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Woman's Hour

Interview publiée par Fab le 27 août 2014

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Signés l'année passée chez Secretly Canadian, Woman's Hour ont passé la vitesse supérieure ces derniers mois avec les parutions des singles Darkest Place et Her Ghost ainsi que des premières parties assurées pour Metronomy ou Anna Calvi outre-Manche et en Europe. La sortie de leur premier album, Conversations, constituait ainsi une occasion rêvée de les rencontrer pour évoquer leur parcours.

Votre premier album ne sort que cet été mais vous avez déjà joué à plusieurs reprises en France et notamment à Paris en première partie d'Anna Calvi, Metronomy ou encore Angel Olsen. Qu'avez-vous retenu de ces concerts ?

Fiona : Pour le moment, à chacune de nos venues à Paris, le public a été fantastique avec nous. Les gens sont très attentifs et réceptifs, ils écoutent vraiment ce que nous leur proposons sur scène. C'est un beau compliment que de se sentir écouté.
William : Lorsque nous avons joué pour la première fois à Paris dans la salle du Trianon, j'étais vraiment effrayé. Je me faisais beaucoup d'idées sur la façon dont le concert allait se dérouler et j'étais très nerveux. Lorsque nous avons commencé à jouer, j'ai entendu des personnes demander à d'autres de se taire pour pouvoir apprécier notre musique, c'était très respectueux de leur part. A chaque fois que nous venons à Paris, j'ai le sentiment que le public est vraiment là pour la musique.
Fiona : Ce sentiment de respect de l'artiste, nous ne le ressentons pas toujours outre-Manche.
William : J'avais eu la même impression lorsque nous avions joué au Pays-Bas par exemple. Je pense que c'est un comportement commun dans de nombreux pays d'Europe. C'est fantastique.

Du Trianon à la Flèche d'Or en passant par le Zénith, vous avez visité jusque-là des lieux de tailles très variées à Paris. Le lieu a-t-il une influence sur vous et vos concerts ?

William : Le Trianon est une salle à taille humaine, un très beau théâtre. Le Zénith est plus ou moins une Arena alors que la Flèche d'Or prend la forme d'un petit club où il fait très chaud. Ces lieux n'ont rien à voir les uns avec les autres.
Fiona : Nos expériences dans ces salles ont été très différentes.

Nous cherchions tous un but dans nos vies après être arrivés dans cette grande ville, nous ressentions l'envie de créer quelque chose.

Malgré ces quelques concerts, le public ne vous connaît guère en France. Comment et quand le groupe est-il né ?

Fiona : Nous avons commencé à jouer en 2011 il me semble. William et moi sommes frère et sœur, nous sommes originaires d'une petite ville du nord de l'Angleterre, Kendall, tout comme Nick notre bassiste. Nous avons tous décidé successivement de nous installer à Londres, pour des raisons très différentes, et un jour William m'a proposé de faire partie d'un nouveau projet musical qu'il était en train de monter. J'étais très intéressée par cette idée même si je n'avais jamais fait partie d'un groupe jusque-là. Nick s'est également joint à nous à cette époque après être arrivé à Londres, environ deux ans après notre départ de Kendall. Nous avons joué ensemble un moment sans avoir de vraies ambitions puis nous avons rencontré Josh via un ami commun à l'université. Nous cherchions tous un but dans nos vies après être arrivés dans cette grande ville, nous ressentions l'envie de créer quelque chose. Trouver des gens avec les mêmes aspirations était réconfortant.

Aviez-vous dès le début une idée de précise de ce qu'allait être le groupe ? Le fait que tu n'aies jamais chanté dans un groupe était-il une barrière pour toi ?

Fiona : Il a fallu du temps avant que tout ne se mette en place, le processus a été plutôt long.
William : Notre seule certitude était que nous avions envie de jouer de la musique tous ensemble. Nous avons décidé de voir où cela allait nous mener. A nos débuts notre musique était sans doute plus rythmée, mais nous avons beaucoup expérimenté afin de trouver notre propre style. Nous prenions du plaisir à chercher notre voie, à passer du temps ensemble à composer. Il nous a fallu environ un an avant de commencer à forger notre identité musicale mais aussi visuelle. Nous avons construit progressivement un monde dans lequel nous pourrions laisser les gens entrer par la suite.
Fiona : Je pense que je suis l'une des raisons pour lesquelles il nous a fallu du temps pour trouver nos marques. William, Nick et Josh avaient tous joué auparavant dans d'autres groupes mais je découvrais pour ma part complètement cet univers. J'ai démarré de zéro avec ma voix, il m'a fallu apprendre à l'utiliser, il fallait que je parvienne à trouver ma place. Lorsque je suis parvenu à définir ma voix, mon instrument, il a ensuite été nécessaire de trouver les bons réglages avec le reste du groupe. Pendant deux années nous avons beaucoup tâtonné.


