album du mouvement dans les instruments, sons et choix artistiques. Qu'il soit dansant, excitant, innovant... Il fallait que nos chansons fassent bouger, nous en premier. Physiquement ou émotionnellement. D'ailleurs, pendant nos premières répétitions pour la tournée en cours, nous avons tout de suite senti que ces nouveaux titres feraient bouger le public. Sur notre deuxième album, certains titres sont peut être plus introspectifs et moins en mouvement que sur Movements.

Et pourtant, à l'écoute de Movements, il se dégage quelque chose de plus mature, de plus spirituel et de presque plus intime que dans les deux premiers...

Thomas : Vraiment ? C'est un point de vue intéressant.
Darren : C'est un album dont les titres pourraient ressembler à un jam entres potes.
Dede : Je pense que c'est dû à l'espace et à la largeur qu'il y a dans les titres.
Darren : C'est vrai qu'il y a toujours un fossé entre ce que tu as en tête et ce qui va réellement ressortir sur le disque. Et en ce qui concerne le résultat de Movements, nous ne pouvions pas être plus proches de ce que nous avions en tête. Bien sur, avec le temps, nous nous sommes améliorés dans les processus d'écriture et de mix. Ce qui est positif pour un groupe. Sans oublier le super travail d'arrangements de Tim Goldsworthy (DFA Records, LCD Soundsystem, U.N.K.L.E) et de Thomas, qui a produit le disque. Le deuxième disque était plus éclaté ; c'est une voie que nous avions choisie avec Luke Smith.
Thomas : Je crois que Luke Smith interprétait à sa manière ce que nous avions en tête, alors que Tim Goldsworthy, au contraire voulait que le disque soit vraiment le reflet de ce que nous avions formulé et imaginé.
Dede : Cela vient également du fait que nous avions plus de temps pour mettre les titres en boites et les faire sonner comme nous l'entendions en ayant notre propre studio.
Darren : J'aime bien le fait que cet album puisse paraître plus spirituel que les précédents. Cela rejoint ce que nous disions sur le fait que nous étions vraiment relâchés et apaisés dans notre nouveau studio pour produire ce nouvel opus. Les choses sont venues plus naturellement et d'une manière plus fluide pour Movements. Et, dans un sens, cela sert également son coté groovy.

Un album pour danser, mais également à écouter bien assis, un casque sur les oreilles...

Darren : Si nous provoquons ce sentiment, alors nous avons vraiment réussi notre disque !

Sur le vidéo clip de Someone, le travail graphique et de 3D en arrière-plan ressemble aux premiers balbutiements des images de synthèses que Kraftwek ou Max Headrom. Est-ce une sorte d'hommage à ces années là ?

Thomas : Je dois te le dire, nous n'avons même pas encore eu le temps de voir le résultat final !
Dede : Pour nos vidéos, nous nous en remettons généralement à des réalisateurs qui ont carte blanche. Ce sont souvent leurs idées qui prédominent et nous sommes toujours satisfaits du résultat. L'idée de base de ce clip était de faire quelque chose ramenant à une époque, pré Internet.
Darren : Notre boulot c'est de faire de la musique ; le reste, nous aimons le confier à des gens qui ont d'autres idées et une vision de nos titres peut être différente de la notre.
Thomas : De toute façon, nous avons été filmés sur fond vert tout le long du clip ; donc c'est très difficile de te faire une idée du résultat final. On a utilisé les moyens du bord, d'ailleurs avec une simple Xbox pour capturer les mouvements de nos corps de façon à les numériser ensuite. Et je crois que cela a pas mal fonctionné. Pour le prochain vidéo clip, nous sommes en discussion avec des réalisateurs parisiens... Nous les rencontrons aujourd'hui, d'ailleurs. Ce sera pour le titre Modulate, notre prochain single à sortir. D'ici quatre à cinq semaines il devrait être en ligne. Nous sommes fans des vidéo clips, mais nous aimons laisser d'autres personnes cogiter sur le sujet...

Mis à part certains collaborateurs qui changent avec le temps, nous gardons les mêmes habitudes et processus que par le passé.

Thomas, toi qui a produit ce nouvel album, tiens-tu à t'impliquer personnellement dans la production ou est-ce parce que tu n'as pas encore trouvé le bon producteur ? Avez-vous gardé le même processus de création et de production que pour les précédents albums ?

