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Glass Animals

Interview publiée par Julien Soullière le 12 juin 2014

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C'est à Paris, dans un bar non loin du Nouveau Casino (où ils s’apprêtent à donner un concert), et donc bien à l’abri de la pluie torrentielle qui s’abat sur la ville, que Dave Bayley et Joe Seaward nous ont accordé quelques minutes de leur temps pour discuter de Glass Animals, de leur musique, et du premier album que le groupe s’apprête à sortir. Retour sur une discussion chaleureuse avec un groupe des plus attachants.

Cela pourra vous paraître impoli, mais je vais commencer cette interview par une requête tout à fait personnelle : j'ai trouvé votre réinterprétation de Love Lockdown (ndlr : le tube de Kanye West) assez géniale, et je me demandais s'il était envisageable pour vous de la reprendre sur scène ce soir ?

Joe : Pourquoi pas ! (rires)
Dave : Oui, pourquoi pas ! Si le public est suffisamment motivé pour un rappel, on pourrait imaginer la jouer à ce moment-là. Bon, le seul souci, c'est que je ne suis pas sûr de me souvenir des paroles...

Au besoin, on pourrait imaginer que je me mette au premier rang, et que je fasse office de souffleur...

Dave : Oui, super idée ! (rires) Plus sérieusement, reprendre Love Lockdown ce soir, ça s'envisage. Ce n'était franchement pas prévu, mais ça s'envisage. On verra... (ndlr : au final, le public parisien aura bel et bien le droit à un rappel, et ce sera effectivement la reprise de Love Lockdown qui nous sera proposée !)

Quand tu assures une première partie, tu n'as pas la pression qu'à la tête d'affiche.

Passons aux choses sérieuses. Ce n'est pas la première fois que vous jouez sur Paris, mais par contre, c'est la première fois que vous jouez en tête d'affiche. Est-ce que cela change quelque chose pour vous ?

Dave : Quand tu assures une première partie, tu n'as pas la pression qu'à la tête d'affiche, mais tu sais aussi que les gens ne sont pas vraiment là pour toi. Tant mieux si tu arrives à les convaincre, bien sûr, mais celui qui se doit d'assurer avant tout, c'est celui dont le seul nom a poussé les gens à payer leur place. Ce soir, ceux qui se déplacent, ils se déplaceront pour nous. Forcément, ce sera bien plus stimulant. L'atmosphère sera différente, le lien avec le public plus puissant. Je pense qu'on éprouvera plus de plaisir encore à jouer, d'autant plus que les gens connaitront nos morceaux, et que ça nous donnera la possibilité de les revisiter. Les lives doivent aussi servir à ça.

Justement, à quoi doit-on s'attendre de la part de Glass Animals sur scène ce soir ? A une véritable promotion de ce premier album, qui n'est pas encore sorti à l'heure où nous nous parlons, où à un savant mélange entre productions passées et nouveaux morceaux ?

Joe : On ne jouera pas nos plus anciens morceaux, mais on ne s'en tiendra pas à la tracklist de l'album pour autant. Il y aura un peu des deux.

Vous avez récemment accompagné Tricky et St. Vincent en tournée, deux artistes aux univers radicalement opposés. En quoi cette expérience vous a-t-elle été profitable ? Vous a-t-elle donné envie d'aller plus loin dans vos expérimentations ?

Dave : Pour être tout à fait franc, ça ne nous a pas laissé un souvenir impérissable... Autour d'une bouteille de bon champagne, tout le monde sait s'entendre, mais au-delà de ça, on ne peut pas dire qu'on ait développé quelconque relation avec l'un ou l'autre de ces deux artistes, pour qui j'éprouve un profond respect par ailleurs. C'est comme ça, les planètes ne s'alignent pas toujours.
Joe : C'est toujours très intéressant de côtoyer des artistes d'horizons différents, de notoriété plus ou moins importante, même si ne naissent pas forcément des affinités particulières. Quand, par exemple, tu es sur les routes avec un artiste plus connu que toi, que tu vois les moyens qu'il peut se permettre d'engager, son tour-bus, le staff, tout ce matériel qui traine ici et là, ça à un petit quelque chose d'excitant, de stimulant. Tu apprécies à quel point les choses peuvent prendre une toute autre dimension au fur et à mesure des albums que tu sors, et puis, tu commences à imaginer tout ce que toi tu pourras peut-être faire un jour si tu réussis (rires).