A quel moment avez-vous eu le sentiment d'avoir trouvé votre voie ?

William : Je crois que Our Love Has No Rythm a été une sorte de déclencheur. Lorsque nous l'avons écrite après un an ou deux passés ensemble, nous avons réalisé que nous tenions là quelque chose de très différent de ce que nous avions créé jusqu'alors. Nous avions ralenti la cadence, créé une ambiance plus relaxée avec une voix posée, et c'est là qu'un déclic s'est produit. Nous aimions ce que nous venions de créer, l'étincelle venait de se produire et nous en étions très fiers. Je crois que toutes nos chansons futures en ont découlé.

Quelles étaient vos influences à l'époque ? Votre musique comporte une forte connotation 80s...

William : Plus que les artistes que nous écoutions, je crois que cela découle directement du matériel que nous utilisons depuis nos débuts. Nous sommes tous nés au début des années 80s, et nous avons donc bien entendu écouté des artistes de l'époque, mais ce sont nos outils qui ont fait notre son.
Fiona : Notre budget était très limité lorsque nous avons commencé à jouer ensemble, nous utilisions donc du matériel plutôt ancien. Nos claviers avaient par exemple été construits dans les années 80s.
William : Il en va de même pour les outils électroniques que nous utilisions, les boîtes à rythmes ou autres.
Fiona : Utiliser ce type de sons n'était pas une volonté de notre part. D'un point de vue personnel, je n'ai jamais été spécialement passionnée par la musique des années 80s. Pas plus que par celle d'autres décennies. J'aime notre son, mais il n'a jamais découlé d'un choix délibéré de notre part. C'est un heureux hasard.
William : Nous avons toujours cherché à ne pas nous fixer de références à d'autres artistes. Nous nous sommes toujours concentrés sur notre musique, sur des sonorités que nous aimions tirer de nos instruments, des mélodies.

Il fallait que notre label devienne une seconde maison pour nous, qu'il s'occupe de nous comme nous l'attendions.

Vous avez rejoint le label Secretly Canadian en fin d'année 2013. Comme un groupe britannique comme le vôtre en est-il arrivé à travailler avec une maison de disques américaine ?

Fiona : Nous avons reçu un email de leur part avant un concert à Londres, peu de temps après la sortie de Our Love Has No Rythm. La personne avait téléchargé cette chanson ainsi que quelques autres et était très intéressée par notre musique. Nous avons beaucoup échangé avec eux, pendant près de neuf mois il me semble, avant de décider de signer un contrat. Il fallait que notre label devienne une seconde maison pour nous, qu'il s'occupe de nous comme nous l'attendions. Nous aurions sans doute pu travailler avec une autre maison de disques, mais nous avons ressenti une vraie passion de leur part pour nous et notre musique. Ils voulaient nous aider à nous développer, ils nous encourageaient beaucoup en ce sens, et je crois que cette envie nous a poussés à les choisir. Nos interlocuteurs étaient très impliqués, ils s'intéressaient à tous les aspects de notre groupe, que ce soit purement musical ou plus intellectuel. Nous savions que nous pouvions prendre le temps de nous asseoir et discuter avec eux des sujets qui nous semblaient importants si nous le voulions.

Votre univers visuel est très marqué, tant dans les vidéos que les artworks, tous en monochrome...

Fiona : Lorsque nous avons achevé Our Love Has No Rythm, nous nous étions mis à l'écart pendant un certain temps pour travailler sur cette chanson. Pendant neuf mois nous avons cessé de donner des concerts pour travailler en studio et développer autant que possible l'identité du groupe, que ce soit d'un point de vue musical ou visuel. Nous voulions une certaine cohérence entre tous ces éléments, que ce soit les artworks, vidéo clips ou notre mise en scène en live. C'est à cette époque que nous avons commencé à collaborer avec deux artistes, Oliver Chanarin et Adam Broomberg. Nous voulions trouver une forme de continuité dans notre art, que les gens puissent immédiatement nous identifier sur les différents supports liés au groupe. Nous avons beaucoup discuté avec eux pour leur expliquer notre vision et nos envies, qu'ils comprennent ce que nous désirions. La pochette de Our Love Has No Rythm, par exemple, dégage une forme d'unité avec ces deux mains se tenant, alors qu'en réalité le visuel provient d'un manuel d'autodéfense expliquant comment une femme doit repousser un agresseur. Sortie de son contexte, cette image possède une symbolique positive, alors qu'en réalité le sujet est sérieux et très différent. Cette dualité va de pair avec celle de Our Love Has No Rythm où la notion d'amour peut être perçue comme positive alors que l'absence de rythme est, elle, négative. Nous voulions jouer sur l'ambiguïté et les différentes façons de percevoir tout cela. Nous voulions que notre univers visuel soit ambigu et pousse les gens à se poser des questions en l'observant, soit stimulant pour eux. Cette idée a été le point de départ pour l'aspect visuel du groupe.

