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Eugene McGuinness

Interview publiée par Olivier Kalousdian le 4 juillet 2014

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Le soir de notre rencontre, Arcade Fire sortent le grand jeu au Zénith de Paris pour leur deuxième passage à Paris. S'il l'avait su avant, Eugene McGuinness nous assure qu'il s'y serait rendu... Dans les bureaux de Domino Records à Paris, le musicien anglais assure la promotion de son quatrième album studio, Chroma. Avenant, accessible et d'une simplicité déconcertante, Eugene McGuinness est pourtant l'un des piliers, avec Miles Kane du deuxième revival Mods anglais et l'un des auteurs compositeurs anglais les plus talentueux de son époque. Nourri aux Beatles, aux Kinks et aux sons des sixties en général, il revient en France avec un album écrit en quelques jours pendant la trêve des confiseurs ; période où, généralement, l'agenda culturel de tous les pays est un peu en berne au bénéfice de moments familiaux.
Pour Eugene McGuinness, cette période un peu terne fin 2013, début 2014, fut propice à la réflexion et au retour sur soi. Quelques jours gris et presque ennuyeux, seul à Londres, entre deux repas ou deux fêtes pendant lesquels la plupart d'entre nous se mettent en pause. Pas Eugene McGuinness. Transformant un moment de doute en un moment de créativité et d'introspection, il nous livre un Chroma de belle facture avec des titres spontanés accompagnés d'une très belle production.

En France, ton nom est souvent rattaché à celui de Miles Kane, dont tu fus le guitariste. Mais en vérité, ta carrière est antérieure à celle de Miles Kane. Comment a-t-elle débuté ?

Originellement, je suis de Londres. Mais à l'âge de 17 ans, j'ai déménagé à Liverpool. Et c'est dans cette ville, encore bercée par l'ombre des Beatles, que j'ai vraiment appris mon métier. J'ai démarré comme guitariste avec de petits groupes et après quelques années, j'ai produit trois démos et j'ai eu la chance d'être repéré par Domino Records. Mais avant cela, j'ai quand même pas mal galéré, notamment question finances... Tout a démarré à Liverpool, mais se poursuit aujourd'hui à Londres où je me suis installé.

Eugene McGuinness, c'est définitivement un projet solo ou tu as toujours considéré cela comme l'histoire d'un groupe ?

Cela a démarré comme un projet solo et je maintiens ce statut, car je tiens à rester le capitaine de l'équipage et garder la liberté de faire la musique que je veux. Mais, chaque album est l'occasion pour moi de découvrir de nouveaux partenaires et de nouveaux musiciens. Ce qui me permet aussi de m'inspirer d'un tas de personnes talentueuses et de trouver d'autres sources inspirations. Si j'étais membre d'un groupe à part entière, la démocratie s'imposerait sûrement et j'en serais malheureux. Pas pour le coté liberté de chacun, bien entendu, mais je dois avouer que mon soucis de contrôle total sur ma musique ne conviendrait pas à une formation « classique ». Elvis Costello, Morissey ou David Bowie, que j'admire, ont tous eu et ont toujours le contrôle total de leurs œuvres et de leurs carrières. Pour moi, c'est la seule façon de voir les choses, artistiquement parlant.

Tous les musiciens avec qui j'ai joué savent que j'ai besoin de changement et de me sentir libre de mes choix artistiques.

Pourtant, tous les musiciens de tes albums ne changent que rarement à chaque enregistrement, il y a donc des membres avec qui tu te sens plus proche ?

Il n'est pas nécessaire de changer tous les musiciens à chaque album pour se sentir libre de sa création. Même si j'ai un nouveau line-up, très compétent, pour ce nouvel album. Une des raisons pour lesquelles j'ai du changer le line-up pour Chroma est que j'avais emprunté certains de mes musiciens précédents au groupe de mon frère (ndlr : Dominic McGuinness, membre de The Bohicas) et qu'ils ont tracé leurs propres routes aujourd'hui... Même si, à un moment, j'avais pensé à les enfermer dans une cage en les nourrissant avec des têtes de poissons pour qu'ils restent avec moi (rires) ! Mais, tout cela se passe très bien pour tout le monde. Tous les musiciens avec qui j'ai joué, y compris mon frère, savent que j'ai besoin de changement et de me sentir libre de mes choix artistiques.