Parlons musique, maintenant. La vôtre est particulièrement dense, riche de textures, très métissée. L'ouverture dont vous faites preuve n'a-t-elle jamais été handicapante à l'heure de réaliser votre premier album, un moment où vous vous êtes sans doute mis à la recherche d'une certaine cohérence ?

Joe : A aucun moment nous ne nous sommes posé cette question aussi franchement. Nous n'avions pas la volonté d'intellectualiser la conception du disque à ce point, et jamais nous nous sommes demandé à quoi nous voulions que ressemble la prochaine chanson à être écrite. D'ailleurs, je trouve que l'album contient des titres finalement assez différents : Cocoa Hooves est par exemple très calme, légèrement inquiétante, là ou Walla Walla est à mon sens beaucoup plus festive.
Dave : Plus qu'une question d'écriture, je crois que c'est une question de vision, quelque chose qui a été clair dès le départ, et n'a jamais été remis en cause ensuite. Nous nous sommes mis dans la tête de composer un disque qui inspire aux gens un périple à travers des terres inconnues, dans une sorte de forêt, immense et étrange à la fois. J'espère que les gens ressentiront cela, et c'est en tout cas ce qui nous a guidés, assez naturellement d'ailleurs. C'est également cela qui nous a permis de choisir, en bout de chaine, les chansons qui allaient composer le disque, celles qui servaient le mieux l'objectif que nous nous étions fixé au départ.

Justement, parmi ces titres, c'est Pools qui a hérité du titre de premier single. Pourquoi ce choix ?

Joe : C'est un des titres les plus directs de l'album. Il reste complexe dans l'écriture, dans ses arrangements, mais tu te l'appropries rapidement. Et puis, il est assez enjoué, et mettre en avant un titre comme celui-ci nous semblait une belle façon d'introduire le disque.

Nous avons d'ores et déjà évolué, et si tu apprécies l'album, tu auras l'occasion de revenir en arrière, d'écouter des titres plus anciens.

Avant ZABA, vous aviez déjà sorti bon nombre de singles ou EPs, et on se dit que tous ces morceaux auraient très bien pu prétendre à une place sur l'album. Au final, et c'est une bonne surprise, celui-ci contient majoritairement des titres inédits. C'était important pour vous de ne pas vous répéter ?

Joe : Bien sûr ! Déjà, je pense que c'est plus respectueux envers le public, et puis cela permet de mettre en avant le fait que, aussi récente soit-elle, le groupe a déjà une histoire. Nous avons d'ores et déjà évolué, et si tu apprécies l'album, tu auras l'occasion de revenir en arrière, d'écouter des titres plus anciens, et finalement d'apprécier au plus juste ce que nous sommes, d'où nous venons.
Dave : Et puis, si es attentif, tu t'apercevras que les titres que tu connaissais déjà sonnent différemment sur le disque. Nous les aimions profondément, ils s'inscrivaient parfaitement dans ce que nous voulions faire, mais nous les avons simplement amenés à un niveau supérieur. Ils sont bien meilleurs en l'état.

Par le passé, vous avez signé plusieurs featurings, et d'ailleurs, ce fût principalement avec des femmes (Tei Shi, Jean Deaux). Pourquoi n'y-a-t-il aucune collaboration de ce type sur ZABA, et en quoi en quoi les femmes vous inspirent-elles autant ?

Dave : Nous avons autant travaillé avec des hommes qu'avec des femmes. De manière générale, nous aimons collaborer avec des gens talentueux, mais surtout qui savent faire des choses dont nous serions incapables. Par exemple, je ne sais pas rapper, mais Jean Deaux, elle, sait très bien faire ça.
Joe : Je pense que, sur cet album, nous voulions parler de nous, de ce que nous sommes vraiment. C'est un peu égoïste ce que je viens de dire là, non ? (rires) Plus sérieusement, je pense que les b-sides sont parfaites pour accueillir des featurings, des remixes, des morceaux qui viennent étendre un peu plus encore un univers. Attention, je n'ai rien contre les b-sides, et d'ailleurs, certains artistes en signent des excellentes, Tom Vek, par exemple.


