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Drenge

Interview publiée par Sam le 7 avril 2015

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En signant leur second album en l'espace de douze mois, Eoin et Rory Loveless continuent de drainer un public de plus en plus large tout en étoffant leur son et des compositions profondément ancrées dans la scène américaine. Rencontre avec les deux frères en marge d'un imminent concert à la Flèche d'Or de Paris à la fin du mois.

Vous êtes tous les deux frères, lequel des deux a démarré dans la musique ?

Eoin : C'est moi ! J'ai pris des leçons de violon à l'âge de quatre ans.
Rory : Non, non, tu te trompes ! Les parents nous ont inscrits à un cours bizarre d'initiation rythmique... Je ne m'en souviens pas très bien mais à ce qu'ils m'ont dit, je restais juste là à hurler parce que je ne voulais pas y aller. Mais je n'avais pas encore choisi d'instrument à cette époque-là.
Eoin : Ah oui ! Je me souviens un peu de ce temps-là ! On se faisait tous face et il n'y avait que de très jeunes enfants, genre deux ou trois ans. Tu avais tes pieds contre ceux d'un autre et puis tu tapais au sol, puis dans tes mains, puis dans les siennes pendant que quelqu'un jouait de la musique. Ça rendait « poum poum tchak ». On n'en avait jamais parlé à personne jusqu'à maintenant mais c'était hilarant. Et puis Rory gueulait comme un dingue !

Donc ton premier instrument c'était le violon Eoin. Et le tien, Rory ?

> Rory : Je suppose que c'était le piano. Nos parents nous y ont poussés à un moment, et je ne voulais vraiment pas m'y mettre. Pourtant on y est arrivé, et maintenant nous voilà à jouer du rock. Alors on remercie papa et maman.
Eoin : Ouais !

On a toujours joué ensemble.

A titre individuel, vous est-il déjà arrivé de jouer avec d'autres personnes avant de vous réunir, ou avez-vous toujours procédé ainsi ?

Rory : Disons qu'on a toujours joué ensemble. A l'âge de onze ou douze ans on a commencé avec un duo guitare/batterie, mais ça n'avait rien à voir avec Drenge, juste des reprises. J'ai aussi joué dans des groupes avec mes potes, des trucs d'écoles. On avait un line-up bizarre avec que des instruments à vents qui entonnaient des airs façon Star Wars. J'ai fait du jazz, notamment, dans le groupe de mon père...
Eoin : Personnellement, je suis trop timide pour jouer de la guitare en dehors de ma chambre. Je me suis vite mis à composer pour guitare et batterie, des airs folk surtout, mais ça restait confidentiel.
Rory : Je pense que j'étais pas mal en demande. Parce que je fais de la batterie et que beaucoup de gens recherchent des batteurs. Alors à chaque fois je me ruais sur le poste.

Que pensez-vous de la scène US actuellement ? Parce qu'à l'écoute, votre nouvel album tranche littéralement avec la plupart de ce qu'on entend en Grande-Bretagne...

Rory : C'est marrant que tu relèves ce point, parce que maintenant, beaucoup de groupes sont atteints du « syndrome Internet ». C'est par ce biais qu'on a découvert plein de groupes Américains que l'on adore et qui nous ont pas mal influencés à nos débuts : Jay Reatard, Thee Oh Sees... Donc je dirais qu'on s'est quand même plus attachés à ce qui se passait Outre-Atlantique que directement en Grande-Bretagne.


Aujourd'hui, tout le monde ne parle que de l'effondrement de l'industrie musicale, et il est vrai que les retombées publicitaires sont devenues l'une des principales sources de revenus des artistes. Comment réagiriez-vous si on venait toquer à votre porte pour synchroniser un de vos morceaux sur une pub ?

Rory : Jusque-là, on a toujours refusé. On est assez protecteurs en ce qui concerne notre travail, même s'il faut relativiser. Le problème ne réside pas tellement dans le fait que les gens aient une mauvaise opinion de nous ou qu'ils nous considèrent comme des vendus. C'est simplement qu'on s'investit beaucoup dans notre musique et qu'on ne veut pas être associés à des marques ou autres entreprises qui, pour nous, n'ont rien à voir. Mais je suppose que, parfois, il faut se rendre à l'évidence que, pour continuer, il est nécessaire de faire tenir le groupe. Dans ces cas-là oui, je comprends le recours à la pub...
Eoin : Notre line-up est plutôt restreint. On ne s'octroie pas de salaires mirobolants de par nos activités dans le groupe. On est jeune, on vient d'une zone assez accessible d'Angleterre, et l'extravagance, ce n'est pas notre truc... Alors, oui, on essaie de rester simples. Si on était plus nombreux et pris à la gorge, alors je te dirais qu'utiliser nos morceaux pour des spots de pub serait plus que raisonnable. Mais les choses étant ce qu'elles sont pour le moment, faire ça maintenant serait égoïste et je pense plutôt nocif pour nous.