Chroma est déjà ton quatrième album studio. Pourquoi ce titre synonyme de lumière ?

Dan Carey, le producteur de l'album, et moi même discutions de ce titre, bien avant de finir l'écriture du disque. Nous étions des amis mais n'avions jamais travaillé ensemble et nous avons voulu intégrer une notion de couleur dans ce disque. Une nouvelle couleur, de nouvelles sonorités et un nouveau ton. Pour plusieurs titres de l'album, nous utilisons une guitare « Spectrasonic » (ndlr : guitare au son très puissant et distordu) qui donne une coloration particulière aux sons de cordes, qui sont très fines sur cet instrument. Spectrasonic est le nom donné par Dan à cette guitare dont j'ignore si elle porte vraiment ce nom ou s'il l'a inventé de toute pièce ! L'autre jour, je lisais un article à propos de mon propre album et je vois écris « Spectrasonic guitar »... J'ai demandé à Dan de quoi il s'agissait et il m'a répondu : « on l'a utilisée sur tout ton album, tu sais (rires) ? ». Pour revenir à Chroma, ce nom signifie une certaine clarté et une couleur de son qui donne une certaine lumière à cet album. Et puis, j'aimais bien le rapport à la photographie et à l'image en général. Et même, un certain lien avec le chrome des voitures anciennes... Plus on en parle et plus je trouve des arguments ! Donc, je le trouve assez bien choisi (rires).


Tu as déclaré à propos de ce disque qu'il venait en partie de cette période d'invisibilité où les interviews et journées de promotion cessent et où on se retrouve seul avec soi-même, chez soi, en introspection ou presque après des périodes d'intense activité. Est-ce difficile de surfer les vagues, hautes et basses de la célébrité et de l'attention médiatique ? As-tu écris cet album, paradoxalement avec son titre, lors de journées un peu plus grises ?

Oui. C'est parfois difficile d'expérimenter ce genre de moments pour un artiste ; d'autres pourront te dire la même chose. C'était une période très calme pour moi, relativement parlant. Je me suis retrouvé chez moi dans l'est de Londres à m'ennuyer et à me dire : « Et maintenant, que vais je faire ? ». Et, finalement, cette période de repli sur soi qui s'annonce d'abord comme un choc pour des artistes qui sont constamment sollicités se trouve être une expérience positive. Quand tu es un songwriter et que, au détour d'une journée tout à fait banale, tu parviens quand même à sortir un texte et une musique de ta tête, cette journée devient presque incroyable ! Tout ce disque provient d'une longue période de réflexion et de solitude. Par le passé, mes créations venaient souvent de mes nombreux déplacements et des voyages que j'ai fait. Chroma vient d'un seul lieu et d'une seule réflexion.

Tu as su retourner la situation en faisant d'un moment de doute, un moment de création originale ?

J'ai finalement adoré le challenge que représentait cet album que je devais faire dans des conditions que je n'avais encore jamais connues.

Je crois que même la télévision et ses programmes que l'on regarde quand on a rien d'autre à faire sont devenus sources de créativité pour toi ? Notamment pour le titre Godiva écrit un premier de l'an après une veille bien arrosée et en attendant le film Sherlock Holmes, à la télévision anglaise...

C'est exact. J'ai écrit ce titre vers 20h30 un soir où j'étais seul chez moi en attendant le film de 21h ! C'est toujours sur mon iPad, j'ai écrit le texte à 20h30 et j'ai enregistré la première démo de Godiva à 20h45 ! Ce qui m'a permis de voir Sherlock Holmes à temps, toujours vêtu de mon pyjama (rires). Je te dis la vérité, car c'est exactement ce qui s'est passé. Cela pourrait rendre Godiva moins intéressante après coup, mais j'en ai rien à faire ! Le pire, c'est que je ne suis même pas fan du film Sherlock Holmes, mais il n'y avait que ça à la télévision ce soir-là (rires).

Dans le vidéo clip qui est sorti pour ce premier single de l'album, de nombreux visages se succèdent à l'écran ; ils semblent tous être musiciens. Qui sont-ils ?