Thomas : Je joue la plupart des instruments en studio, mais les lignes directrices et artistiques viennent de nous trois. Et puis, il ne faut pas oublier l'apport essentiel de Tim et son beau travail passé avec des artistes comme U.N.K.L.E ou R. Kelly. Une fois notre partie finie, Tim rajoute sa patte et nous soumet le résultat. Généralement, nous n'avons rien à y redire ! A un moment où Dede était vraiment trop proche d'accoucher, nous nous sommes retrouvés entre garçons pour une journée à Bristol dans le studio des Massive Attack pour finaliser des mix que nous ne pouvions faire dans notre studio. J'aime être partie prenante de tout le processus d'enregistrement. Cela me semble naturel pour notre groupe d'avoir le plus grand contrôle possible, jusqu'au moment où nous laissons des personnes avec un regard neuf, parachever le travail. Finalement, mis à part certains collaborateurs qui changent avec le temps, nous gardons les mêmes habitudes et processus que par le passé.
Darren : Excepté pour les percussions peut-être ? Il me semble que Thomas a trouvé une nouvelle façon d'approcher la partie rythmique sur Movements. Cette partie a été défrichée et travaillée bien en amont, comparée aux autres albums. L'intention étant d'obtenir un son le plus live possible sur la partie percussions.

En parlant de percussions, je crois que vous avez changé de batteur en live, depuis Ternion ?

Thomas : Effectivement, nous avons un nouveau batteur ; Marc Pell ayant d'autres projets cette année. Mais je suis certain qu'il reviendra jouer avec nous pour la prochaine tournée...

Où se trouve ce nouveau studio dans lequel s'est déroulé l'enregistrement de Movements ?

Thomas : Dans l'east London, sur Kingtston Road... Là où sont tous les restaurants vietnamiens (rires). C'est le Vietnatown de Londres ! Nous avons mangé vietnamien pendant tout l'enregistrement...

Darren, tu as profité de quelques moments de libertés pour travailler sur un side-project appelé MAXIXE, avec Marc Pell. Ressentais-tu le besoin de faire autre chose ?

Darren : Étant donné que ce projet se base sur des membres ou ex-membres de We Have Band, c'est toujours un peu la même famille tu sais. A l'époque où nous jouions tous les quatre ensemble, Marc m'a fait écouter quelques démos à lui et il m'a demandé si j'accepterais de chanter sur ses compositions. Je vois la musique comme une exploration sans fin, donc, tenter autre chose, tout en restant proche de We Have Band, ça me tentait bien. Il n'était pas question de démarrer un nouveau groupe ou une nouvelle aventure en dehors de We Have Band, mais de continuer à explorer nos univers mutuels et respectifs.

Est-ce que ce genre de projets, parallèles, peuvent apporter un changement à ton inspiration dans We Have Band ?

Darren : Non. Je crois que ce sont des projets bien distincts et séparés en termes d'inspiration. Par contre, je pense que cela maintient une certaine créativité dans ton esprit. C'est un sujet sur lequel nous échangeons souvent avec Dede et Thomas – savoir si collaborer à coté du groupe amène un changement de motivation ou d'inspiration. Bien sûr, si j'étais l'auteur principal et le leader – une sorte de Thom Yorke de We Have Band – alors mes projets annexes influeraient peut-être sur mon inspiration et donc sur le groupe. Il n'y a qu'à voir comment Thom Yorke, en plongeant dans l'électronique, a influencé son groupe principal. Mais, dans We Have Band, peu importe que l'on travaille sur un projet musical annexe ou que l'on soit en train de concevoir un enfant, il y aura toujours trois auteurs et trois compositeurs très unis. Même si Thomas est la pièce maîtresse car il joue quasiment tous les instruments et produit les disques, il y a quelque chose d'unique dans le partage des taches chez nous qui fait que nous gardons notre inspiration et notre style au fil des années. Nous sommes trois individualités qui unissent leurs talents pour un résultat qui dépasse les personnes. Nous avons tellement joué ensemble et avec trois disques maintenant, nous savons que le groupe possède une vraie et forte identité. Et c'est rassurant de se dire que nous pouvons chacun travailler à d'autres projets sans avoir peur de perdre cette identité.