Y a-t-il quelqu'un du milieu avec lequel vous aimeriez particulièrement travailler, à plus ou moins long terme ? Un musicien, un producteur, un ingénieur du son ?

Rory : Je dirais Steve Albini, parce qu'on admire nombre de ses travaux. On a entendu plein d'histoires sur lui et sa manière de procéder, je pense qu'on serait vraiment compatibles. Après, de là à dire que j'en rêve, pas encore. Je pense qu'il est encore trop tôt mais c'est sûr qu'à un certain moment, il serait intéressant d'échanger quelques mots avec lui. Ce type est quand même une légende.

Vous avez recruté un bassiste pour vous accompagner désormais. Simplement pour des raisons scéniques ou y a-t-il d'autres motifs à cette venue ?

Rory : Il a enregistré deux ou trois chansons avec nous en studio, mais c'est surtout pour la scène, oui. Il était nécessaire de trouver quelqu'un pour assurer les lignes de basse dans le sens où nos idées ont vite dépassé les limites du possible au vu de notre effectif. On connaît Rob depuis plus de dix ans, il nous a fait découvrir des groupes extraordinaires, il a joué de la musique extraordinaire. Il était disponible alors on lui a proposé de nous rejoindre si le cœur lui en disait, et il a accepté.

J'ai entendu dire que c'est la démission d'un homme politique qui vous a en quelque sorte amenés sur le devant de la scène. Ces types-là vivent généralement bien loin à l'écart des valeurs rock. Comment avez-vous réagi ? Ça vous a surpris ?

Rory : Oh oui, carrément ! C'est totalement inédit ! C'était vraiment... bizarre. Mais je pense qu'il a bien fait, dans sa lettre de démission, de montrer à quel point les hommes politiques peuvent se montrer totalement hors prise avec la société. En arrivant à Paris, ça m'a fait penser à tout ce débat sur le niqab : Qui est-ce que ça gêne vraiment ? Je veux dire, y a-t-il réellement des gens qui se plaignent de son port, ou bien est-ce juste le gouvernement qui pense que distinguer le visage de chacun permettrait plus de sécurité ?

Tous ces gens qui sont élus pour te représenter, le font-ils vraiment ?

C'est vrai que c'est un problème qui prend un peu partout en ce moment...

Eoin : On ne l'a pas en Grande-Bretagne, mais c'est un fait dont on a conscience.
Rory : Tous ces gens qui sont élus pour te représenter, le font-ils vraiment ? Je suis vraiment devenu très misanthrope envers ces personnes-là...

Oui, je comprends. D'ailleurs, on connait l'impact du climat politique sur les milieux musicaux en Grande-Bretagne, surtout en ce qui concerne les domaines indie et alternatif. Si vous aviez votre âge à l'heure du gouvernement Thatcher, votre son aurait-il été différent, comme plus violent ?

Rory : Je ne sais pas à quel point le paysage politique aurait affecté notre jeu, mais on ne peut pas nier le fait que notre son se veuille ouvertement agressif. On n'écrit peut être pas des chansons à vocation politique, comme ont pu le faire les Sex Pistols ou Bob Dylan par le passé. Non, je suppose qu'on n'aurait pas été si différents que ça...
Eoin : Noel Gallagher a récemment déclaré dans une interview : « Margaret Thatcher, elle te la mettait dans le cul »... et ça tout le monde le savait et la haïssait ! Le problème avec notre Premier ministre actuel, David Cameron, c'est qu'il a l'air tellement snob que ça en devient encore plus frustrant. Les gens le détestent pour son allure lèche-bottes, pas pour sa méchanceté comme c'était le cas pour Thatcher. George Osborne, le chancelier de l'Echiquier, Michael Gove, le ministre de l'Education ou bien Jeremy Hunt, le ministre de la Santé, détruisent notre gouvernement, notre système d'éducation... Ils ignorent toutes ces grosses entreprises qui ne paient pas d'impôts. Rien que l'année prochaine : si quand tu termines tes études tu ne trouves pas de boulot, ils vont dissimuler la chose en te plaçant dans des formations, mais pas pour t'aider. Non, c'est juste histoire de te catégoriser, de te mettre à l'écart. Ils ne s'intéressent pas à l'individu et à son suivi, à t'aider à t'orienter où tu le souhaites dans les meilleures conditions possibles. On reste dans un système où, si tu es au chômage, on va t'obliger à exercer telle ou telle profession, parce que pour le gouvernement tu es un problème et qu'il faut y remédier sans chercher ton intérêt là-dedans. Et je trouve ça bien qu'en Europe, on puisse discuter librement de ces choses-là. On en est plus au stade de Thatcher où on pouvait simplement la maudire...