Votre premier album se nomme Conversations, à quoi ce titre se réfère-t-il ?

William : A l'image de plusieurs morceaux de l'album, ce titre se rapporte à l'idée de se poser des questions à soi-même et de s'interroger.
Fiona : Une personne qui avait écouté l'album et avait lu le titre des chansons m'avait dit que ces derniers semblaient constituer une forme de discussion. L'album est en quelque sorte constitué de mini conversations. Je vois une forme d'ironie derrière ce titre car l'album traite selon moi de l'incapacité des gens à avoir ces mêmes conversations. Le disque peut être perçu comme un « flux de conscience », il représente l'équilibre entre ce qui doit être dit et ce qui ne doit pas l'être. Il n'est jamais simple de parvenir à exprimer ses sentiments mais je pense que cet album tend à rendre les choses plus simples.


Le choix des chansons pour l'album a-t-il été compliqué ? Vous avez par exemple choisi de conserver tous les singles ayant suivi Our Love Has No Rythm...

William : Parce que nous aimons ces chansons ! (rires)
Fiona : La raison est très simple. Nous ne sommes jamais en studio avec l'idée d'enregistrer des singles. Lorsque nous avons commencé à écrire des chansons puis à les enregistrer en studio, nous n'avons jamais raisonné en tant que singles, mais en tant que chansons en vue d'un album. Nous avons toujours gardé cet objectif en tête, même lorsqu'il nous a été proposé de sortir des singles. Même en sortant ces quelques chansons au fil du temps, l'album a toujours été la seule chose qui nous importait vraiment. Chaque chanson reflète un moment donné de notre existence, il n'était pas envisageable d'en laisser de côté sous prétexte que nous les avions déjà publiées sous forme de singles. De plus, avec une vision plus large des choses, je pense, ou du moins j'espère, que beaucoup plus de personnes entendront nos chansons via l'album que celles les ayant connues précédemment en tant que singles. Leur cycle de vie est encore loin d'être achevé.
William : Je pense que la majorité des personnes qui écouteront notre album à l'avenir ne sauront même peut-être jamais que certaines sont sorties en single à un moment donné.
Fiona : C'est du moins ce que nous espérons, parvenir à toucher beaucoup plus de personnes que jusqu'à maintenant ! (rires)

Peu importe toutes les idées ou les préjugés que tu peux avoir dans ta tête initialement, il est impossible que le résultat soit conforme à ta conception des choses.

Êtes-vous pleinement satisfaits de ce qu'est votre premier album ? Correspond-il à l'idée que vous vous en faisiez durant toutes ces années ?

William : C'est difficile à dire. Nous savions depuis longtemps que notre album ne serait pas un disque de rock à proprement parler, nous avions déjà une idée précise quant au son que nous souhaitions adopter.
Fiona : Il était impossible de savoir à quoi il ressemblerait vraiment. Peu importe toutes les idées ou les préjugés que tu peux avoir dans ta tête initialement, il est impossible que le résultat soit conforme à ta conception des choses. Nous nous sommes justement refusés à figer une image de l'album dans nos têtes, tout s'est mis en place graduellement à force de travail.
William : L'album découle des erreurs que nous avons pu faire durant ce processus. Unbroken Sequence, la chanson d'ouverture du disque, est par exemple née en quelque sorte par hasard après avoir joué avec des sons. Tu peux partir d'une ligne directrice initiale pour dévier ensuite vers quelque chose de très différent, et en l'occurrence bien meilleur que ce que tu avais imaginé au départ.
Fiona : Les erreurs que tu fais peuvent devenir d'heureux accidents. Je pense qu'à plusieurs reprises nous nous sommes surpris nous-mêmes.
William : Il ne faut pas avoir peur. Si une idée te semble intéressante, il ne faut surtout pas hésiter à la pousser le plus loin possible et voir ce qui en découle.