Ils viennent d'un peu partout... Et c'est ce que nous voulions avec le collectif Thirty Two (ndlr : en charge du Shut Up And Play The Hits de LCD Soundsystem). Des gens, guitaristes de préférence, mais qui n'avaient pas besoin de faire partie d'un groupe ou d'être connus. Nous voulions une galerie de portraits de gens talentueux qu'on ne voit pas habituellement. Je trouve que le résultat est souriant et beau à la fois par la simplicité des musiciens que l'on y découvre.

Combien de temps a pris l'écriture de Chroma au final ?

Pas longtemps. La majorité de l'album a été écrite pendant ces six jours qui séparent Noël du jour de l'an. Mais, au delà de ces cinq ou six titres écrits à cette période, j'avais déjà écrit certains titres dans les mois précédents.

D'ailleurs, le titre Fairlight qui fait partie de l'album peut-il être considéré comme une reprise de toi même ?

Ça s'est passé dans la dernière demi-heure de studio pendant l'enregistrement de Chroma. Nous avions dix titres et étions partis pour nous arrêter là. Mais Fairlight avait déjà été enregistrée avec Dan Carey l'année auparavant ; c'était notre première collaboration. C'était un titre enregistré avec un groupe différent et à un moment différent. Et cela nous amusait d'intégrer ce titre, remixé et avec plus de subtilités, selon le style de Chroma.

Où s'est déroulé l'enregistrement de Chroma ?

A Stratton. Au studio de Dan Carey qui est au sous-sol de sa maison du sud de Londres. J'ai eu la chance d'y travailler avec une des meilleures sections rythmiques du Royaume-Uni : Tom et Leo de The Invisible.

Pour Chroma, as-tu changé son process d'écriture ? As-tu écrit les textes ou la musique en premier ?

J'essaie de ne pas avoir de règles pour motiver ma créativité. Parfois, ce sont les textes et parfois, c'est la musique qui vient en premier. Parfois même, je me mets au piano et tout vient en même temps.

Certains pourront voir Chroma comme une anti réaction au précédent album, The Invitation To The Voyage, mais je ne le vois pas comme ça.

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Dan Carey a déclaré que Chroma était un vrai « McGuinness album ». En quel sens selon toi ?

Sûrement parce qu'il est le reflet d'un moment précis dans un endroit précis où je me trouvais lors de l'écriture de la majorité des titres de l'album. C'est un album concentré sur un moment court. Parfois, rajouter des couches d'instrumentation ne sert par la cause. Certains pourront voir Chroma comme une anti réaction au précédent album, The Invitation To The Voyage, mais je ne le vois pas comme ça. C'est une évolution du précédent album. Et, si jamais les gens ne l'aiment pas, ce ne sera pas un problème pour moi, car c'est sûrement le disque le plus sincère que j'ai fait jusque là. The Invitation To The Voyage était plus chaotique ; Chroma est plus intimiste.

L'artwork du disque te montre posant devant une station d'essence américaine, Texaco, pourquoi ce choix ?

Mince, je ne m'attendais pas à cette question (rires). Texaco, donc... Mais, on peut vraiment voir le logo Texaco derrière moi ? Je ne pensais pas... En fait, je voulais une photo quasi anonyme et sans sens caché. Comme si ma petite amie m'avait photographié en vacances ; apparemment, c'est raté (rires) !

Je m'attendais à un rapprochement entre Chroma, le chrome et l'univers US des années 50...

Je crois que ta version est meilleure que la mienne (rires) ! En fait, si tu peux écrire que c'était ma réponse originelle, je t'en serais reconnaissant (rires).

Avec Miles Kane et d'autres, tu représentes l'héritage des Mods et des groupes comme The Jam. As-tu été bercé par ces groupes et ces styles musicaux quand tu étais jeune ?

Je suis un très grand fan des Jam. Mais, je suis surtout un fan absolu des Kinks ! Que ce soit les Beatles et John Lennon, par la suite ou le revival Mods, j'ai toujours aimé leur talent pour la mélodie. C'est vrai que mon univers éducatif a été bercé par les sons des sixties, mais j'ai également un énorme respect pour David Bowie ou pour la soul music... Mes parents étaient des fans de musique et je crois que mon premier souvenir marquant fut le titre Norvegian Wood des Beatles. Mes parents sont irlandais et à l'âge de quatre ans, quand le titre Norvagian Wood a marqué mon esprit, je pensais que c'était un titre du folklore irlandais ! Mes parents étaient fans des Beatles, de Bob Dylan ou de Neil Young... Comment ne pas l'être à mon tour ?