(le bébé, réveillé se met à chanter dans les bras de Dede...) Est-ce que l'arrivée de ce bébé et la construction d'une famille apportent ou modifient quelque chose dans la créativité de leurs parents et musiciens ?

Thomas : Je ne crois pas... Mais il est encore un peu tôt pour te répondre. Cet album était déjà pratiquement écrit avant que le bébé n'arrive. Je crois même que Dede n'était pas encore enceinte lors de l'écriture.
Dede : Nous avons démarré l'écriture de cet album pendant l'été 2012. Donc, la plus grande partie du disque était terminée avant que je ne tombe enceinte.
Thomas : Si ce bébé doit avoir une influence sur notre écriture, on le verra sur le prochain disque ; peut-être en terme de sentiments écrits ou d'influence de jeu... ou pas.
Darren : Il est certain que pour Dede, le changement est réel et bien plus impliquant que pour nous deux. Même si Dede et Thomas étaient déjà une petite famille à eux deux depuis le début du groupe, devenir mère change radicalement une vie. Et si ce bébé doit apporter quelque chose au groupe, c'est une joie et une fierté.
Thomas : Il est vrai que tu ne trouveras ni haine, ni peine dans les titres de Movements. Nous ne sommes pas, même avec un nouveau né, un groupe qui écrit sur la condition humaine ou les drames du monde qu'il devra un jour affronter... Notre univers est de toute façon positif.

Est ce difficile d'être mari et femme et de vivre, travailler et jouer avec un groupe aussi uni, quasiment toute l'année ?

Dede : Si c'était le cas, nous n'aurions pas sorti Movements !
Thomas : De toute façon, nous entretenons une relation très spéciale avec Dede...
Dede : Là, tu as raison (rires) !
Thomas : Nous passons beaucoup de temps ensemble, mais d'une façon particulière. Je ne pense pas que beaucoup de couples pourraient accepter notre conception du temps que nous passons ensemble. Avant d'être dans un groupe, tous les deux, nous étions déjà de très bons amis. Et nous passions déjà beaucoup de temps ensemble alors que notre relation amoureuse n'avait pas encore démarré. Amis, amants et maintenant parents...

Voilà peut être le secret des relations qui durent ?

Dede : En tout cas, c'est un secret qui marche pour nous deux. Nous respectons scrupuleusement nos espaces personnels avec Thomas, spécialement quand nous sommes en tournée. Parfois, nous n’échangeons aucune phrase avant midi, alors que nous sommes levés depuis neuf heures du matin ! Mais c'est un accord tacite qui nous convient à tous les deux. Il est essentiel de respecter un espace de liberté et de respecter les opinions de chacun, notamment quand on écrit ou compose des titres. Si tu ne t'entends pas avec ton conjoint alors que tu fais partie du même groupe, cette mésentente va obligatoirement déteindre sur le ou les autres membres du groupe...

Parfois, nous sommes en tournée avec des groupes que nous voyons vivre complètement séparés en dehors de la scène et cela nous choque, presque.

Et de ton coté Darren, comment se passent les tournées quand on vit avec un couple et un bébé ? Et qu'on n'arrive pas à dormir le soir, après les concerts par exemple ?

Darren : Il me reste les rues de la ville à arpenter (rires)... Tu sais, même avec le bébé, nous passons la plupart du temps tous les trois. Les seuls moments où je ne suis pas avec eux sont les fins de nuits... Mais, je comprends qu'on puisse se dire que Dede et Thomas ont leur vie et moi la mienne. C'est ce qui se passe dans d'autres groupes que je ne citerai pas ; même sans bébé. Parfois, nous sommes en tournée avec des groupes que nous voyons vivre complètement séparés en dehors de la scène et cela nous choque, presque. Je suis certain que tu as déjà interviewé beaucoup de formations où un seul des membres vient répondre à tes questions... Nous ne te ferons jamais ça ! C'est sûrement dû à l'inégalité de leurs membres sur le plan créatif. Les gens sont souvent surpris de nous voir si proches et si souvent ensemble. Mais il y a tout de même un moment où nous tenons à être séparés : c'est en avion. Nous voulons tous les trois être coté fenêtre (rires) !