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Kele

Interview publiée par Jean Duffour le 24 novembre 2014

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Deux jours après le cinquième concert de sa tournée, Kele Okereke, revenu de l'enfer des boîtes de nuit, raconte l'histoire de son projet solo au son résolument électronique, tiré de son expérience de DJ. Retour sur un paradoxe, celui d'un artiste désormais accompli depuis qu'il s'est approprié cet univers qu'il décrit pourtant parfois avec amertume au sein de son dernier album.

J'étais à la Gaîté Lyrique à Paris pour ton concert, tu es content de ta prestation ?

Oui, j'ai beaucoup apprécié. Nous avons eu quelques problèmes techniques avec la partie visuelle du concert mais c'était cool, en dehors de cela. Je pense qu'à partir du moment où les gens restent jusqu'à la fin, c'est un bon concert.

A propos de ces visuels, sur l'un deux tu poses en boxeur, un peu à la manière du tableau de Jean-Michel Basquiat du même nom. Est-ce une de tes influences ?

Je ne pense pas que cette image renvoie spécifiquement à ce tableau, mais je suis un fan du travail de Jean-Michel Basquiat, l'éclat de son œuvre et ce langage à lui qu'il a su créer. J'aime aussi beaucoup les multiples références auxquelles il a recours, notamment sur les artistes noirs. Et c'est amusant parce que même si je ne le connais pas, j'ai le sentiment que c'est quelqu'un de très drôle.

En va-t-il de même pour Keith Harring ? Quand on voit ton clip Doubt les dessins sont également très proches de ce qu'il a pu produire !

Oui ! Encore une fois, je suis un fan même si ce n'est pas une inspiration directe. C'est étrange parce que ces images qui rayonnaient à travers la salle et dont le public s'imprégnait, tout le monde les connaît même sans savoir d'où elles viennent. Je pense qu'il y a quelque chose de très spirituel dans son œuvre et j'aime beaucoup la manière dont il dépeint la vie.

Quand je n'ai que mon microphone, je me sens beaucoup plus libre et confiant avec mes mots.

Maintenant que tu es entièrement dépourvu d'instruments en concerts, hormis ton microphone, est-ce que cela modifie ta manière d'appréhender la scène ?

Je pense que j'ai dépassé ce stade où je jouais avec un instrument depuis que j'ai sorti The Boxer. Je me suis rendu compte que c'était incroyablement libérateur. Et quand nous avons ressorti un album avec Bloc Party en 2012, j'utilisais beaucoup moins la guitare. En un sens, quand je n'ai que mon microphone, je me sens beaucoup plus libre et confiant avec mes mots, comme je ne fais plus deux choses à la fois. J'apprécie vraiment cela, mais c'est encore quelque chose que je découvre. D'ailleurs le concert de samedi dernier doit être notre cinquième dans cette configuration, on est encore en train d'essayer de l'améliorer et je pense qu'à la fin de l'année ce sera génial.

Sur la tournée qui a suivi la sortie de The Boxer, tu avais encore quelques musiciens sur scène pour t'accompagner. Maintenant il n'y a plus qu'un DJ, était-ce ton objectif quand tu t'es lancé en solo ?

Oui, complètement. Pour ce disque je ne voulais pas de batterie en live, je voulais sentir la musique comme je l'avais enregistrée en studio et recréer une ambiance de boîte de nuit. C'est pourquoi j'ai souhaité que cela soit un mix de musique continu, sans aucune interruption entre les chansons. Je me suis dit qu'on pourrait éventuellement ajouter un ou deux musiciens en plus, une fille qui chante par exemple, mais on verra. Pour le moment j'adore la manière dont on tourne car c'est tout nouveau, même si l'on rencontre plein de difficultés, c'est nouveau et excitant de découvrir cette nouvelle manière de se produire sur scène.


Quelles ont été tes influences musicales pour Trick ?

En fait ces deux dernières années je me suis beaucoup produit en tant que DJ, j'étais dans les boîtes de nuit tous les week-ends à mixer et écouter les autres DJs, je me suis complètement imprégné de cet environnement. J'imagine que je voulais faire quelque chose dans ce style avec Trick. Je voulais composer quelque chose de nocturne, un disque pour les dernières heures de la nuit. Quelque chose de très minimaliste. Je voulais entendre l'air et l'espace dans ce disque. Tout cela vient de l'ambiance des boîtes de nuit, où la musique est très forte sans pour autant être altérée. On arrive donc à l'essence de ce qu'est la musique lors de sa composition. Avec Bloc Party, à l'inverse, on travaillait beaucoup sur chaque chanson, chaque passage, et je n'avais plus envie de procéder ainsi.

Est-ce que ton travail avec Martin Solveig ou encore Tiësto t'a aidé dans la composition de cet album ?

Je ne dirai pas que cela m'a particulièrement aidé. Je pense qu'avec Tiësto c'était la première fois que j'écrivais sur un simple beat, mais c'est une approche que j'ai reprise pour composer mon album parce que d'habitude quand tu es en groupe quelqu'un a un riff et c'est beaucoup plus spontané. Avec Tiësto je me suis pour la première fois concentré uniquement sur la voix. Et d'ailleurs je ne l'ai toujours pas entendue, sauf la fois où j'ai terminé l'enregistrement mais je ne l'ai jamais réécoutée depuis. C'est ainsi que je fonctionne lorsque je travaille en collaboration de cette manière, tu t'investis intensément dans ce que tu es en train de produire et une fois que c'est fini, tu t'en détaches. Parce que sinon, à chaque fois que tu la réécoutes plus tard, tu te dis que tu aurais pu faire mieux, modifier une partie, même si ce travail critique fait partie du processus créatif, je préfère me donner à fond sur le moment et quand je suis satisfait, je passe à autre chose.