Jouer devant un public est peut-être la chose la plus incroyable qui soit.

Puisque l'on parlait de concentration, à quoi penses-tu quand tu es sur scène et que tu es concentré sur ton instrument et tes chansons ?

Tout et rien, je crois... Jouer devant un public est peut-être la chose la plus incroyable qui soit. Je crois que si je me mets à penser pendant que je joue, tout part en sucette ! C'est comme Karim Benzema quand il s'apprête à tirer un penalty : s'il se met à réfléchir à ce qu'il fait, ça ne rentrera pas. Je crois que je me dis : tu es payé à faire ça tous les jours et tu sais le faire. Alors fais-le ! Je prends plaisir à ne pas réfléchir pendant que je suis sur scène. Concentré, mais pas perturbé.

Quels ont été tes meilleurs moments sur scène ?

Je crois que c'était un concert à Londres, il y a un an et demi à peu près, au 100 Club. C'était la fin de la tournée de The Invitation To The Voyage et c'était proche de la période de Noël... Et comme c'était à Londres avec beaucoup de fans et d'amis dans le public, je me suis senti très bien du début la fin et j'avais l'impression que tout fonctionnait parfaitement pour le public et pour moi. Souvent, tu écris des chansons dont tu ne soupçonnes pas l'accueil une fois jouées en live. Et là, l'accueil était formidable et le public était dans le rythme et connaissait même certaines paroles. Un grand bonheur pour un artiste. Et peu importe qu'il y ait cent ou dix mille personnes devant toi, pourvu que la communion se passe entre l'artiste et ceux qui ont payé pour le voir.


Tu es programmé au festival Soirs d'Été à Paris en juillet. Ressens-tu une relation particulière avec le public français ?

Le temps démontre que oui. Lors de la sortie du précédent album, j'étais un peu anxieux sur l'accueil en dehors de l'Angleterre. Et les concerts donnés en France m'ont totalement rassuré. Honnêtement, je ne m'y attendais pas. Je pensais que, peut-être, ma musique sonnerait trop anglaise pour un public français. Mais ils m'ont prouvé le contraire. Peut-être que The Invitation To The Voyage sonnait comme un titre de Baudelaire et que c'est ce qui a plu aux Français (rires) ?

Tu es resté fidèle au label Domino Records depuis tes débuts, quand et comment les as-tu rencontrés ?

Comme je te le disais, c'était pendant la période où je me trouvais encore à Liverpool et je jouais en concert acoustique, seul à la guitare. Je faisais tout pour que les gens viennent me voir et quand j'ai mis en circulation mes trois démos enregistrées seul, peu de temps après Domino Records m'ont contacté. Ils m'ont demandé si je connaissais le label et, honteusement, ce n'était pas le cas à l'époque ! C'était une époque difficile, sans argent. Laurence Bell m'a tout de suite mis en confiance et a immédiatement compris ce que je voulais faire. Une fois signé, je me souviens avoir regardé les labels sur un tas de disques que je possédais, j'ai vu tous ces grands artistes signés par Domino Records depuis des années et je me suis senti un peu stupide ! J'ai toujours voulu faire beaucoup de choses dans mon domaine, mais il n'a jamais été question de célébrité ou de gloire. Juste une reconnaissance pour tout le travail et les années noires que j'ai vécues. C'est toujours difficile, d'ailleurs, de mener à bien une carrière au milieu de toute cette concurrence, mais je ne peux et ne sais pas faire autre chose.

Toi qui a grandi dans un univers musical riche grâce à tes parents, quels disques joueras-tu à tes enfants quand ils seront en age des les écouter ?

J'adore cette idée ! Laisse-moi y réfléchir... Je crois que je leur proposerai en premier A Hard Day's Night des Beatles. Je crois que les Beatles ont une grande influence sur l'esprit, dès les premiers âges.