C'était déjà le cas avant, mais l'album enfonce plutôt bien le clou : je trouve que votre musique dégage une tension sexuelle assez incroyable. C'est volontaire ?

Dave : Tu n'es pas le premier à nous dire ça. C'est vraiment dingue que les gens pensent ça ! (rires) Qu'on parle de sensualité à la limite, mais de tension sexuelle...
Joe : Dave, c'est surement lié à ta voix... (rires)

Je pense que vos influences soul et R'&'B ne sont pas étrangères à ce ressenti...

Dave : En tout cas, si les gens nous disent ça, c'est que ça doit être vrai. Je suppose qu'on peut difficilement remettre un ressenti en cause. Pour être franc, on n'a jamais écrit un seul titre en se disant à nous-mêmes « Ouah, génial, qu'est-ce que c'est sexy ! », mais à la limite, c'est mieux que les gens se disent ça qu'autre chose. C'est relatif au désir, au plaisir, et c'est donc ultra positif pour nous. On prend ça comme un compliment.

Paul Epworth vous a non seulement aidés à produire cet album, mais vous a également signés sur son label, Wolf Tone. Ça fait quoi de se sentir aussi apprécié par un homme de sa stature ?

Joe : En fait, c'est Dave, et uniquement Dave, qui s'est chargé de la production. Paul nous a en quelque sorte coachés, il nous a prêté ses studios, nous a prodigué quelques conseils, a partagé avec nous son expérience et son histoire avec la musique. C'est quelqu'un de très instinctif, de très à l'écoute, et il ne s'assied jamais à une place qui n'est pas la sienne. C'est une chance de l'avoir eu à nos côtés, et j'espère qu'on pourra à nouveau travailler ensemble.

Je dois avouer que la première chose à m'avoir frappé, avant même d'écouter le disque, c'est le titre de l'album. ZABA, c'est assez énigmatique, et on se demande forcément d'où est venue cette idée...

Dave : Il n'y a aucun sens caché, je te rassure, et d'ailleurs, on ne cherchait pas à donner une signification particulière à ce titre. Par chance, il a fini par aller comme un gant à l'album. Je trouve qu'il le définit parfaitement. Pour tout te dire, j'ai eu l'idée de ce titre en tombant sur un vieux bouquin pour enfants (ndlr : The Zabajaba Jungle, de William Steig).

Je crois que rien ne peut se substituer à de la bonne musique.

Vos derniers vidéo clips donnent l'impression que vous accordez une réelle importance à la musique, mais pas seulement. Pensez-vous qu'aujourd'hui, pour se démarquer de la concurrence, un artiste doit se construire un univers fort et donc reconnaissable, et que jouer de la musique ne suffit plus ?

Dave : Je crois que rien ne peut se substituer à de la bonne musique. Se créer un univers, tant qu'il n'est pas artificiel, pourquoi pas. Mais la musique reste l'élément clé. Si tu fais de beaux clips, mais que tu ne sais pas écrire de chansons, tu passeras vite à la trappe. Et dans un sens, tant mieux.

La question, et ça sera ma dernière, a déjà été posée à Beaty Heart il y a quelques jours, mais j'aimerais avoir votre ressenti là-dessus également : Alt-J, Toumaca, Beaty Hart, Glass Animals... Est-ce que l'industrie du disque britannique se serait récemment découvert une passion pour une musique plus métissée, aventureuse ?

Joe : Honnêtement, je n'écoute aucun des groupes que tu viens de citer, et ils n'ont donc pas pu être une source d'inspiration pour nous.
Dave : Je crois que ce qui nous inspire, c'est pour beaucoup ce que nous avons pu écouter par le passé. Peut-être qu'en fait, l'explication est tout simplement générationnelle. On a tous à peu près le même âge, avons tous grandi en écoutant les mêmes artistes, notamment ce bon vieux Dr Dre... (rires) Peut-être aussi que, par les temps qui courent, les gens ont besoin de penser à autre chose qu'à leur quotidien, plutôt morose c'est vrai. Ils sont à la recherche d'une porte de sortie. C'est cyclique, et je pense que les choses s'amélioreront. En l'état, la musique est un bon exutoire, et tant mieux si des groupes ont du plaisir à faire de la musique, et s'il y a des gens qui en éprouvent autant en l'écoutant.