Est-ce que cela a été difficile de te retrouver seul pour composer ? D'être l'unique juge de tes propres compositions ? Même si j'imagine que tu t'étais entouré de quelques personnes !

Non parce qu'en fait je n'ai pas composé en isolation totale. J'ai toujours travaillé avec un producteur et un ingénieur du son à Londres. Même si j'avais le dernier mot sur les questions artistiques, je leur demandais régulièrement leur avis. Je pense que c'est nécessaire de s'entourer de personnes en qui tu as confiance même si c'est ton disque à toi. C'est important de savoir que ces personnes en qui tu crois sont contentes de ton travail.

Pourquoi as-tu décidé de créer ton propre label pour produire cet album ?

Ce n'est pas à proprement parler mon label, c'est assez compliqué, il ne servira sûrement pas à produire d'autres artistes en fait, je ne connais pas vraiment les tenants et aboutissants de la structure, mais je crois que cela a été constitué simplement pour sortir le disque, il faudrait que je me renseigne parce que je ne pense pas être sur un « label » à proprement parler. Mais ce ne serait pas une mauvaise idée de produire d'autres artistes, c'est pour ça que je vais vraiment creuser cette question !

Pendant un moment j'ai pensé que la seule voie pour faire vivre ma créativité se trouvait à travers les autres membres de Bloc Party.

Tu sembles vraiment accompli dans cette carrière solo, est-ce que tu réfléchissais depuis longtemps à ce projet ou cela ne t'est venu que récemment ?

Non ce n'est pas une chose à laquelle je réfléchissais depuis longtemps. Pendant un moment j'ai pensé que la seule voie pour faire vivre ma créativité se trouvait à travers les autres membres de Bloc Party. Ce n'est qu'en sortant mon premier album solo que je me suis rendu compte que je n'avais pas besoin des autres pour être créatif. Ce projet m'a permis de m'ouvrir de nouvelles perspectives notamment dans ma manière d'écrire, et cela m'a donné l'opportunité de travailler avec d'autres personnes. Cela ne veut pas dire que je n'ai pas apprécié mes années avec Bloc Party, je pense que ce qu'il y a d'incroyable dans le fait de composer avec d'autres gens est qu'ils te suggèrent des choses que tu pourrais ne pas voir par toi-même, c'est pourquoi cela a été très inspirant de faire de la musique avec les membres de mon groupe. En somme je pense que travailler en groupe et en solo sont deux expériences musicales toutes aussi géniales.

Aujourd'hui encore on te présente comme « l'ancien leader de Bloc Party », est-ce que cela te dérange que les gens ne te connaissent que pour cela et non pas pour ton projet solo ?

Non pas du tout ! J'ai l'impression que les gens viennent simplement écouter ce que j'ai à dire. Il y a sûrement des fans de Bloc Party qui sont déçus de ce que je leur propose, mais en même temps il y a des gens qui n'aimaient pas Bloc Party qui apprécient mon projet solo et je suis reconnaissant de pouvoir rencontrer ces nouveaux fans. Je trouve cela cool, et c'est déjà génial d'avoir un public comme ça.


Tu disais tout à l'heure que ton projet solo t'avait permis d'écrire d'une manière différente, par quoi as-tu été inspiré pour les paroles de cet album ?

Je ne sais pas. Sur le premier album de Bloc Party, je n'y avais attaché que très peu d'importance, j'avais écrit simplement, sans rimes ni rien, sans vraiment y réfléchir. Et quand le disque a commencé à être connu, d'un côté j'étais super fier, mais de l'autre je ne l'étais pas parce qu'il me semblait que je n'avais aucun contrôle sur ces paroles et leurs origines. J'avais juste l'impression d'ouvrir ma bouche et de laisser sortir les mots ainsi. Donc sur A Weekend In The City et Intimacy j'ai fait un effort pour être sûr que mes paroles étaient en adéquation avec la musique et ce que je voulais dire. Mais avec The Boxer, et Four aussi je pense, tout comme Trick, j'ai adopté une nouvelle approche pour l'écriture des paroles. Ce n'est plus comme un agenda à remplir. Je tente d'être plus spontané, de faire en sorte que les paroles s'inspirent de la musique et non plus de forcer la musique et les paroles à s'assembler.
Au début de l'enregistrement du disque, j'ai enregistré quelques phrases et j'ai essayé de construire quelque chose autour, de composer. Et comme je me suis beaucoup inspiré musicalement de cette période où j'étais dans les boîtes, il en a été de même pour les paroles. Je voyais les gens flirter, interagir, être très proches de par l'alcool et la drogue, sans être vraiment en connexion. Leur manière de se conduire était très primitive. C'est pourquoi dans les paroles il y a beaucoup de références au désir et aux couples car c'était quelque chose que je voyais énormément en tant que DJ.

C'est pour cela que tu as appelé ton album Trick ?

Oui ! En fait j'ai appris cette expression quand je vivais à New York. Ils utilisent ce mot pour décrire les personnes avec qui tu as été intime une fois et que tu ne revois jamais. Et cela me semblait vraiment coller avec ce dont le disque parle.